Manifestation de fascistes
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1922
Date représentée : Octobre 1922
H. : 13 cm
L. : 18 cm
Autre titre : La Marche sur Rome.
Photographe : Agence Rol.
Personnages représentés : Michele Bianchi, général De Bono, Cesare Maria De Vecchi, Benito Mussolini, Italo Balbo
Domaine : Photographies
Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica
EI-13 (954)
Rome, 1922 : l’autre révolution d’octobre
Date de publication : Novembre 2024
Auteur : Alexandre SUMPF
Marche ou grève
En 1922, l’Italie du roi Victor-Emmanuel III s’enfonce dans une crise politique qui scelle l’échec du Risorgimento, la renaissance de l’État par unification de tous les Italiens. Malgré l’entrée en guerre aux côtés de l’Entente, le 23 mai 1915, l’Italie n’a pas obtenu entière satisfaction lors de la Conférence de la Paix de Paris, en 1919 : la Dalmatie où vit une forte minorité italienne a été attribuée à la Yougoslavie.
Traumatisés par des années de guerre en montagne et la terrible défaite de Caporetto (début novembre 1917) (1), les anciens combattants peinent à retourner à la vie civile et s’organisent en milices, les squadri. Dans le nord de la péninsule, les ouvriers séduits par la révolution communiste de Lénine revendiquent de nouveaux droits et bloquent les usines ; leurs camarades ouvriers agricoles tentent aussi de faire céder les grands propriétaires terriens du centre et du sud. Lors de ce bienno rosso (2) émergent les faisceaux italiens de combat, mouvement qui se donne pour objectif une révolution anticommuniste, étatiste et nationaliste. Ses membres menés par l’ancien dirigeant socialiste Benito Mussolini font le coup de poing contre les « rouges », avec le soutien matériel mais prudent de l’élite économique.
Le 9 novembre 1921, Mussolini fonde le parti national fasciste (P.N.F.) et revendique le pouvoir. Une partie de la classe dirigeante résiste, et le roi renâcle. Fin octobre 1922, le futur Duce (3) met en scène un coup d’État théâtral pour arracher sa nomination : c’est la « Marche sur Rome ».
Marche militaire
Comme d’autres prises pendant ces journées, cette photographie présente au public italien la direction fasciste : Mussolini se détache au centre en portant le frac, les souliers vernis, les guêtres blanches de la belle société et dans le cas présent des hommes politiques. Il est entouré de quatre hommes en chemise noire, emblème des fascistes italiens, dont deux portent plusieurs rangées de médailles.
Tout à gauche, le premier des quadriumvirs est le journaliste Michele Bianchi (1883-1930), ancien militant socialiste, fondateur des Faisceaux et véritable révolutionnaire. À sa gauche, on reconnaît à sa barbe blanche Emilio de Bono (1866-1944), militaire de carrière, héros de la Grande Guerre, récemment élu sénateur sur la liste du P.N.F. À la droite de Mussolini se tient Cesare Maria de Vecchi (1884-1959), avocat turinois vétéran de 14-18, député P.N.F. et incarnation de l’aile monarchiste modérée du parti. Enfin, à la gauche de Mussolini se dresse Italo Balbo (1896-1940), squadriste de choc.
Les cinq hommes marchent au milieu d’une rue, sans rencontrer d’opposition, au milieu d’une haie d’honneur serrée (sur quelques rangs) d’où s’élèvent les étendards fascistes. Au dernier plan, on distingue quelques soldats qui n'interviennent pas, se contentant d’observer la scène.
Ça marche pour Mussolini
Le cliché, célèbre, pourrait avoir pour auteur Adolfo Porry-Pastorel, qui sera ultérieurement connu comme le « photographe du Duce ». Si ce photojournaliste a bien entendu couvert les événements des 28-31 octobre 1922, son fonds à l’Institut Luce ne conserve pas cette photo-là, mais d’autres très ressemblantes. Quoi qu’il en soit, le reporter anonyme semble saisir l’instant de la transformation de Mussolini de chef de mouvement à homme d’État.
En réalité, la scène se déroule non à Rome, comme on le croit souvent, mais à Naples : le 24 octobre, une convention du P.N.F. fait office de répétition générale pour le putsch. En bon acteur, Mussolini y teste son costume et son rôle de respectable chef de parti. Or, malgré l’échec de la Marche sur Rome le 28 octobre – facilement arrêtée par quelques centaines de carabiniers, et utopique étant donnée la défense de la capitale par une garnison de 28 000 hommes – le leader fasciste refuse d’entrer dans un gouvernement qui aurait été dirigé par Antonio Salandra (4). Le ralliement du patronat industriel et agricole, le soutien de dirigeants politiques comme Giolitti (5), et la peur de mécontenter les nombreux sympathisants du fascisme, font plier le roi.
Quand il reçoit Mussolini le 30 octobre, celui-ci porte la chemise noire et la ceinture tricolore et prétend sortir « tout droit de la bataille ». Loin de se rallier au régime en adoptant son uniforme, il marque ainsi la victoire de la violence politique.
Emilio Gentile, Soudain le fascisme. La marche sur Rome, l’autre révolution d’octobre, Paris, Gallimard, 2015.
Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999.
Didier Musieldak, La marche sur Rome : entre histoire et mythe, Paris, Sorbonne Université Presses, 2022.
1 - Bataille de Caporetto (24 octobre-9 novembre 1917) : l'armée austro-hongroise lance une offensive près de Trieste sur le front de l'Isonzo. Le front italien s'effondre au niveau de Caporetto, c'est la plus grande et la plus sanglante défaite italienne : 300 000 soldats prisonniers, 350. 000 en déroute, 40 000 morts et blessés, 400 000 civils sont obligés de fuir le Frioul et la Vénétie. Ce désastre marque durablement la mémoire des Italiens, notamment dans l'après-guerre.
2 - Bienno rosso : 1919-1920 sont les deux années rouges (le bienno rosso), l'agitation sociale et politique secoue l'Italie dans le sillage de la Révolution d'Octobre en Russie.
5 - Duce : vocable italien signifiant le guide, surnom de Benito Mussolini.
4 - Antonio Salendra (1853-1931) : conservateur et libéral, Salendra est le président du conseil italien de 1914 à 1916. Après la Grande guerre, il soutient l'accession au pouvoir de Mussolini.
5 - Giovanni Giolitti (1842-1928) : président du Conseil italien pendant 11 ans (1903-1905, 1906-1909 ; 1911-1914), Giolitti, favorable à la neutralité de l'Italie pendant la Grande guerre, est remplacé par Salendra en 1914. Il redevient président du Conseil italien en 1920 mais ne réussit pas à calmer l'agitation politique italienne. Il n'adhère pas au P.N.F. et après l'assassinat de Matteotti, il entre en opposition puis se retire de la scène politique.
Triple Entente : Ou Entente. Alliance élaborée entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie à partir de 1898 pour contrebalancer la Triple Alliance (ou Triplice), formée par l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie.
Alexandre SUMPF, « Rome, 1922 : l’autre révolution d’octobre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rome-1922-autre-revolution-octobre
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