Note autographe du général Bonaparte sur les événements de Venise.1797.
Fédération des villes cisalpines célébrée à Milan.11 juillet 1797.
Note autographe du général Bonaparte sur les événements de Venise.1797.
Auteur : BONAPARTE Napoleon
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
Domaine : Archives
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
NUML000535
Bonaparte relate la prise de Venise
Date de publication : mai 2003
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
A la suite de ses victoires en Italie, Bonaparte, qui marche sur Vienne, signe un armistice avec l'Autriche et décide brusquement de s'emparer de Venise. Dès 1797, Bonaparte n'a que faire des instructions du Directoire, qui varient d'ailleurs en fonction du directeur qui l'emporte. Prendre Venise permettrait de récupérer immédiatement une marine bien équipée, d'alimenter les caisses de l'armée d'Italie sans frais et, pour Bonaparte entré en Autriche, d'empêcher les Autrichiens de tenter un mouvement sur sa droite.
Le 17 avril 1797, alors que les troupes de Bonaparte occupent Vérone depuis novembre, des troubles qualifiés de Pâques véronaises fournissent à Bonaparte un prétexte pour intervenir. Trois jours plus tard, sous le feu ennemi, un navire de guerre français perd son capitaine, le jeune Laugier, au large du Lido. Le 1er mai, Bonaparte déclare la guerre à la Sérénissime. Mais, dès le 12 mai, le doge Ludovico Manin et le Grand Conseil se démettent conjointement de leurs fonctions, abolissent la République et s'en remettent à un gouvernement provisoire. Le 15 mai, 3 000 Français embarquent à Mestre sur 40 chaloupes et investissent Venise dans le calme.
Les préliminaires de paix qui suivent l'armistice de Loeben (18 avril 1797) et le traité de Campoformio (17 octobre 1797), qui les confirme, établissent la cession de Venise et de la plupart de ses possessions à l'Empereur. La contrepartie intéressante pour la France est de faire reconnaître sa mainmise sur la République cisalpine, qui, avec Ancône sur l'Adriatique, lui assure à la fois le moyen de couper de l'Empire le sud de la péninsule italienne, et de déboucher sur l'Adriatique.
Il reste à convaincre l'opinion française désireuse de paix du bien-fondé de l'opération. Bonaparte s'y emploie par ses rapports et à travers les journaux qu'il contrôle. Depuis plus d'un an en Italie, Bonaparte suit aussi de près les événements qui agitent la France, où, déjà, il envisage de jouer un rôle.
Bonaparte rédige ce récit fin juin 1797, pour justifier l'occupation de Venise, se glorifier des préliminaires de paix et dissuader toute opposition. Le destinataire de ce rapport très orienté n'est pas connu, mais le document démontre l'habileté du jeune général de 27 ans à manipuler les situations et à construire sa propre image.
Le document, authentifié par son frère, Lucien Bonaparte, et son ancien secrétaire, le baron Fain, est acquis en 1835 par Louis-Philippe pour les Archives du royaume. Ce manuscrit autographe révèle en même temps l'usage parfois approximatif que fait Bonaparte du français, qui n'était pas sa langue maternelle. Il avait près de 10 ans lorsqu'il en commença l'apprentissage et qu'il entra comme boursier au collège d'Autun, avant de se rendre à Brienne. Toute sa vie, Napoléon a parlé le français avec un fort accent corse.
Il est manifeste ici que le bouillant général ignore la différence entre armistice et amnistie (il confondra d'ailleurs toujours ces deux notions !). Les " inquisiteurs " ne sont-ils pas plutôt les " instigateurs " des attentats de Vérone ? Ses fantaisies orthographiques sont parfois plaisantes : " le vaincœur ", " les sintomes ", " appaiser "…
A la manière de la Guerre des Gaules, Bonaparte accumule les références latines pour convaincre qu'il réédite en Italie les hauts faits militaires de l'Antiquité et que son destin est infaillible. A l'instar de Jules César, il relève ses actions à la troisième personne, avec un laconisme qui renforce la démonstration de son efficacité. Son " aspect " (traduction littérale utilisée de préférence à " sa vue ") suffit à ramener le calme " à peu près comme les vents de Virgile à l'aspect de Neptune". " Bonaparte fit le manifeste si connu". Il veut " appaiser les mânes de ses frères d'armes ". Enfin, " Bonaparte comme à son ordinaire épargna le sang ". Il souligne de sa main qu'il a " fait faire la paix ".
