L'Astronome
Auteur : VERMEER Johannes
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1668
H. : 51 cm
L. : 45 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
RF 1983 28 - 16-514546
L’Astronome
Date de publication : Septembre 2022
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Le Siècle d’or hollandais, entre économie, science et arts
La date de 1668 qui figure en lettres romaines sur l’armoire peinte (détail 1) par Johannes Vermeer dans L’Astronome, inscription qui est aujourd’hui considérée comme autographe, situe le tableau dans une période qu’on a qualifiée rétrospectivement de « Siècle d’or hollandais ». Cette expression entretient avec son équivalent espagnol une forme de rivalité, qui s’explique par les relations concurrentielles qu’ont entretenu les deux pays au cours du XVIIe siècle. L’indépendance des Provinces-Unies, que l’Espagne reconnaît définitivement en 1648 par le Traité de Münster, peut être considérée comme un moment central dans la transition qui marque l’avènement progressif du Siècle d’or hollandais au détriment du Siècle d’or espagnol.
Delft, où est né Vermeer en 1632, où il s’est formé comme peintre, et où il est mort quarante-trois ans plus tard, est à l’époque une cité florissante. Certes l’explosion accidentelle, survenue en 1654, de la poudrière a détruit une partie de la ville et réduit le rôle militaire stratégique qu’elle tenait jusque-là dans la structure militaire des Provinces-Unies, mais elle a aussi permis aux célèbres faïenciers de Delft d’y étendre leurs activités. Ce sont eux qui approvisionnent l’Europe en porcelaine lorsque la Chine n’est pas en mesure de lui en fournir. Fondée à Amsterdam en 1602, la Compagnie des Indes orientales ouvre la même année un bureau à Delft, et y bâtit des entrepôts, contribuant elle aussi à son développement économique et commercial.
Cette prospérité sans précédent s’avère particulièrement favorable au développement des sciences et des arts, notamment en peinture, où celle de genre vient satisfaire le goût de commanditaires bourgeois pour la décoration d’intérieur et la spéculation, laquelle alimente un marché de l’art en pleine expansion.
En matière scientifique, le médecin Regnier de Graaf (1641-1673) effectue à Delft des recherches pionnières sur les appareils reproductifs féminin et masculin, et se rapproche pour cela d’Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), qui découvre quant à lui les spermatozoïdes grâce aux nouvelles lentilles qu’il met au point pour l’appareil microscopique. C’est d’ailleurs à Van Leeuwenhoek que revint la charge d’assister la veuve de Vermeer, Catharina Bolnes, pour l’administration des biens que le peintre laissa à sa mort en 1675.
Le portrait d’un savant
L’hypothèse formulée par l’historien de l’art Arthur K. Wheelock selon laquelle L’Astronome représenterait Van Leeuwenhoek n’a pu être étayée. À strictement parler, le tableau de Vermeer se rapporte d’ailleurs davantage à la peinture de genre qu’au portrait, bien que la fidélité avec laquelle il y rend chacun des objets qui entrent dans sa composition évoque des « portraits de choses », dont la minutie du rendu inciterait presque à s’armer d’un microscope pour les analyser.
Comme dans la plupart des tableaux de Vermeer aujourd’hui authentifiés (une trentaine), une fenêtre ouvragée filtre les rayons de la lumière naturelle qui produit dans l’intérieur qu’elle éclaire un clair-obscur subtil. Ainsi tamisée, cette lumière confère aux jaunes et aux bruns des éléments du mobilier une légère teinte dorée qui s’accorde aux bleus profonds et pâles des éléments textiles : le drap décoré de grotesques retroussé sur la table et la robe de chambre dont est revêtue la figure masculine. (détail 2) Celle-ci pose une main sur un globe céleste de même facture que le globe terrestre que Vermeer a figuré au-dessus du géographe dans la peinture éponyme que conserve le musée Städel de Francfort, probablement contemporaine de L’Astronome, et qui en reprend le modèle aux cheveux longs. L’examen comparé des pendants a permis d’identifier la paire d’objets que le peintre y a répartis. Il s’agit de deux globes fabriqués vers 1600 par le cartographe flamand Jodocus Hondius (1543-1612). Le dialogue qu’initie cette correspondance entre L’Astronome et Le Géographe mérite d’être étendu à d’autres accessoires de la composition, comme le compas qui passe du bureau du premier pour se retrouver dans la main du second. L’astrolabe (détail 2) (1) posé quant à lui devant le globe céleste a été conçu par Willem Blaeu (1571-1638), l’auteur, vers 1630, de la carte des côtes européennes que Vermeer a en partie recopiée sur le mur du Géographe.
