Camus, Talleyrand, Rabaut-Saint-Etienne, la Religion.
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1791
Date représentée : 1791
H. : 12,1 cm
L. : 15,5 cm
Aquatinte coloriée (épreuve rognée).Parue chez Webert. Ref.inventaire de Vinck : 3032.
Domaine : Estampes-Gravures
© Cliché Bibliothèque Nationale de France
Estampes, Coll. de Vinck, tome 18, fol. 51
La Révolution et l'Église en 1791
Date de publication : Décembre 2005
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
La Révolution et l'Église en 1791
La Révolution et l'Église en 1791
L’effondrement de la situation de l’Église
Au début de la Révolution le catholicisme apparaît comme la religion nationale ; partout des cérémonies religieuses accompagnent avec enthousiasme la mise en place de l’ordre nouveau. La suppression de la dîme et la transformation des biens de l’Eglise en biens nationaux ne perturbent pas profondément les rapports de l’Eglise et de l’Etat en 1789.
Par contre, en 1790, l’adoption de la Constitution civile du Clergé par l’Assemblée constituante fait perdre à l’Eglise son autonomie comme institution et suscite des inquiétudes. Assigner aux diocèses les limites des départements, nouvelles circonscriptions territoriales, contredit de fait les fondements immémoriaux de la légitimité du pouvoir de l’Eglise, et remet en cause ses rapports avec la puissance politique. De plus, l’Eglise ne peut plus nommer ses desservants : ceux-ci sont désormais élus par le même corps électoral que les administrations locales. La loi brise la hiérarchie de l’appareil ecclésiastique qu’elle remplace par des vicaires, curés, évêques et archevêques chargés uniquement de fonctions pastorales. L’État révolutionnaire met ainsi en place une nouvelle Eglise constitutionnelle qui n’aura d’existence que par lui.
De ces desservants qui reçoivent un salaire de l’Etat, il exige un serment à la Constitution civile du clergé. Ce serment cristallise les différences de conception et les oppositions. La moitié environ des ecclésiastiques refuse de le prêter. L’Assemblée les déclare démissionnaires et fait pourvoir par élection 80 évêchés et 20 000 communes. L’installation des nouveaux desservants élus suscite des troubles dans plusieurs régions. Deux églises s’opposent bientôt, l’une romaine, traditionnelle et fidèle au pape, et l’autre, constitutionnelle.
La nouvelle Assemblée législative confrontée à cette situation adopte, le 29 novembre 1791, un décret rigoureux: les ecclésiastiques réfractaires sont déclarés suspects et privés de leurs pensions ; les édifices, qu’ils avaient encore le droit d’utiliser seront désormais employés au seul culte salarié par l’Etat. Les réfractaires n’ont donc plus le droit d’y exercer leur ministère. Or, pour de nombreux catholiques, les sacrements donnés par les prêtres jureurs, schismatiques aux yeux de Rome, sont sans valeur. Chaque catholique est donc placé devant un cas de conscience. Ce décret contre les prêtres réfractaires est lourd de conséquences : le roi y oppose son veto et il suscite une rupture dramatique et irrémédiable dans l’opinion.
La Religion vendue
La Religion est livrée comme une esclave, en échange d’argent, par Talleyrand, l’ancien évêque d’Autun, en costume épiscopal, et par le pasteur Rabaut Saint-Etienne, en robe de ministre, à Camus, l’actif archiviste de l’Assemblée. Cette aquatinte coloriée anonyme est une caricature contre-révolutionnaire, parue en décembre 1791, peu après le décret sur les prêtres réfractaires.
De la bouche de Talleyrand sortent les paroles que prononça autrefois Judas pour livrer Jésus-Christ. Car l’évêque démissionnaire - qui a jeté ses emblèmes à terre - a trahi deux fois son ordre : il a proposé à l’Assemblée de mettre les biens du clergé à la disposition de la nation, en 1789, et a sacré les premiers évêques constitutionnels, en 1791, créant ainsi une église schismatique. Rabaut Saint-Etienne arrache l’encensoir des mains de la Religion tremblante et s’apprête à l’achever d’un coup de poignard dès que ce marché cynique sera conclu. Camus propose la « grâce efficace » des assignats : la caricature veut rappeler que ce partisan acharné du papier-monnaie était membre du « parti » janséniste, et ancien avocat du clergé. En cette fin de 1791, la situation religieuse semble à l’opposé de sa déclaration rassurante à la Constituante, pour le vote de la Constitution civile, en 1790 : « Nous sommes une convention nationale, nous avons assurément le pouvoir de détruire la Religion mais nous ne le ferons pas. ».