César ne serait-il pas aussi l'inspirateur du projet machiavélique et délibéré de Bonaparte de provoquer la guerre avec la République de Venise, de l'occuper et d'évincer son gouvernement, de façon à faire place nette pour la cession à l'Autriche ? A Sainte-Hélène, Bonaparte dictera un Précis des guerres de César montrant ses affinités avec les calculs stratégiques et politiques du célèbre général romain. En remplaçant César par Napoléon et Rome par Révolution, l'empereur déchu n'aurait-il pu s'appliquer à lui-même cette formule révélatrice : " L'autorité de César était légitime parce qu'elle était nécessaire et protectrice, parce qu'elle conservait tous les intérêts de Rome, parce qu'elle était l'effet de l'opinion et de la volonté du peuple "?
Andrea Appiani contribue dès les débuts de la campagne à présenter Bonaparte en héros de la libération de l'Italie , dans un style à l'antique qui s'accorde bien avec l'esprit du récit de Bonaparte. Entre 1807 et 1810, il illustrera aussi le palais royal de Milan d'une apothéose de Napoléon en trente-cinq épisodes. Parmi ces peintures, ruinées en 1943 mais connues par des gravures, son évocation de la première campagne d'Italie est celle d'un témoin de l'entourage de Bonaparte, qui a parfaitement pénétré les aspirations de son modèle. Dès juillet 1797, la République cisalpine reçoit une constitution rédigée par Bonaparte. La cérémonie et ses réminiscences antiques, les emblèmes, les costumes, correspondent à un rôle de législateur apportant la paix dans lequel Bonaparte aime se montrer, pour mettre en valeur ses capacités d'homme d'Etat.
Bonaparte dresse de Venise le tableau d'une oligarchie usée et décadente, lâche, dangereusement perfide et abritant une populace incontrôlable. Les " 10 000 esclavons " (qui évoquent le célèbre quai des Esclavons de Venise) désignent les Slaves du Sud qui combattaient pour la Sérénissime. Simultanément, Bonaparte pratique la politique du fait accompli : l'occupation, le gouvernement provisoire, puis les négociations de paix.
Bonaparte mystifie non seulement les Vénitiens, mais aussi le Directoire, en jouant sur l'opinion française, qui aspire à la paix. A l'été 1797, si le Directoire s'oppose aux négociations de paix, il se perd immédiatement dans l'opinion, qui le rendra responsable de la reprise de la guerre. Bonaparte veille lui-même à mettre en scène ses capacités à administrer et à légiférer, aussi bien que son génie militaire tout en jouant de son physique frêle et de sa simplicité.
Mais le " vaincœur " sait aussi faire pression en menaçant d'un retour de l'armée à Paris. L'apostrophe comminatoire au groupe royaliste de Clichy, " Si vous y obligez, les soldats d'Italie viendront à la barre de Clichy avec leur général ; mais malheur à vous ! ", sera suivie de l'envoi, en août 1797, du général Augereau pour occuper militairement Paris et soutenir le gouvernement du Directoire. En réalité, Bonaparte n'ignorait pas que la perspective de son retour à Paris, en pleine gloire, à la tête de ses légions, inquiéterait aussi le Directoire !
Andrée CHAULEUR et Roger DRUE De Dagobert à de Gaulle, écritures de France Paris, Dessain et Tolra, 1985.Amable de FOURNOUX, Napoléon et Venise, l’Aigle et le Lion Paris, Fallois, 2002.Annie JOURDAN Napoléon.Héros, imperator, mécène Paris, Aubier, 1998.Jean TULARD (dir.) Dictionnaire Napoléon Paris, Fayard, 1987.Jean TULARD Napoléon ou le Mythe du sauveur Paris, Fayard, 1986.Michel VOVELLE Les Républiques sœurs sous le regard de la Grande Nation, 1795-1803 Paris, L’Harmattan, 2000.
Luce-Marie ALBIGÈS, « Bonaparte relate la prise de Venise », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bonaparte-relate-prise-venise
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