La Croisière jaune.
Autochenille Citroën.
La Croisière jaune.
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
Affiche du film
Domaine : Affiches
© Collections La Contemporaine
AFF 21138f
La Croisière jaune, une conquête de l’Orient pour conquérir l’Occident
Date de publication : Décembre 2010
Auteur : Alexandre SUMPF
1931, année des colonies en France
Trois semaines avant l’ouverture officielle de l’Exposition coloniale de Paris, André Citroën donne le signal du départ à la plus médiatisée et à la plus suivie de ses quatre expéditions continentales de l’entre-deux-guerres : la Croisière Jaune. Après la traversée du Sahara en 1923, puis la Croisière noire (1924-1925), et avant la Croisière blanche dans le Grand Nord américain (1934), il ambitionne cette fois de lancer plusieurs autochenilles sur la mythique route de la Soie pour leur faire traverser l’Asie. Début avril 1931, un groupe part de Beyrouth, l’autre de Tianjin en Chine, et le projet prévoit qu’ils fassent jonction dans le Xinjiang. Également appelée « Expédition Citroën Centre-Asie », la Croisière Jaune a pour mission de prouver au monde les qualités techniques des véhicules du constructeur français, mais aussi de récolter le plus possible de données scientifiques. Citroën met à la disposition de « ses » explorateurs des véhicules tout-terrain et un équipement technologique dernier cri pour les prises de vues. Dirigé par Georges-Marie Haardt (1884-1932) et Louis Audouin-Dubreuil (1887-1960), qui ont déjà participé aux deux précédents raids, le groupe Pamir comprend une équipe cinématographique chargée d’assurer la promotion de la Croisière. Elle est conduite par André Sauvage (1891-1975), auteur de grands documentaires comme Portrait de la Grèce en 1927 ou Etudes sur Paris en 1928. Les organisateurs de l’expédition comptent sur l’intérêt manifesté par les Français pour leurs colonies, nourri par la littérature de voyage, et, du fait de l’importance des enjeux économiques, espèrent aussi affirmer la puissance française, notamment après sa difficile victoire contre l’Allemagne en 1918.
Les outils de la conquête
L’affiche du film est construite sur un contraste très vif entre une partie gauche d’un jaune doré, symbole du soleil levant et de la couleur de peau des Asiatiques, et une partie droite sombre tout en roches vues en contre-plongée. Si les jeux de couleur dans les textes, en bas, renforcent cette opposition, la dynamique visuelle de cette affiche se révèle en fait plus complexe : la forte diagonale qu’elle impose au regard du spectateur accentue la perception du vertigineux abîme où l’autochenille pourrait tomber, à l’image des rochers qu’elle y fait dégringoler. À ce premier plan très proche répond le second plan profond où, telle une apparition, la figure menaçante du conquérant Gengis Khan flotte sur les neiges éternelles du lointain Himalaya.
Le véritable héros de l’expédition, c’est l’autochenille inventée par l’ingénieur Adolphe Kégresse (1879-1943), dont les spectateurs du film savent qu’elle a triomphé – sans connaître les détails, toutefois. Le modèle réduit en métal conservé au musée de l’Automobile avec sa remorque reproduit non pas le mythique « Scarabée d’Or » P19, véhicule de commandement du groupe Pamir reconnaissable à son réservoir sur le côté et à ses sièges passagers, mais un véhicule usuel C6, plus lourd, utilisé par le groupe Chine, qui pouvait emporter jusqu’à 450 kilos de charge dans sa remorque. Si ce modèle réduit montre quelques détails de l’engin, comme le rouleau avant et le toit fait d’une légère bâche, la couleur y souligne ses deux points forts : ses chenilles passe-partout en caoutchouc, plus résistantes et plus silencieuses que les métalliques, et son équipement robuste, simple, à l’épreuve des sables du Gobi comme des températures de l’Asie centrale, torrides le jour, glaciales la nuit.
La croisière de l’imaginaire
Dans l’affiche, les membres de l’expédition sont des silhouettes indistinctes massées autour de leur véhicule. Le spectateur associe leur épopée à celle d’Hannibal franchissant les Alpes avec ses éléphants (1), mais aussi à celle d’autres chars français, Citroën ceux-là, en 1918. L’affiche du film s’inspire d’un cliché pris près de Godhaï et aussitôt diffusé : l’autochenille y apparaît suspendue entre la piste effondrée et un précipice sans fond. Si les lecteurs de Le Fèvre dans L’Illustration savent qu’il a fallu près de cinq heures d’efforts pour tirer d’affaire ce véhicule pesant plus de 2 tonnes, rares sont les Français à connaître la suite de l’histoire : face aux obstacles naturels et aux difficultés géopolitiques (révoltes et rivalité entre puissances européennes), Citroën a dû renoncer. La plupart des autochenilles repartent en sens opposé, seules deux franchissent les cols, mais en pièces détachées.
En ces temps de triomphe colonial de la France, remis en cause par les premiers mouvements indépendantistes au Maghreb, l’Asie apparaît comme un eldorado, un front à ouvrir. Le modèle réduit du C6 de Citroën vient ainsi nourrir un imaginaire construit sur des demi-vérités, comme le récit de l’expédition. Le film La Croisière Jaune a attiré d’innombrables spectateurs, mis en appétit par son affiche spectaculaire, diffusée à grande échelle et reproduite dans des ouvrages. Or Sauvage s’est vu reprocher d’avoir insuffisamment mis en valeur Citroën et le rôle des autorités françaises. Il est mis à l’écart suite à son emploi des intertitres, à ses longues séquences sur les populations Moï, tournées en Indochine en avril 1932, et à son refus du commentaire off de Georges Le Fèvre, qu’il juge trop nationaliste. Le montage final est confié à Léon Poirier, réalisateur de La Croisière noire (1926), qui avait refusé ce nouveau voyage. Le film sort finalement en 1934, mais André Sauvage, ami de Breton ou de Max Jacobs, renonce au cinéma – sacrifié sur l’autel du marketing colonial.
Ariane AUDOUIN-DUBREUIL, Croisière Jaune : sur la Route de la Soie, Grenoble, Glénat, 2007.
Pascal BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE, Culture coloniale. La France conquise par son empire, 1871-1931, Paris, Autrement, 2003.
Raoul GIRARDET, L’Idée coloniale en France, Paris, Hachette, 2007.
Jacques WOLGENSINGER, L’Épopée de la Croisière Jaune, Paris, Robert Laffont, 2002.
1 - Hannibal (Annibal) (247-183 av. J.-C.) : général de l'armée de Carthage, ennemie de Rome, il mena la Seconde guerre punique (218-201 av. J.-C) contre les armées romaines menées par Scipion. D'Espagne, il rallia Rome et Capoue par les Alpes faisant passer 37 éléphants par les cols alpins. Bloqué à Capoue sans renforts de Carthage, Hannibal retourne en Afrique et est vaincu lors de la bataille de Zama (202 av. J.-C) par Scipion. Carthage doit capituler devant Rome.
Alexandre SUMPF, « La Croisière jaune, une conquête de l’Orient pour conquérir l’Occident », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/croisiere-jaune-conquete-orient-conquerir-occident
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