Danger - Ne cours pas ce risque
Prisonniers déportés. Profitant de vos convois...
Danger - Ne cours pas ce risque
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 40 cm
L. : 26 cm
Imprimeur : Burrups Printing Group Ltd, Londres.
Publication du Ministère des prisonniers, déportés et réfugiés.
Domaine : Affiches
Domaine Public © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF30920-3
Retours & refoulés
Date de publication : mai 2023
Auteur : Alexandre SUMPF
Liberté conditionnelle
La libération progressive de l’Europe à la fois à l’Ouest et à l’Est s’accompagne d’un intense mouvement de population où se mêlent réfugiés, anciens prisonniers de guerre et anciens déportés. Les gouvernements alliés tentent de mettre de l’ordre dans ce chaos en canalisant au maximum les flux – thème de DANGER. Ne cours pas ce risque – et en traquant ceux qui tentent de faire oublier leur engagement du côté ennemi – sujet explicite de Prisonniers, Déportés… Entre l’été 1944 et l’hiver 1945, deux ministères du Gouvernement provisoire de la République française s’adressent directement aux concitoyens concernés. Imprimée à Londres, sans doute en 1944, DANGER… fait partie de la communication de l’instance chargée de gérer ces retours croisés, dans une situation militaire encore très instable. Prisonniers, Déportés… porte elle une signature, Mth Auffray, qui ne nous avance guère puisque ce serait la seule réalisation de cet illustrateur, en tout cas sous ce nom. Cette fois, c’est le 5e Bureau, donc le renseignement militaire, qui demande l’aide de ceux qui rentrent de camp pour dénoncer les criminels de guerre qui se cachent peut-être dans la foule. La restauration d’un pouvoir légitime passe donc à la fois par la capacité à rapatrier ses ressortissants et à restaurer le monopole étatique de la justice pour faire cesser l’épuration sauvage. Celle-ci frappe partout sur le territoire, et se traduit par des jugements sommaires, des lynchages et des assassinats discrets.
Attentifs, ensemble
DANGER… fait le choix d’une composition graphique audacieuse et d’une adresse très directe passant par le tutoiement. Sur un fond rouge sang se détachent trois éléments. En haut, en larges majuscules blanches, le mot « danger » commande le regard. Au milieu est insérée une photographie en noir et blanc. En bas, sur le fond blanc obtenu par la prolongation de la jambe droite du A de danger, se détache en lettres majuscules noires moins grandes et moins épaisses l’avertissement : Ne cours pas ce risque. Pour dynamiser l’ensemble, un jeu de perspective fait que le cliché est à la fois surimposé au fond rouge dans sa partie supérieure, et serti à l’intérieur du cadre dans sa partie inférieure. On reconnaît la silhouette de dos d’un homme marchant, vêtu de l’uniforme français reconnaissable au calot, mais loin de la tenue règlementaire : un bâton dans la main droite au lieu d’un fusil, un baluchon sur l’épaule gauche au lieu du barda, et surtout le pantalon remonté à mi-mollet.
Prisonniers, Déportés… est plus détaillé et touffu, au risque de moins frapper ceux qui lisent l’affiche. La composition se scinde en deux parties verticales, mais aussi en trois plans horizontaux. Les cibles de la campagne sont interpellées tout en haut de l’image, sous le nom du commanditaire. Ensuite, toujours en noir, sur la partie droite de l’affiche, sont désignés les cibles de la dénonciation citoyenne sollicitée : les agents de l’ennemi, les rapatriés suspects et les criminels de guerre. Une subtile hiérarchie place les « suspects » au premier rang de cette chasse à l’homme. Enfin, tout en bas, sur toute la largeur, dans un cadre, on indique la marche à suivre pour porter ces graves accusations. Dans la moitié supérieure, à droite, un flot de rapatriés s’écoule, de plus en plus distinct à mesure que l’on descend. On ne distingue au départ que des silhouettes en kaki (prisonniers de guerre) ou en tenue rayée de déporté, puis trois femmes, un homme en chapeau mou, un autre coiffé de la casquette d’ouvrier. Séparé des autres par le poteau frontalier indiquant l’arrivée en France, le visage dur d’un soldat contraste avec le sourire réjoui de son camarade juste au-dessus. Son ombre se mue en silhouette de soldat de la Wehrmacht, révélant sa véritable identité ; celle de tous les autres personnages, aux contours plus vagues, laisse une trace bleu-blanc-rouge. Les agents de ce processus de filtration se dressent eux sur le côté gauche, de profil, occupant la moitié de la page. Ce prisonnier et ce déporté, faméliques, épuisés, pieds nus et chauve dans le cas du déporté, sont impressionnants de vérité, et frappent par la sévérité de leur doigt pointé.
Retour gagnant ?
Tous ont attendu très, trop longtemps ce moment. Certains, notamment parmi les déportés, périssent au dernier instant, parfois après avoir été libérés. Comment ne pas comprendre que les plus valides, ou les plus obstinés, aient fait le choix de partir sans tarder, dès que possible, surtout s’ils ont pu s’échapper par eux-mêmes ? Ces déplacements spontanés ne conviennent pourtant pas aux autorités françaises, et ce pour plusieurs raisons. Ils se rendent parfois coupables de délits ou de crimes alors que l’heure est au châtiment univoque de l’ennemi. Ils minent le processus de filtration et donc de restauration de la loi de la République. Enfin, en arrivant en ordre dispersé, ils suscitent des frustrations locales et contredisent le discours officiel sur les efforts consentis pour le rapatriement. La diffusion de DANGER a dû rencontrer de nombreux obstacles : on peut douter que l’affiche ait atteint ses cibles premières. Peut-être en était-on conscient au ministère et s’agissait-il aussi, surtout, d’envoyer un signal aux Alliés, en particulier à la très soupçonneuse police militaire américaine.
Prisonniers, Déportés… a forcément su trouver son public, si l’affiche a été placardée dans les centres d’accueil et dans les gares. Elle s’adresse à la fois aux citoyens sommés de faire leur « devoir » et aux suspects, qui se savent recherchés. Pour les déportés, en très mauvaise santé, cette opération n’est pas indolore : certains ont eux-mêmes été victimes de délation, et il faut faire la part entre comportements en situation extrême et convictions profondes des individus. Beaucoup sont trop faibles pour désirer se venger, et la plupart s’accrochent au souvenir des gestes de solidarité qui leur ont permis de survivre. Les « suspects », eux, ont le choix entre s’esquiver le plus rapidement pour, au pire, changer de vie, et prendre l’offensive en dénonçant un autre coupable… ou un innocent. La manœuvre du 5e Bureau comporte en effet une part de risque, qui paraît assumée. Après tout, l’essentiel pour ses agents est de reprendre pied sur le territoire et d’accumuler du renseignement sur tous les acteurs de cette époque trouble.
Marc Bergère, L’Épuration en France, Que-sais-je ?, Paris, 2018.
Marie-Anne Matard-Bonucci, Édouard Lynch (dir.) La libération des camps et le retour des déportés. L'histoire en souffrance, Complexe, Bruxelles, 1995.
Michel Winock, La France libérée, 1944-1947, Perrin, Paris, 2021.
Alexandre SUMPF, « Retours & refoulés », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 02/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/retours-refoules
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