Prisonniers de guerre
L'Aide aux mutilés de guerre
Les Orphelins
Prisonniers de guerre
Auteur : STEINLEN Théophile Alexandre
Lieu de conservation : collection particulière
Domaine : Dessins
© Collection particulière - Tous droits réservés
Les Meurtrissures de la Grande Guerre
Date de publication : Septembre 2006
Auteur : Alexandre SUMPF
La Grande Guerre comme source d’inspiration
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) est âgé de cinquante-cinq ans quand la Première Guerre mondiale éclate, au cours de l’été 1914. L’artiste, célèbre pour ses affiches publicitaires (Le Chat noir de Rodolphe Salis), est trop âgé pour être mobilisé dans l’armée, mais il participe tout au long du conflit à la mobilisation des esprits. Il réalise en effet pas moins de dix-sept affiches de guerre, toutes consacrées à la misère dans laquelle sont plongés soldats comme civils. D’innombrables dessins préparatoires lui donnent une matière sans cesse renouvelée pour les journaux, revues, ouvrages et les autres productions (cartes pour collectes de fonds, billets de tombola) qu’il compose dans son imprimerie.
Les trois dessins présentés ici reprennent les thèmes de prédilection d’un artiste profondément touché par la guerre. Deux d’entre eux datent de 1915 : c’est l’année des échecs répétés de l’Entente cordiale dans les Dardanelles (février), en Champagne et en Artois (septembre). En un an de conflit, les pertes humaines sont déjà considérables, l’exode et les destructions ont bouleversé le nord et l’est de la France. Les blessés dans les hôpitaux, les prisonniers et les réfugiés dans les camps, les combattants dans les tranchées boueuses, sont autant de figures qui montrent la grande détresse des soldats.
Les hommes, victimes de la guerre
Steinlen a eu de nombreuses occasions de dessiner des prisonniers de guerre, en France comme en Allemagne. En 1915, il s’est même rendu deux fois sur le front, en mai et en juillet. Les trois prisonniers représentés ici sont pris sur le vif, comme en témoignent les traits rapides de l’artiste. Debout dans un lieu indéfini (devant les baraques ?), ils paraissent attendre, mais sans espoir. Les visages émaciés de ces hommes plus ou moins âgés, négligés (barbe, uniformes avachis) laissent deviner les privations endurées, l’angoisse et la tristesse.
Le dessin préparatoire de l’affiche « L’aide aux mutilés de guerre » (pour une collecte) date de 1915, puisque le soldat français porte encore un képi (le casque ne le remplace qu’à partir de l’été 1915). Amputé de la jambe gauche, il trouve symboliquement appui sur une Mater Dolorosa. Alors que le soldat est dessiné au moyen de lignes brisées, à l’image de son destin, la femme qui le soutient est tout en courbes. Les deux bois morts de l’invalide (béquille et prothèse) contrastent avec la santé du corps féminin, plein, harmonieux, hachuré de traits vigoureux. Le sourire triste du soldat trouve son pendant dans la détermination calme de son providentiel soutien.
C’est une figure féminine d’un autre type qui sert de pivot au dessin préparatoire de la campagne en faveur des orphelins de guerre, qui date elle aussi de 1915. Steinlen concentre dans ce personnage la figure maternelle, qui compense la perte du père soldat, et la figure républicaine de Marianne, identifiable par son bonnet phrygien. Les références chrétiennes structurent également un groupe qui fait penser par sa disposition à une Sainte Famille. La tête penchée de la mère de tous les orphelins, le nourrisson qu’elle porte, l’assimilent à la Vierge. Les trois âges de l’enfance indiquent que toutes les familles peuvent être touchées. Steinlen oppose à ce malheur généralisé le dynamisme de sa composition où cape et bras enveloppent les orphelins, où les mains sont bien visibles et jouent un rôle fédérateur.
L’effort de guerre humaniste de Steinlen
Steinlen, proche de Toulouse-Lautrec, s’était engagé avant la guerre aux côtés des anarchistes (il a dessiné la couverture d’un ouvrage de Kropotkine) et des socialistes. Il dénonçait régulièrement la misère quotidienne du peuple dans Le Petit Sou. C’est le même esprit qui l’habite quand il publie ses dessins en 1915 dans le recueil Les Internés. Entrée dans les geôles allemandes et en 1917 son Pays de guerre dans le journal Je sais tout. S’il contribue à la mobilisation de l’opinion, c’est moins en patriote cocardier qu’en humaniste que préoccupe la condition humaine. Les victimes françaises de la Grande Guerre – 2 millions de prisonniers, 1,3 million de morts, 300 000 mutilés et 760 000 orphelins – sont les sujets d’une œuvre réalisée pour l’essentiel à la pointe ou au crayon – sans recherche d’effet autre que la réalité brute. Les dessins de Steinlen gravent ainsi dans l’imaginaire collectif les situations dramatiques vécues au quotidien par les populations. Sans magnifier ces multiples souffrances, l’artiste héroïse l’endurance d’une société entière plongée malgré elle dans la guerre totale. Et plaide pour la fin de l’inutile sacrifice.
Annette BECKER, Oubliés de la Grande Guerre. Humanitaire et culture de guerre (1914-1918) : populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noêsis, 1998.J
acques CHRISTOPHE, Steinlen, l’œuvre de guerre (1914-1920), Lyon, Aléas, 1999.Pierre VALLAUD, 14-18 La Première Guerre mondiale2 tomes, Paris, Fayard, 2004.
Alexandre SUMPF, « Les Meurtrissures de la Grande Guerre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/meurtrissures-grande-guerre
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