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Les Formes acerbes.

Les Formes acerbes.

Acte de Justice du 9 au 10 thermidor

Acte de Justice du 9 au 10 thermidor

Le triomphe de la guillotine.

Le triomphe de la guillotine.

Les Formes acerbes.

Les Formes acerbes.

Date de création : 1795

Date représentée : 1793-1794

H. : 33,6 cm

L. : 37,8 cm

eau-forte. D'après un dessin de Louis LAFITTE (1770-1828)

Domaine : Estampes-Gravures

© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet

Lien vers l'image

G.26539

Thermidor et l'imaginaire de la Terreur

Date de publication : Janvier 2009

Auteur : Mehdi KORCHANE

Après la mort du roi le 21 janvier 1793, la jeune République française a dû faire face à de multiples offensives royalistes et contre-révolutionnaires, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Pour établir l’unité politique nationale indispensable à la préservation des acquis de la Révolution et à sa victoire contre les coalisés, la Convention a instauré une politique de contrôle du territoire, assortie de mesures d’exception, répressives et punitives. Durant les seize mois que dura la Terreur – de la création du Tribunal révolutionnaire (10 mars 1793) à la chute de Robespierre (27 juillet 1794) –, la peur est devenue un moyen de gouvernement ; la réduction des libertés individuelles et la violence ont constitué le régime ordinaire des Français. Tout au long de cette période, les citoyens ont gardé le silence et retenu leur souffle. Ils ont tu la « terreur » que la menace des visites domiciliaires, des dénonciations abusives et l’ombre de la guillotine faisaient peser sur les familles. La chute de Robespierre et de ses fidèles, le 9 thermidor an II, leur rend la parole. Les procès des « chevaliers de la guillotine » qui se succèdent en série sont le théâtre expiatoire où se représente le spectacle des exactions commises par les terroristes et leurs agents.

Mais la Terreur sécrète aussi un imaginaire fantasmatique que les contemporains peinent à dissocier de la réalité. La mémoire collective, parasitée par les rumeurs et les histoires terrifiantes, accroît l’horreur du règne de Robespierre au point de créer « un immense poème dantesque qui, de cercle en cercle, fit redescendre la France dans ces enfers encore mal connus de ceux-là même [sic] qui les avaient traversés. On revit, on parcourut ces lugubres régions, ce grand désert de terreur, un monde de ruines, de spectres » (Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, 1874). Cette catharsis a généré une littérature et une imagerie infernales hantées par des acteurs politiques devenus bourreaux, tigres et vampires.

La gravure exécutée par Normand d’après un dessin de Louis Lafitte offre, sur un mode allégorique, l’image sans doute la plus sophistiquée du mythe du jacobin cannibale. Elle a été commanditée par un magistrat de Dunkerque dénommé Poirier, pour se venger de Joseph Le Bon et attiser le sentiment d’horreur qu’ont suscité les crimes que ce Conventionnel aurait ordonnés lors de sa mission dans le Pas-de-Calais sous la Terreur. Comme l’indique la légende, celui-ci est « posté entre les deux guillotines d’Arras et de Cambray [Cambrai], tenant deux calices dans lesquels il reçoit d’une main et s’abreuve de l’autre du sang de ses nombreuses victimes ». À sa gauche, « deux furies dignes compagnes de ce cannibale animent des animaux moins féroces qu’elles, à dévorer les restes des malheureuses qu’elles ne peuvent plus tourmenter ; de l’autre sont nombre de détenus de l’un et l’autre sexe, avancés sur le bord du précipice, tendant les mains au ciel, où ils aperçoivent la Convention Nationale, à qui la justice dévoile la vérité ». Le Bon s’était d’autant plus perdu aux yeux de l’opinion que la cruauté dont il fit preuve après la victoire républicaine de Fleurus, le 26 juin 1794, contrastait avec la modération qu’il avait démontrée au cours de sa carrière politique. Il est ainsi devenu, après le 9 Thermidor et avec Robespierre, le symbole d’un régime sanguinaire. Dénoncé à la Convention en juillet 1794, il fut défendu par Barère, qui concéda que l’action de l’inculpé avait pris des « formes acerbes ». L’estampe ainsi intitulée fut publiée le 13 mai 1795, une semaine après la nomination d’une commission chargée d’examiner la conduite passée de Le Bon. Traduit devant le tribunal criminel de la Somme le 17 juillet de la même année, il fut condamné à mort et exécuté le 16 octobre à Amiens.

La gravure Les Formes acerbes se distingue par sa grande qualité d’exécution, par une composition rigoureuse, une gestuelle expressive et des anatomies rondement dessinées. L’Acte de Justice du 9 au 10 Thermidor gravé par Viller n’est pas moins élaboré, mais son efficacité tient à des effets opposés à ceux de Lafitte. Deux gorgones au corps disgracieux s’acheminent vers un autel en forme d’ossuaire enflammé ; elles ont saisi des têtes coupées, parmi celles qu’un démon déverse dans leur antre infernal : ce sont celles des « tyrans », précipités dans les enfers par la même justice sommaire qu’ils ont instaurée. Le dessin « ignoble » et irrégulier des figures vise à susciter l’horreur, de même que le lieu, rendu chaotique par la fumée, les ténèbres et les fosses emplies de cadavres. L’exécution rapide de la gravure est propre à une production d’images populaires destinées aux étals des marchands.

Le Triomphe de la guillotine (peint d’après un tableau attribué à Nicolas Antoine Taunay et conservé au musée de l’Ermitage) inscrit les personnages, institutions et exactions de la Terreur dans un lieu apocalyptique. En haut de la composition une horde d’artistes lyriques et de poètes jacobins, conduite par David (il tient une palette et un chevalet), traverse un nuage de fumée au milieu des éclairs. À mi-hauteur à droite siège le Tribunal révolutionnaire. Une montagne surmontée d’une guillotine se détachant sur un fond embrasé lui fait face. En bas, un cortège envahit l’espace par la droite : Robespierre et Saint-Just y sont portés en triomphe, précédés de Marat, traîné dans sa baignoire. Des scènes de tuerie et de cannibalisme se déploient au premier plan. Cette débauche effraie jusqu’aux démons de l’Enfer qui s’enfuient à gauche, abandonnant leurs abîmes enflammés à ces envahisseurs. Le peintre exploite un langage iconique très circonstancié et un imaginaire démoniaque qui renvoient tous deux à l’art de Jérôme Bosch. La scénographie accidentée rappelle les fantasmagories et autres spectacles pyrotechniques produits sous la Révolution. Enfin, ce Triomphe de mascarade est dépeint sur un mode satirique qui tient à la fois du pamphlet et du théâtre populaire : il peut être rapproché de pièces telles que Les Jacobins en enfer d’Hector Chaussier, jouée au théâtre des Variétés amusantes le 2 germinal an III (22 mars 1795).

L’imaginaire terrifiant et le fantasme surgissent dès lors que la déraison semble imprimer son cours à l’histoire. Incapable de conceptualiser la Révolution, le philosophe et parlementaire anglais Edmund Burke n’avait pas trouvé d’autres images que celles du roman noir pour représenter le cataclysme politique qui ébranlait la monarchie française en 1790 : « De la tombe de ce cadavre de la monarchie, nous avons vu s’élever un immense, épouvantable spectre, avec un appareil mille fois plus terrible que ce qui jamais effraya l’imagination ou subjugua le courage de l’homme. Insensible au remords, inaccessible à la crainte, ce fantôme hideux s’avance, en dévorant l’espace, droit au but qu’il s’est fixé » (Réflexions sur la Révolution de France, 1790). Au lendemain du 9 Thermidor, il ne fait aucun doute que la fiction a rattrapé la réalité ; les clichés du roman gothique – né outre-Manche et promis à un grand succès en France – s’enracinent d’autant plus dans la culture thermidorienne que son imaginaire macabre a fait une irruption violente dans la vie publique au cours de la Terreur. Au travers de la satire, du récit terrifiant ou compassionnel, c’est une histoire révisée de la Révolution que réécrit la mémoire collective, encore sous l’emprise d’une émotivité à fleur de peau. Mais l’irrationnel qui la caractérise n’est cependant pas nécessairement le signe d’un retournement de l’opinion et d’une hostilité croissante à l’égard de la Révolution, il s’explique plutôt par l’incapacité à trouver du sens à la Terreur. Ce problème sera finalement résolu en assimilant ce tragique intermède à une contre-révolution. « Ça a été l’exercice d’une tyrannie farouche et sanglante, et non un abus ou un accès de la liberté », résumera Roederer en 1799.

Daniel ARASSE, La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, 1987.

Bronislaw BACZKO, Comment sortir de la Terreur. Thermidor et la Révolution, Paris, Gallimard, 1989.

Antoine de BAECQUE, La Gloire et l’effroi. Sept morts sous la Terreur, Paris, Grasset, 1997.

Mehdi KORCHANE, « Thermidor et l'imaginaire de la Terreur », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/thermidor-imaginaire-terreur

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