La Religion, telle une sculpture animée, dans le style dépouillé à l’antique cher à la fin du XVIIIe siècle, apparaît totalement sans défense. Les cheveux dénoués sous son voile, tenant, une grande croix nue et les attributs du culte, elle évoque plaisamment la pureté et la jeunesse des origines du christianisme.
L’Eglise de France menacée de disparaître
L’effondrement rapide et total de la puissance temporelle de l’Eglise et la perte de son autonomie spirituelle ont fait soupçonner une entente occulte aux contemporains. La caricature dénonce comme coupables de cette destruction organisée deux membres et un proche du clergé. Le monarchiste Jacques-Marie Boyer de Nîmes, explique dans son Histoire de la caricature de la révolte des Français, dès 1792, que les trois personnages symbolisent les trois doctrines liguées pour renverser le trône et l’autel : le jansénisme : Camus, le « philosophisme », c’est-à-dire l’incrédulité des Lumières : Talleyrand, et le protestantisme : Rabaut Saint-Etienne.
Cette jeune et émouvante Religion évoque une autre dimension de la destruction de l’Eglise de France. L’enjeu du marché concerne les biens de l’Eglise qu’on vend et sa puissance temporelle qu’on abat, mais l’image suggère qu’autre chose va être anéanti : le sentiment religieux lui-même, dans son élan spontané et sincère.
J.M.[Boyer Brun, dit] BOYER DE NIMES, l’Histoire de la caricature de la révolte des Français, Paris, Impr. du Journal du Peuple, 1792, 2 vol.Claude LANGLOIS, La caricature contre-révolutionnaire, Paris, Presses du CNRS, 1988.Bernard PLONGERON, Les défis de la modernité 1750-1840, dans Histoire du Christianisme, t.X.Paris, Desclée, 1997.Jean TULARD, Jean-François FAYARD et Alfred FIERRO, Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Paris, Robert Laffont, 1988.
Luce-Marie ALBIGÈS, « La Révolution et l'Église en 1791 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/revolution-eglise-1791
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Brevet de volontaire de la garde nationale
La garde nationale n’est pas initialement destinée à protéger le royaume contre une agression extérieure, elle…
Louis XVI en roi citoyen
Petit-fils de Louis XV auquel il succéda en 1774, Louis XVI n’était guère préparé à assumer la royauté. Imperméable aux idées nouvelles en dépit d…
La division de la province de Bretagne en cinq départements
La carte d’origine, gravée dans son cadre gradué, était dédiée en 1771 au duc de Duras (1715-1789), noble et militaire de haute…
Du déficit à l'assignat
L’Assemblée constituante doit à la fois assumer les dettes de la monarchie – environ 5 milliards de livres auxquelles s’ajoutent des intérêts…
Serment de La Fayette à la fête de la Fédération
Près de quatre cent mille personnes convergent vers le Champ-de-Mars ce 14 juillet 1790, en dépit d’un…
La mutinerie de Nancy, août 1790
Le 31 août 1790, le marquis de Bouillé, gouverneur des Trois-Évêchés à Metz,…
L’abolition de la Royauté - 21 septembre 1792
Le 21 septembre 1792, la Convention nationale décrète l’abolition de la royauté. Ce décret met fin à la longue décadence du pouvoir monarchique…
La formation des départements
A différentes reprises au XVIIIe siècle, il avait été question de remédier à la…
L’abbé Grégoire, prêtre et révolutionnaire
Né en 1750 près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) dans une famille de modestes artisans ruraux, Henri-Baptiste…
Le don patriotique des femmes sous la Révolution
Le 7 septembre 1789, un groupe de onze femmes se présente devant les membres de l’Assemblée nationale pour faire don à la nation d’une cassette…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel