Vue de la halle aux blés, à la farine et aux graines, et la colonne astronomique et solaire, à Paris
Ancienne halle aux blés
Vue de la halle aux blés, à la farine et aux graines, et la colonne astronomique et solaire, à Paris
Auteur : NICOLLE Victor-Jean
Lieu de conservation : musée national du château de Malmaison (Rueil-Malmaison)
site web
Date de création : vers 1810
H. : 6,7 cm
L. : 11,7 cm
aquarelle
Domaine : Dessins
© RMN - Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Franck Raux
17-636997 / M.M.40.47.9043.10
Des Médicis aux Pinault : la bourse de commerce à Paris
Date de publication : Septembre 2021
Auteur : Alexandre SUMPF
La halle aux blés, peinte vers 1810 et photographiée environ un siècle plus tard, fait partie du paysage parisien depuis le XVIIIe siècle. La colonne Médicis est tout ce qui reste de l’hôtel d’Albret (1) qu’a acheté Catherine de Médicis en 1572, quand elle a décidé de quitter les Tuileries. Ce premier bâtiment est détruit par la municipalité en 1748, sauf la colonne astronomique, qui se voit même adjoindre un cadran solaire et une fontaine lorsque, quinze ans plus tard, on confie à Nicolas Le Camus de Mézières la construction de la halle.
Après une formation d’architecte qui l’initie au dessin et à la perspective, Victor-Jean Nicolle (1754-1826) devient artiste. Dans ses aquarelles et ses pastels de paysages, il insère souvent des éléments d’architecture et montre un certain goût pour les colonnes, éléments dont il a pu admirer les majestueux restes lors de ses voyages d’étude à Rome.
Un siècle exactement plus tard, Eugène Atget (1857-1927) a tâté du théâtre et de la peinture avant de s’essayer à la photographie en 1890. Il se passionne pour Paris et son décor, qu’il décide de fixer sur plaques de verre puis pellicule dès 1897. Plusieurs séries prennent pour sujet les éléments reconnaissables de la capitale : façades, devantures, monuments, rues. Ancienne halle aux blés appartient à la dernière, réalisée entre 1906 et 1915 et intitulée Topographie du Vieux Paris.
Le Paris historique
Le dessin réalisé par Nicolle est rigoureusement cadré sur la façade courbe de la halle et axé autour de la colonne Médicis. La perspective aidant, le peintre place au même niveau la flèche de la colonne, la girouette de la halle et le toit de l’immeuble qui clôt l’espace à droite. Les arcades, les courbes de la coupole et celles d’éléments d’architecture, jusqu’aux roues de la charrette en bas à gauche, rythment régulièrement l’image. Il se dégage ainsi une sorte d’harmonie des proportions très Renaissance, accentuée par un ciel bleu pâle servant d’écrin à l’imposant bâtiment. Nicolle représente aussi quelques passants, moins pour traduire l’activité sans doute intense qui règne là que pour donner une idée de l’ampleur du bâti.
Le cliché pris par Atget montre, lui, un lieu totalement désert, à l’exception de deux charrettes et de leurs chevaux. Pour un peu, on aurait l’impression que c’est lui, le photographe, et non Nicolle, le peintre, qui fixe une ruine antique. Le mur circulaire se devine et, là encore, la colonne Médicis sert d’axe à l’image. Cependant, Atget fait ici le choix d’une perspective en échappée sur une rue courbe pour suggérer la forme de l’ancienne halle plutôt qu’un cliché frontal. Conformément sans doute à son cahier des charges, il semble vouloir insister sur l’insertion de ce patrimoine architectural dans la ville moderne – où l’on distingue, au premier plan, une vespasienne (2), dont on a commencé l’installation à Paris en 1868, et, plus loin, des devantures de commerce.
Le Ventre de Paris
« L’exceptionnelle importance des clichés d’Atget qui a fixé les rues désertes de Paris autour de 1900, tient justement à ce qu’il a situé ce processus en son lieu prédestiné. On a dit à juste titre qu’il avait photographié ces rues comme on photographie le lieu d’un crime. Le lieu du crime est aussi désert. Le cliché qu’on en prend a pour but de relever des indices. Chez Atget, les photographies commencent à devenir des pièces à conviction pour le procès de l’Histoire. C'est en cela que réside leur secrète signification politique. » Ainsi Walter Benjamin, dans son célèbre texte L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935), caractérise-t-il l’art du photographe français.
Il insiste aussi sur son art de la légende, qui met sur la piste de la transformation en cours dans la capitale. Les halles sont toujours situées au même endroit de Paris, jusqu’à leur déménagement à Rungis en 1969. Des pavillons spécifiques ont été érigés tout près par l’architecte Victor Baltard. Pourtant, cette modernité d’acier et de verre n’a pas chassé la précédente innovation ; tout juste la halle réalisée dans les années 1760 a-t-elle changé de fonction depuis l’époque de Nicolle. Les échanges de blé perdent progressivement leur importance, et la halle finit par fermer en 1873 ; en 1885, le bâtiment est récupéré par la chambre de commerce, qui le fait réaménager ; en 1889, ouvre la bourse de commerce, qui accueille les marchés à terme de productions agricoles.
Le lieu symbolise désormais la puissance financière et commerciale de la capitale française, et ne dessert plus directement les entreprises qui nourrissent sa population. De débouché naturel d’une région très fertile, Paris est devenu le cœur monumental d’un empire colonial et l’un des centres mondiaux d’une économie en voie de dématérialisation.
BEAUMONT-MAILLET Laure, Atget : Paris, Paris, Hazan, coll. « Pavés », 2003 (1re éd. 1992).
DEMING Mark K., La halle au blé de Paris (1762-1813) : « cheval de Troie » de l’abondance dans la capitale des Lumières, Bruxelles, Archives d’architecture moderne, coll. « Architecture et art urbain », 1984.
ROBERT Jean-Louis, TSIKOUNAS Myriam (dir.), Les Halles : images d’un quartier, actes de séminaire et de colloque (Paris, 2000), Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Géographie » (no 20), 2004.
1. En 1572, Catherine de Médicis demande à l’architecte Jean Bullant de lui construire un nouveau palais, qui deviendra l’hôtel de Soissons au XVIIe siècle. La colonne Médicis est l’unique vestige de ce palais, détruit en 1748.
2. Mobilier urbain qui sert d’urinoir pour les hommes sur la voie publique.
Alexandre SUMPF, « Des Médicis aux Pinault : la bourse de commerce à Paris », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/medicis-pinault-bourse-commerce-paris
Pour en savoir plus sur Eugène Atget : https://histoire-image.org/fr/artistes/atget-eugene
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