La Complainte de Caserio - Le forfait et l'expiation
Funérailles du Président Sadi Carnot célébrées au Panthéon, le 1er juillet 1894
La Complainte de Caserio - Le forfait et l'expiation
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
H. : 39.8 cm
L. : 29.3 cm
Chanson sur l'air de Fualdès.
Imprimeur : Pellerin, Épinal
Lithographie coloriée.
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN-Grand Palais (MuCEM) / Franck Raux
1953.86.787 - 07-518113
La « propagande par le fait » s'attaque au sommet de l'Etat
Date de publication : Juillet 2008
Auteur : François BOULOC
L’âge difficile de la IIIe République
Le régime républicain s’est pleinement installé en France entre les années 1875 et 1880. Pourtant, une quinzaine d’années plus tard, malgré les mesures emblématiques touchant à l’école ou à la liberté de la presse, il apparaît très fragile. La crédibilité du parlementarisme est en effet fortement sapée : d’un côté par la corruption liée au scandale de Panama, tandis que de l’autre, le jeune état de droit – au vrai issu des massacres de la Commune – réaffirme sans cesse, dans les années 1880-1890, sa capacité de répression. Le 1er mai 1891 est ainsi marqué par la mort de dix personnes, dont deux enfants, tombées sous la fusillade des troupes militaires. Le même jour, à Clichy, quelques anarchistes échangent des coups de feu avec la police, avant d’être passés à tabac et jugés avec une grande sévérité. Le désir de vengeance qui découle de ces actes - joint à l’idée de « propagande par le fait » agitée dans les milieux anarchistes depuis la fin des années 1870- est à l’origine d’une série d’attentats entre 1892 et 1894. Les forfaits perpétrés par le célèbre Ravachol trouvent en effet leur origine dans la volonté d’attaquer l’ordre social qui a puni Decamps, Dardare et Léveillé, les banlieusards au drapeau rouge. Exécuté le 11 juillet 1892, Ravachol suscite à son tour des vocations terroristes, avec la bombe de Vaillant au Palais-Bourbon (9 décembre 1893) ou encore celles d’Emile Henry début 1894. A chaque fois, la guillotine répond à la dynamite, en une spirale qui ne se referme qu’à l’été 1894, quand l’anarchiste Caserio profite d’une visite officielle à Lyon pour poignarder le président de la République Sadi Carnot (celui-ci avait refusé la grâce de Vaillant).
Les morts du 24 juin 1894
La Complainte est un texte illustré à regarder, lire et chanter. Ce type de document est largement diffusé dans la population, friande d’un tel traitement des grandes informations dans une époque qui ne connaît pas encore la diffusion radiophonique. L’attentat y est bien sûr dépeint comme un acte ignoble appelant « expiation », le texte accompagnant la partition donnant le ton à cet égard : « Ecoutez Ô gens de France, d’la province comm’ de Paris, ainsi qu’des autres pays, comment par haine et vengeance, l’anarchiste Caserio assassina M’sieu Carnot ! ». Coupable désigné par des dizaines de témoins et la main altière du procureur, Caserio (voué à la peine capitale) revendique la responsabilité de son acte et refuse de donner le nom de comparses : « Caserio fait le boulanger, il ne fait pas l’espion » dira-t-il à l’audience. Le boulanger sétois d’origine italienne, est fidèle à lui-même en bravant ainsi un ministère public peint sous les traits les plus sévères, sourcils bas et posture inflexible (en haut à droite). Ses juges fermement résolus à dissuader ses continuateurs, Caserio est finalement guillotiné, après avoir refusé les sacrements du prêtre (présent sur l’image en bas du document). Cette attitude irréligieuse, tenue malgré les supplications de sa mère – d’ailleurs décédée peu de temps après –, révèle l’intangibilité des convictions de l’assassin. Il n’a émis ni pourvoi en cassation, ni demande en grâce. Ironie du sort, il finit ses jours entouré de ceux qu’il voulait détruire : gendarmes, soldats, bourreau, prêtre et bourgeois en haut-de-forme (en bas à droite). L’exécution de l’assassin se lit en lien avec la figuration sereine et majestueuse du président défunt, objet de tous les hommages : ces deux images convergent au fond pour dire au grand public la continuité de l’ordre établi que le geste isolé ne saurait avoir ébranlé. Les funérailles de Sadi Carnot sont dans le même ordre d’idées l’occasion d’une réunion du gotha de la République et de la diplomatie. La peinture monumentale (plus de six mètres par neuf mètres) qui en est faite par le très académique Georges Jules Bertrand s’inscrit dans la lignée des représentations officielles et compassées des événements historiques. Sa localisation au château de Versailles dit la valeur solennelle conférée à ce genre de productions par le pouvoir en place, quelle que soit l’époque. Présentée en 1903, une petite décennie après les faits, cette œuvre dresse un panorama fourni du décorum mis sur pied pour l’occasion. Draps noirs voilant le Panthéon (trois mille mètres carrés de tentures déployées), torches et brûle-parfums de part et d’autre instaurent une funèbre solennité. Les délégations étrangères venues des quatre coins du monde saluent l’imposant tombeau en haut des marches, ainsi que les officiels français à droite. On note tout particulièrement la présence du Prince Orlov, émissaire du tsar, en costume blanc avec un casque surmonté de l’aigle impérial (à côté de la colonne de droite du Panthéon). Le char avec drapeaux et couronnes fait aussi partie de l’ambassade russe : ces funérailles constituent de fait un temps fort de la pérennisation de l’alliance conclue six mois auparavant avec le tsar Alexandre III.
Mise en perspective d’un coup de poignard
« Moi je me suis vengé par le poignard, en tuant le président Carnot, parce qu’il était celui qui représentait la société bourgeoise » : ambitionnant de révéler la nature tyrannique de l’État aux masses, et de semer par là-même les graines de la révolte, la « propagande par le fait » ainsi entendue échoue presque complètement. De fait, qu’il soit question de la mort du tsar Alexandre III en 1881, de celle de l’impératrice d’Autriche « Sissi » en 1898 ou bien encore de Humbert 1er, roi d’Italie, tué en juillet 1900, on ne peut que relever à chaque fois l’absence de répercussions révolutionnaires. Tout au contraire, comme à la suite de la tentative manquée d’Orsini contre Napoléon III en 1858, c’est bien plutôt au raidissement autoritaire du pouvoir en place que l’on assiste. La mort de Carnot est ainsi l’occasion de compléter les « lois scélérates » édictées suite à la bombe de Vaillant, en visant plus particulièrement les menées anarchistes. Dans la foulée, le Procès des Trente tente– sans grand succès pour l’État – de jeter l’opprobre sur les grandes figures de l’anarchisme, tels Sébastien Faure ou Jean Grave. L’échec de la propagande par le fait est donc patent, même s’il est impossible de ne pas songer, en face des funérailles de Carnot, à cette solidarité profonde entre dirigeants de tous pays, tant décriée par les milieux révolutionnaires de l’époque. Il est possible de dire que le geste de Caserio la donne à voir au grand public pour quelques heures, mais ceci ne constitue assurément qu’un bien maigre bilan au regard des visées de soulèvement général portées par le meurtrier. La geste de l’anarchisme meurtrier, qui rebondit avec la Bande à Bonnot, aura toutefois pour conséquence de réorienter les énergies vers l’invention de formes syndicales nouvelles, cadre dans lequel les Fernand Pelloutier ou Emile Pouget œuvreront à rédiger ce texte fondamental qu’est la Charte d’Amiens (1906).
Collectif, L’assassinat du président Sadi Carnot et le procès de Santo Ironimo Caserio, Actes du colloque organisé à Lyon le 21 juin 1994, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1995.
Jean MAITRON, Le mouvement anarchiste en France, I, Des origines à 1914, Paris, Gallimard, 2007, (1975).
Pierre TRUCHE, L’anarchiste et son juge. A propos de l’assassinat de Sadi Carnot, Paris, Fayard, 1994.
François BOULOC, « La « propagande par le fait » s'attaque au sommet de l'Etat », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/propagande-fait-s-attaque-sommet-etat
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