"Espoir", journal du stalag V C, page 2
Une de "Au service du Maréchal", journal du Stalag X C
Une de "Camp. Quand ?" Journal du Stalag IV/F
Une de "Reflets" Journal du camp Stalag IV C
"Espoir", journal du stalag V C, page 2
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Date de création : 1942
Dessinateur : G. Tisserand.
Organe de liaison des Prisonniers du stalag V C, page 2
Domaine : Presse
Domaine Public © CC0 Collections La contemporaine, Nanterre
4 P RES 1071
Nouvelles du Stalag
Date de publication : Décembre 2023
Auteur : Alexandre SUMPF
Une guerre pas drôle
Quand fleurissent les journaux de Stammlager (camp pour soldats prisonniers de guerre) et d’Offlager (pour les officiers), dès l’automne 1940, les camps de prisonniers hébergent environ 1,8 million de soldats français. Si un petit nombre parvient à obtenir sa libération avant 1945, pour cause d’invalidité ou dans le cadre de la Relève (envoi de volontaires pour travailler en Allemagne), plus d’1,5 million subissent la condition concentrationnaire pendant les cinq années de conflit.
Le passage de la liberté à la captivité a été rapide : après la guerre assise (expression allemande pour la Drôle de guerre, période sans combats entre septembre 1939 et juin 1940), la campagne de France a été une guerre en courant – loin des Allemands, dans toutes les directions, sans commandement ni stratégie, sauf rares exceptions.
Les autorités nazies ont veillé à distribuer les camps dans toutes les régions, notamment pour que les simples soldats travaillent à l’effort de guerre. Le Stalag (1) IV C se situe à Bystřice près des mines de fer au cœur des Sudètes annexés, le Stalag IV F à Hartmannsdorf en Saxe, le Stalag V C à Offenburg dans le Bade et le Stalag X C à Nienburg en Basse-Saxe. Les dessinateurs sont des prisonniers de guerre français, qui parfois signent comme le Maréchal des Logis André Goguer, né en 1914, qui signe la belle couverture de Camp. Quand ? ; ou G. Tisserand, qui croque ses camarades dans Espoir.
L’espoir fait vivre
À Offenburg, G. Tisserand est désigné dessinateur par ses camarades. Comme dans une vraie revue, il s’amuse à dessiner les vingt-quatre camarades constituant la rédaction de cet organe de liaison. Le trait est fin, les victimes présentées de face (avec plus de précision et de gentillesse) ou de profil – en plus petit, et avec une tendance plus nette à la caricature. Le ton de l’adresse se veut badin et humoristique, le texte engage à jouer au jeu des devinettes.
Contemporaine mais ronéotypé et non imprimé, le Bulletin d’informations françaises de Nienburg choisit un titre et une couverture nettement plus politisés : Au service du Maréchal se détache en capitales rouges sur fond de francisque tricolore, se superposant elle-même à une sentence de Pétain sur l’esprit prisonnier de guerre et deux extraits de ses discours.
Dessinée par André Goguer, la couverture de Camp. Quand ? s’essaie au jeu de mots dans le style de l’almanach Vermot et propose une vision plus dynamique de la situation. Dans un hommage peut-être inconscient au premier film de cinéma, une locomotive à vapeur troue l’enceinte barbelée du camp et se précipite vers le lecteur. Le camp, c’est maintenant, et la sortie, c’est pour quand ?
La couverture de Reflets en janvier 1944 arbore elle aussi la francisque, soulignée par le liseré bleu-blanc-rouge et réhaussée par les sept étoiles de maréchal elles-mêmes tricolores. Sous l’éditorial signé Ch. Vergereau, un dessin anonyme en clair-obscur fait penser à une gravure. Tout en haut à gauche luit une lune au profil particulier – celui d’une France (docilement amputée de l’Alsace-Moselle) qui projette ses rayons cosmiques sur trois soldats. Les barbelés au premier plan à gauche, le mirador et les trois baraques sériées à droite signalent que ce sont des prisonniers. Celui qui se tient debout présente ses paumes, le deuxième, agenouillé, a joint ses mains : ces rayons sont aussi mystiques. Les traits du visage de profil du second et de celui de trois-quarts du troisième, très génériques, soulignent la souffrance : cela fait déjà plus de trente mois qu’ils végètent dans les Sudètes.
Maréchal, où on va ?
L’ensemble des soixante-dix-huit titres numérisés par les soins de La Contemporaine, à Nanterre, brille par son unanimisme politique. En effet, ces publications autorisées par la censure nazie – en témoignent les tampons ad hoc – n’ont vocation ni à exprimer les opinions politiques, ni à appeler à la révolte. En couverture d’Au service du Maréchal, Pétain invoque l’esprit prisonnier de guerre – une variante de l’esprit guerrier et de l’esprit français adapté aux sombres circonstances. Les rédacteurs professent un maréchalisme de rigueur et toléré par les nazis, peut-être avec sincérité : après tout, il est le vainqueur de Verdun, le chef de l’État français qui seul peut les sauver, celui qui organise la Relève, celle-là même qui a privé Espoir de son premier dessinateur et cofondateur, Pétain encore qui lance des concours de la meilleure lettre au papa prisonnier.
La fonction éditoriale peut aussi servir de couverture à un militantisme gaulliste ou communiste réprimé lui par les nazis, et en tout cas à une activité de Résistance. Du point de vue allemand, ces publications canalisent l’expression des mécontentements, servent de source féconde d’informations sur l’état d’esprit régnant au camp, et visent aussi à démontrer à Vichy et aux organismes humanitaires que les Français sont bien traités. Les dessins en couverture et à l’intérieur des pages évitent de représenter les gardiens allemands et de manière générale n’osent pas conserver le ton satirique des journaux de tranchées de la Drôle de guerre.
Jean-Claude Catherine (dir.), La captivité des prisonniers de guerre. Histoire, art et mémoire : pour une approche européenne, Presses universitaires de Rennes, 2008.
Rémi Dalisson, Les soldats de 40. Une génération sacrifiée, Paris, CNRS Éditions, 2020.
Yves Durand, La Vie quotidienne des prisonniers dans les stalags, offlags et kommandos, 1939-1945, Paris, Hachette, 1987.
1 - Stalag : camp des prisonniers de guerre en Allemagne pendant la Seconde guerre mondiale.
Alexandre SUMPF, « Nouvelles du Stalag », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/nouvelles-stalag
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