La Grande armée du bloc national s'en va-t-en guerre…
Votez pour le parti radical socialiste car… le cartel de droite est contre
Chevalier de la réaction : voter pour le candidat radical socialiste c'est voter contre les renégats
La Grande armée du bloc national s'en va-t-en guerre…
Auteur : DUKERCY Pierre
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1928
Date représentée : 1928
H. : 33 cm
L. : 150 cm
Domaine : Affiches
© Pierre Dukercy © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF22245
Le Cartel des gauches de 1924
Date de publication : Mars 2007
Auteur : Alexandre SUMPF
L’apogée du parti radical-socialiste : le Cartel des gauches de 1924
En 1919, les Français, traumatisés par quatre années de guerre totale, élisent une Chambre dite « bleu horizon » car nombre d’anciens combattants y siègent. Cette « Chambre introuvable » consacre la victoire du Bloc national, une coalition de partis de droite et du centre qui souhaitent prolonger l’« Union sacrée » du temps de guerre. La période qui s’ouvre est marquée, à droite, par la volonté de reconstruction d’un pays dévasté et par l’acharnement sur l’adversaire allemand ; à gauche, par le désir du maintien de la paix et du règlement de la question sociale.
En 1919, l’article 231 du traité de Versailles rend l’Allemagne responsable de la guerre et autorise la France à lui réclamer des réparations. Exaspéré par la lenteur du processus, Poincaré fait envahir la Ruhr par l’armée française, en janvier 1923. S’ajoutant à la non-satisfaction des revendications sociales, cette décision provoque la rupture tonitruante des radicaux-socialistes de Herriot avec la majorité du Bloc national.
La campagne pour les élections de mai 1924 est aussi violente que celle de 1919, mais elle oppose cette fois-ci gauche et droite. La scission de la S.F.I.O. entre socialistes et communistes, lors du congrès de Tours de décembre 1920, permet d’envisager l’alliance entre socialistes républicains et un parti radical-socialiste reconstitué autour des valeurs clefs de laïcité et de justice sociale. La victoire de la gauche est aussi nette que l’avait été celle du Bloc national ; mais la majorité composite est bien fragile.
Images d’une France écartelée
Les trois affiches de Dukercy – pseudonyme de Pierre Mejecaze (1888-1945) – illustrent la reconfiguration des forces politiques au sortir de la Grande Guerre. Deux compositions horizontales ont ponctué la campagne électorale victorieuse du Cartel des gauches, en 1924. La troisième affiche a quant à elle probablement servi lors de la campagne électorale de 1928.
L’affiche « La « Grande Armée » du Bloc national » se lit de gauche à droite, en partant de l’épique titre pour aboutir au commentaire final sur les personnages. Le premier d’entre eux, reconnaissable à sa moustache et dénoncé par le titre du journal L’Écho de Paris, est le général de Castelnau (1851-1944), qui a pris la tête de la Ligue des patriotes à la mort de Barrès. Le ent de la République Alexandre Millerand (1859-1943), lui, ferme la marche de cette manifestation héroï-comique. Leur troupe : les bigots, les autonomistes bretons soutenus par le parti communiste (faucille et marteau sur la manche), le grand capital qui menace.
Les tonalités bleu (la droite), jaune (l’anti-rouge) et noir (clergé et fracs de la haute société) dominent également l’affiche contre le « Cartel des droites ». Horizontale, elle propose un autre ordre de lecture, de haut en bas et du centre vers la périphérie. En témoigne la position de Millerand au cœur d’une coalition hétéroclite. Le dessin vise ici des personnalités politiques précises, notamment : le général de Castelnau ; André Maginot (1877-1932), qui se distingue par sa haute taille ; Ernest Billiet (1873-1939), qui prête ses traits à la Haute Finance en tant que président de l’Union des intérêts économiques, principal soutien du Bloc national ; Louis Marin (1871-1960), dirigeant de l’Union républicaine démocratique.
Ce procédé d’attaque ad hominem se concentre sur une seule personnalité dans la dernière affiche. Henry Franklin-Bouillon (1870-1937, membre critique et sécessionniste du parti radical-socialiste) voit son nom de famille détourné par la proximité avec Godefroy de Bouillon, l’un des principaux acteurs de la première croisade (1095). Deux personnages déjà connus l’adoubent : le général de Castelnau en croisé et André Maginot, distingué encore une fois par un nez d’ivrogne. La tonalité violette, symbole de la papauté, sature l’affiche afin d’insister sur le catholicisme des protagonistes.
Les caricatures de Dukercy au service d’une nouvelle pédagogie politique
Les trois affiches de Dukercy usent d’une stratégie de stigmatisation en images de l’adversaire et, dans leur texte, rejettent les valeurs que défend le parti radical-socialiste. L’emploi de métaphores militaires ou douanières, la rhétorique opposant les adversaires renégats aux justes radicaux, illustrent l’influence durable de la Grande Guerre dans le champ politique. Deux thématiques se superposent ainsi : le retour du Bloc des gauches de 1902, et la rupture profonde avec la logique de l’Union sacrée qui a prévalu au moins entre 1914 et 1917.
Le Bloc dirigé par Émile Combes a imposé la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Les trois dessins dénotent le fort anticléricalisme de Dukercy, qui s’en prend constamment au général de Castelnau, croqué comme un bigot antidémocrate « unioniste ». De fait, il a fondé la Fédération nationale catholique en 1924, une ligue qui a soutenu dans la rue la politique d’union nationale de Poincaré en 1926-1928.
C’est pour les mêmes raisons politiques que Millerand, Maginot et Franklin-Bouillon sont visés par le crayon impitoyable de Dukercy. Le premier, qualifié de « renégat », s’est distingué en étant le premier socialiste à avoir participé à un gouvernement « bourgeois », en 1899 ; son virage patriote en 1914 lui a valu d’être élu ent de la République en 1920. Mais dès la victoire du Cartel, en mai 1924, il est contraint à la démission. Quant à Maginot, il s’oppose comme Franklin-Bouillon à la politique pacifiste internationale de Briand et prône la construction d’une ligne de défense fortifiée qui prendra son nom. Avec la bouteille de champagne qui fait allusion à Pierre Taittinger (1887-1965), fondateur des Jeunesses patriotes en 1924, le message est clair : la réaction et le grand capital sont unis en une nouvelle croisade contre la France populaire, laïque et pacifiste, dont les leaders naturels seraient les radicaux-socialistes.
Maurice AGULHON, La République, tome I (1880-1932), Paris, Hachette, coll. « Pluriel », nouvelle édition augmentée, 1990.
Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrations, 1914-1929, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.
Serge BERSTEIN, Histoire du parti radical, Paris, P.F.N.S.P., 1982.
Jean-François SIRINELLI (dir.), Les Droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992.
Alexandre SUMPF, « Le Cartel des gauches de 1924 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cartel-gauches-1924
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