Allégorie de la foi catholique
Auteur : VERMEER Johannes
Lieu de conservation : The Metropolitan Museum of Art (New York)
site web
Date de création : 1670–1672
H. : 114,3 cm
L. : 88,9 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
Domaine Public © CC0 The Metropolitan Museum of Art
32.100.18
Vermeer et la foi catholique
Date de publication : Septembre 2023
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Images et religions dans les Provinces-Unies
En août 1566, sous l’impulsion de prêcheurs protestants, une vague de destructions d’œuvres d’art catholique secoue les Flandres. L’épisode connu sous le nom de « furie iconoclaste » ne dure que quelques semaines, mais il marque durablement les esprits. D’autant plus qu’il intervient dans le contexte des révoltes qui précèdent la guerre de Quatre-Vingts Ans, déclenchée en 1568, qui se solde par la naissance des Provinces-Unies majoritairement protestantes, lesquelles obtiennent définitivement leur indépendance en 1648. Parmi les facteurs économiques, politiques et religieux qui ont présidé à la création de ce nouvel État, l’image joue par conséquent un rôle non négligeable. La société qui s’est ainsi constituée entretient avec elle un rapport paradoxal. D’un côté, une bonne partie des protestants néerlandais, en particulier les calvinistes (1), rejette les images trop ostensiblement religieuses y voyant une forme d’adoration des idoles condamné par le Deuxième Commandement (2) ; d’un autre côté, les tableaux de peinture font l’objet d’une spéculation telle qu’apparaît pour la première fois à Amsterdam un véritable marché de l’art. Cette situation est favorisée à la fois par la prospérité que connaissent les Provinces-Unies à cette période et par la tolérance religieuse qui y règne. Si le protestantisme est la seule religion officiellement reconnue, la société néerlandaise reste largement multiconfessionnelle, la liberté de conscience individuelle garantie, et les minorités catholiques ou juives tolérées. Le peintre Johannes Vermeer est à l’image de cet environnement : calviniste de naissance, il s’est converti au catholicisme en se mariant avec Catharina Bolnes en 1653 à Delft, où il est né. Un peu moins de vingt ans plus tard, il peut même honorer une commande, passé par des catholiques, peut-être même des jésuites, dont le contenu explicite est bien résumé par le titre qui lui a été donné a posteriori : Allégorie de la foi catholique. De format supérieur à la moyenne de ses œuvres, à l’exception notable des peintures religieuses de ses débuts, comme Le Christ dans la maison de Marthe et Marie (vers 1654-1656), ou de son manifeste artistique, L’Art de la peinture (vers 1666), l’Allégorie de la foi catholique déroute surtout les spécialistes de Vermeer en raison de son caractère explicite. Depuis le XIXe siècle où Théophile Thoré-Bürger le surnomma le « Sphinx de Delft », Vermeer passe en effet pour un peintre énigmatique. Or, l’Allégorie de la foi catholique semble au contraire conçue pour permettre aux énigmes qu’elle contient d’être résolues sans difficulté, pourvu que le spectateur maîtrise l’iconographie mobilisée.
Une allégorie explicite
La figure féminine personnifie la foi. D’abord discrètement par les couleurs de sa robe (blanc pour l’innocence, or pour la pureté, bleu pour le ciel), puis de manière plus emphatique à travers sa gestuelle. La main sur le cœur indique la passion qui l’anime, son regard la direction qu’elle suit, à l’image des saintes en extase, son pied le monde sur lequel elle règne, comme le Christ tient dans sa main le globe lorsqu’il est représenté en « sauveur du monde » (salvator mundi) (détail 2).
Plus bas encore, Vermeer a représenté l’emblème du Mal écrasé par elle : un serpent dont le sang se répand au-devant du tableau, non loin d’une pomme qui rappelle la chute originelle et fait de la foi chrétienne le signe de la Rédemption (détail 1). Aucun autre de ces signes ne manque. Sur l’autel sont posés une bible ouverte, un calice et un crucifix (détail 2).
Lequel redonde avec la figure du Crucifié peinte à l’arrière-plan, cette fois par un contemporain de Vermeer : Jacob Jordaens (1593-1678), natif d’Anvers où il répondit à de nombreuses commandes catholiques, bien qu’il se fût peut-être converti secrètement au protestantisme, suivant un chemin inverse à celui de Vermeer. Ce tableau de Jordaens dans le tableau de Vermeer figurait dans la collection de la belle-mère du peintre delftois, Maria Thins. Il réunit une partie des figures (la Vierge, Marie-Madeleine, saint Jean l’Évangéliste) qui en composent la grande version conservée aujourd’hui par le musée des beaux-arts de Rennes.
Sous son rapport aux symboles, l’Allégorie de la foi catholique est donc ce qu’il convient d’appeler un tableau « bavard », ou à tout le moins rhétorique, comme le souligne le lourd rideau dont le soulèvement fait figure d’exorde visuel. Ce défaut inciterait presque à négliger les qualités picturales intrinsèques du rideau (détail 4) en particulier comme de la peinture de Vermeer elle-même, bien qu’elles soient comparables à celles du reste de son œuvre. À bien des égards, en effet, cette peinture tardive (peut-être la dernière qu’ait réalisée Vermeer avant sa mort en 1675) pourrait en fournir la « clef », comme le suggère ce détail singulier que constitue la boule de verre suspendue au plafond (détail 3), et dont l’élucidation est plus malaisée que celle des autres accessoires de la composition.
Un tableau destiné à un public choisi
Un recueil d’emblèmes sacrés composé à Anvers en 1636 par le jésuite Willem van Hees (dit Guilelmus Hesius) explique que la sphère translucide constitue un symbole de la foi en ce qu’elle « contient ce qu’elle ne comprend pas. ». Autrement dit, la foi appartient au domaine des mystères, de ce que le croyant ressent sans être à même d’en expliciter les causes. Sous ce rapport à la théologie, la boule suspendue où se reflète les fenêtres qui éclairent l’espace devant le rideau, constitue un symbole au même titre, par exemple, que le calice, qui renvoie au mystère et au sacrement de l’eucharistie, dont les protestants récusaient que le vin et l’hostie contiennent effectivement le corps et le sang du Christ. La difficulté d’interprétation que pose ce détail autorise donc à penser que l’Allégorie de la foi catholique était destinée à des commanditaires versés dans les arcanes de la symbolique catholique. Il s’agissait peut-être de jésuites, comme l’auteur du recueil d’emblèmes, dont la présence clandestine était attestée à Delft. Dans tous les cas, une telle image n’aurait pu être exposée à la vue des concitoyens protestants du peintre, fussent-ils tolérants. Mais le catholicisme ostentatoire du tableau de Vermeer n’est pas incompatible avec l’ambition artistique de ce dernier, comme l’a démontré Daniel Arasse, qui a proposé cette interprétation, dont le principal mérite est de conjoindre les aspects artistiques et théologiques de la peinture en question. L’historien de l’art suggère en effet que, dans une certaine mesure, tous les tableaux de Vermeer contiennent quelque chose que ses spectateurs ne comprennent pas, et qui constituerait sa part de mystère. En sorte que la boule suspendue de l’Allégorie de la foi catholique revêt aussi la valeur d’un symbole privé, analogue par sa forme à ses équivalents de taille inférieure que sont les innombrables perles caractéristiques du répertoire de détails de la peinture de Vermeer.
Daniel ARASSE, L’Ambition de Vermeer [1993], Paris, Klincksieck, 2016.
René HUYGHE (dir.), Cinq siècles de peinture. Dans la lumière de Vermeer, Paris, musée de l’Orangerie, 1966.
Walter LIEDTKE (dir.), Vermeer and the Delft School, New York, Metropolitan Museum, New Haven et Londres, Yale University Press, 2001.
John Michael MONTIAS, Albert BLANKERT, Gilles AILLAUD, Vermeer [1986], Paris, Hazan, 2017.
Andreas NIJENHUIS, « La coexistence confessionnelle aux Provinces-Unies du Siècle d’or. Pratiques religieuses et lieux de culte dissimulés à Amsterdam », in David DO PAÇO, Mathilde MONGE, Laurent TATARENKO (dir.), Des religions dans la ville.
Ressorts et stratégies de coexistence dans l’Europe des XVIe- XVIIIe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 57-82.
1 - Calvinisme : la doctrine de Jean Calvin (1509-1564) s'inscrit dans les pas du réformateur Martin Luther (1483-1546) en l'infléchissant. Calvin centre sa doctrine sur Dieu et non sur le Christ et précise celle de la double prédestination. Il organise la structure de l'Église qui devient l'Église réformée.
2 - Deuxième Commandement (Bible, Exode) : Il s'agit de l'un des 10 commandements dictés par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï pendant l'Exode : Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point (...).
Paul BERNARD-NOURAUD, « Vermeer et la foi catholique », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/vermeer-foi-catholique
D'autres études sur les oeuvres de Johannes Vermeer : La Jeune fille à la perle, La Dentellière , L'Astronome.
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