Vote des femmes
Premier vote des femmes (élections municipales). France, avril 1945
Premier vote des femmes en France. Elections municipales. Paris, avril 1945
Vote des femmes
Auteur : SCHALL Roger
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : 1945
Date représentée : 29 avril 1945
H. : 12 cm
L. : 11,3 cm
Tirage au gélatino-bromure d'argent
Domaine : Photographies
© Roger Schall / Musée Carnavalet / Roger-Viollet
PH 14988
Le Premier vote des femmes en France
Date de publication : Mars 2017
Auteur : Alexandre SUMPF
La femme française peut voter
À l’approche de la Libération, la question du vote des femmes n’apparaît pas comme une priorité absolue. Ainsi, elle n’est même pas mentionnée dans le programme du Conseil National de la Résistance de mars 1944. Mais les choses s’accélèrent par la suite : le 18 mars, le général de Gaulle déclare devant l'Assemblée consultative provisoire que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Le 25 mars, l'amendement Fernand Grenier instaurant le vote des femmes est adopté à 51 voix contre 16 par cette même Assemblée.
Le 21 avril, l'article 17 de l'ordonnance du Comité français de la Libération nationale portant sur l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », disposition qui sera confirmée le 5 octobre par le Gouvernement provisoire de la République française : la femme française peut voter.
C’est le 29 avril 1945 que ce droit est utilisé pour la première fois, à l’occasion du premier tour des élections municipales qui constituent par ailleurs le premier scrutin depuis la Libération. Plus de douze millions d’électrices sont ainsi autorisées à voter et la participation des femmes est massive, presque comparable à celle des hommes.
Dans un contexte très marqué par les difficultés liées au rationnement ou encore au retour des prisonniers et des déportés, alors que la guerre n’est pas encore finie et que d’autres enjeux politiques occupent naturellement les esprits, le caractère inédit du scrutin retient néanmoins l’attention. Les actualités filmées et de nombreuses photographies montrent ainsi des françaises (anonymes ou célèbres, de tous âges et de tous milieux sociaux) se presser devant les bureaux de vote, faire la queue devant l’isoloir, ou encore voter, à l’instar des trois clichés ici étudiés datant de ce 29 avril.
Largement diffusées, les images immortalisant cette participation commencent à ancrer cette (r)évolution dans les consciences des citoyens et des (désormais) citoyennes : à partir de ce jour, le droit de vote des femmes est bien réel, effectif et effectué.
A voté !
File d’attente devant un bureau de vote, est un cliché de Roger Schall (1904-1995), photographe de mode reconnu, qui couvre aussi des événements de la vie mondaine. En ce jour de printemps ensoleillé, la queue s’étire dans la rue devant l’entrée du bureau de vote (au fond à gauche), le long des panneaux électoraux (à droite). La file d’attente est composée à parts égales d’hommes et de femmes de tous âges.
Photographe inlassable de la ville de Paris et de la vie quotidienne de ses habitants, Albert Harlingue (1879-1963) est l’auteur de Premier vote des femmes (élections municipales) qui représente un autre moment du vote. Les trois isoloirs ici photographiés ne sont occupés que par des femmes. À gauche et à droite, derrière le rideau tiré, on distingue deux paires de jambes féminines. Au centre, une jeune électrice brune est elle bien visible, de profil, en train de mettre son bulletin dans l’enveloppe. Peut-être n’a-t-elle pas complètement tiré le rideau pour surveiller l’enfant dans sa poussette (au premier plan) qu’elle a laissée près d’elle, devant l’isoloir.
Premier vote des femmes en France donne à voir un troisième moment, celui du vote à proprement parler. Dans un bureau assez sombre (usage du flash), une dame très élégante (manteau de fourrure, chapeau orné d’une plume et sac en crocodile) glisse son bulletin dans l’urne, concentrée mais aussi légèrement amusée, ce qui tempère un peu la solennité de l’instant. Les trois assesseurs sont des hommes et le principal d’entre eux (au centre) fixe le photographe avec une certaine intensité.
Entre l’ordinaire et l’extraordinaire
Par définition, les trois clichés offrent des images inédites et inhabituelles. Mais les trois photographes semblent avoir choisi de présenter cette première fois de manière assez sobre. Pris sur le vif, les clichés laissent l’impression d’une paradoxale banalité : les femmes qui se déplacent en ce 29 avril 1945 accomplissent les mêmes actes que les hommes, qui sont finalement assez simples : faire la queue, passer dans l’isoloir et voter. C’est d’ailleurs ce jeu entre l’ordinaire (des gestes, de la marche à suivre) et l’extraordinaire (de la situation et de celles qui y participent pour la première fois) qui donne de la force à ces photographies : en obtenant ce droit, les femmes agissent finalement comme les hommes, à égalité, rien de plus mais rien de moins.
La première image montre clairement cette égalité sous l’aspect de la mixité puisque dans la queue, les hommes et les femmes sont mêlés, sans distinction, selon la définition même de la citoyenneté.
Au contraire, la scène de Premier vote des femmes (élections municipales) a manifestement été sélectionnée (mais non pas provoquée) par Harlingue. En choisissant une composition exclusivement féminine, il suggère que l’obtention du droit de vote par les femmes n’est pas un simple détail mais a au contraire des implications bien réelles, concrètes et surtout considérables. Alors que plus de la moitié du corps électoral est ainsi renouvelé, des lieux symboliques (l’isoloir) et des pratiques autrefois réservés aux hommes se voient différemment investis, qu’il faut désormais appréhender sous ce nouveau jour.
La présence d’électrices implique aussi parfois celle de leurs d’enfants, toute aussi inédite. Est ainsi indirectement rappelé que malgré leur émancipation, les femmes sont encore largement en charge des tâches domestiques, qu’elles restent des mères et des épouses. De manière assez intéressante, Premier vote des femmes (élections municipales) donne justement à voir cette dualité de statut en saisissant le moment précis où l’individu autonome (c’est-à-dire la citoyenne) fait son choix librement, se détourant pour un instant (mais pas totalement, le rideau n’est pas tiré) de son enfant et donc de son statut de mère.
Premier vote des femmes en France ne montre pas la mixité complète visible sur File d'attente devant un bureau de vote, lors des premières élections auxquelles les femmes sont invitées à participer mais ne privilégie pas une scène exclusivement féminine comme Premier vote des femmes (élections municipales). Ici, les hommes et la femme occupent le même espace sans être véritablement mêlés, se répartissant de part et d’autre d’une frontière matérialisée par la table. Même si la femme peut voter, ce sont les hommes qui tiennent le bureau et qui restent par ailleurs très largement majoritaires dans toutes les fonctions électives. Cependant, ces mêmes hommes traitent cette électrice comme un électeur à part entière, s’adaptant en pratique à cette nouvelle égalité de droits.
BARD, Christine. Les Femmes dans la société française au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
BOUGLE-MOALIC, Anne-Sarah. Le Vote des Françaises, cent ans de débat, 1848-1944, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
De GAULLE, Charles, Mémoires de guerre – Le Salut : 1944-1946, Paris, Plon, 1959.
RIOUX, Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, tome 1, Paris, Seuil, 1980.
ROSANVALLON, Pierre. Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1995.
Alexandre SUMPF, « Le Premier vote des femmes en France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/premier-vote-femmes-france
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