Un objet, cependant, n'est présent que dans L’Astronome : le livre ouvert. Il s’agit d’un exemplaire de la seconde édition du traité qu’Adriaen Metius (1571-1635) fit paraître en 1614 sous le titre Institutiones Astronomicae Geographicae, ouvert à la première page du chapitre intitulé « De l’inspiration divine » (détail 1). Le format très réduit du tableau (51×45 cm) n’a pas permis à Vermeer d’y inscrire de manière lisible les lignes du début du chapitre en question, seulement d’en reproduire la forme ronde qui en orne le frontispice. Un détail néanmoins suffisant pour permettre aux chercheurs de se référer aux exemplaires aujourd’hui conservés du livre de Metius, et d’y lire que géographes et astronomes doivent, afin de mener à bien leurs recherches, s’aider « de la connaissance de la géométrie et des instruments mathématiques » tout en s’en remettant à « l’inspiration de Dieu ». Deux recommandations qui orientent l’interprétation qu’on peut faire du tableau du musée du Louvre dans un sens singulier.
L’ambition d’un peintre
Vermeer a manifestement conçu sa peinture comme s’il savait qu’elle exigerait de ses observateurs une attention aussi poussée que celle qu’il avait mise à son élaboration. Pareil investissement place en conséquence le peintre sur un plan quelque peu distinct de celui sur lequel œuvrent alors ses confrères. Il fait montre d’une « ambition », comme l’a qualifiée l’historien de l’art Daniel Arasse, qui déborde largement les limites imparties à la peinture de genre telle qu’elle était pratiquée à l’époque, pour ne pas dire qu’elle dépasse les limites de l’époque elle-même. Avec L’Astronome, Vermeer affirme en effet la puissance de la peinture à s’emparer des objets de la science autant que le pouvoir du peintre à se situer d’égal à égal avec les scientifiques eux-mêmes. À l’instar des astronomes et des géographes, Vermeer est lui aussi un « descripteur de mondes », pour citer une expression néerlandaise qui s’appliquait également aux cartographes et aux peintres. Comme eux, il recourt à des instruments optiques (l’usage de la camera obscura, l’ancêtre de l’appareil photographique, a pu être déduit sans difficulté de l’analyse de plusieurs de ses tableaux) ; comme eux, il s’en remet à l’inspiration divine, qui paraît s’immiscer dans ses œuvres sous la forme impalpable et diffuse de la lumière. Cette capacité de la peinture à contenir aussi bien le visible que l’invisible s’appuie donc, chez Vermeer, d’une part sur les progrès scientifiques dont il est le contemporain, et dont les auteurs sont quasiment, à Delft, ses voisins, et, d’autre part, sur la foi catholique qu’il a embrassée à l’occasion de son mariage avec Catherina Bolnes en 1653, juste avant de s’inscrire à la guilde de Saint-Luc de Delft, la corporation des peintres de la ville.
Une double conversion, religieuse et artistique, voire amoureuse, qui peut en partie expliquer, soutient Arasse, la valeur de manifeste que donna Vermeer à chacune de ses peintures, dans un contexte où la majorité protestante affectionnait les tableaux profanes tout en se montrant défiante à l’égard des images sacrées. Le thème de Moïse sauvé des eaux, que représenterait discrètement le tableau à peine discernable du mur de L’Astronome (détail 1), abonderait dans le sens de ce symbolisme catholique déguisé qui caractérise l’œuvre de Vermeer. Il n’en ouvre pas moins une nouvelle piste d’interprétation, celle d’un astrologue en train de déterminer le signe astrologique d’un enfant à naître. Ouverture qui met en évidence une autre ambition de Vermeer, presque un défi, consistant à créer des images dont l’interprétation s’avérerait inépuisable et irréductible à l’histoire qui a permis l’expression.
Les Globes de Hondius à la BNF
Les globes céleste et terrestre de Hondius from Bibliothèque nationale de France on Vimeo.
Svetlana ALPERS, L’Art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVIIe siècle [1983], tr. de l’anglais par J. Chavy, Paris, Gallimard, 1990.
Daniel ARASSE, L’Ambition de Vermeer [1993], Paris, Klincksieck, 2016.
Walter LIEDTKE (dir.), Vermeer and the Delft School, New York, Metropolitan Museum, New Haven et Londres, Yale University Press, 2001.
John Michael MONTIAS, Albert BLANKERT, Gilles AILLAUD, Vermeer [1986], Paris, Hazan, 2017.
Arthur K. WHEELOCK Jr., Jan Vermeer [1981], tr. de l’anglais par S. Bologna, Paris, Cercle d’art, 1983.
1 - Astrolabe : instrument scientifique dont on se servait pour calculer la position des étoiles
Paul BERNARD-NOURAUD, « L’Astronome », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/astronome
Pour en savoir plus sur le Siècle d'or hollandais : trois vidéos du Musée du Louvre à regarder et écouter.
D'autres études sur les oeuvres de Johannes Vermeer : La Jeune fille à la perle, La Dentellière , L'Astronome.
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