« Plan and Section of a Slave Ship », le Brooks, de Liverpool.
Maquette de bateau négrier
Double portrait de Thomas Clarkson et William Wilberforce
« Plan and Section of a Slave Ship », le Brooks, de Liverpool.
Lieu de conservation : musée d’Aquitaine (Bordeaux)
site web
H. : 49 cm
L. : 38 cm
Gravure de propagande contre l'esclavage diffusée par la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade, Londres.
Domaine : Estampes-Gravures
© Mairie Bordeaux - Photo JM Arnaud
inv. 2003.4.309
Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste
Date de publication : Octobre 2006
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste
Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste
La propagande abolitionniste
Vers 1770, apparaît en Angleterre et aux États-Unis l’abolitionnisme, mouvement d’une nouveauté radicale qui remet en cause l’esclavage aux colonies. Il engage le combat contre ce qui apparaît alors comme une institution économiquement solide, efficace, fructueuse et donc tout à fait moderne. A l’origine, les idées religieuses d’égalité entre les hommes sont lancées par les quakers des deux côtés de l’Atlantique, puis répandues par de nombreuses églises protestantes. Elles rejoignent le message universel des Lumières.
En Angleterre se cristallise un mouvement de grande ampleur. Sous l’impulsion de Granville Sharp et de Thomas Clarkson se crée un comité pour l’abolition de la traite des noirs, relayé au Parlement par William Wilberforce. Le mouvement gagne les clubs et l’échelon populaire et se réorganise en 1787 en Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade : l’abolition de la traite est l’objectif concret choisi pour déstabiliser la pratique de l’esclavage.
D’emblée, le mouvement se veut international, comme l’est la traite elle-même. Fondé sur une large base populaire, il cherche à diffuser des images fortes, capables de mobiliser les esprits.
Une « horreur géométrique » saisissante
Cette célèbre gravure de 1789 met brutalement sous les yeux de l’Angleterre et des autres pays pratiquant la traite les conditions de transport des captifs noirs dans un bateau négrier, pendant la traversée d’Afrique en Amérique. Il s’agit du plan exact d’un navire existant, le Brooks, construit à Liverpool en 1781, qui effectue la traite entre la Côte de l’Or et les Antilles, mais à l’époque, tous les bateaux négriers, quelle que soit leur nationalité, transportent les captifs selon les mêmes dispositions à travers l’Atlantique
454 noirs sont représentés ici ; le nombre est conforme aux directives du Dolben’s Act de 1788, qui réglemente en Angleterre le nombre maximum de captifs à embarquer, en fonction du tonnage du navire. Mais à l’époque, le Brooks est déjà connu pour avoir convoyé plus de 600 captifs par traversée. Les hommes sont parqués de la proue jusqu’au centre, les femmes, dans le dernier tiers, et les enfants enfin, à la poupe. Tous ont les mains attachées, de plus les hommes sont enferrés aux chevilles deux par deux.
L’aération du navire se fait par des écoutilles munies de caillebotis, qui sont fermées par des panneaux plein en cas de mauvais temps ; en haute mer, la situation des captifs devient plus atroce encore. Plans et coupes rendent compte précisément de l’espace minimal individuel, sur les deux ponts et les deux entreponts. Entre deux planches, la hauteur de 83 cm permettait à un homme petit de s’asseoir et à un grand de se tenir sur les coudes. Mais la largeur allouée à chacun, entre 40 et 43 cm, obligeait la plupart à se tenir sur le côté, plutôt que sur le dos comme le montrent les plans 4 et 5.
C’est Thomas Clarkson, l’un des fondateurs de la Société abolitionniste de Londres, qui découvre, en 1788, à Liverpool ce dessin technique, dressé par le capitaine Parrey, chargé officiellement de mesurer les bateaux du port. En cette fin du XVIIIe siècle, Liverpool édifie sa puissance commerciale sur la traite négrière ; il arme 130 navires négriers par an, une activité de traite bien supérieure à celle de Nantes, principal port négrier français, qui y expédie 46 navires en 1789.
Maquette de bateau négrier
Des hommes comme Wilberforce qui défend la cause au Parlement sont conscients des implications économiques : l’Angleterre n’abolira la traite que si la France y renonce en même temps. La gravure du Brooks est diffusée à Paris, en 1789, dans ce but. En mai, la société en envoie de Londres un grand nombre d’exemplaires à la Société des Amis des Noirs. En août, elle dépêche à Paris Thomas Clarkson qui tente de mobiliser les députés et surtout Mirabeau. Il espère que l’éloquence du tribun pourra obtenir de l’Assemblée constituante l’abolition de la traite, dans un moment d’enthousiasme analogue aux votes historiques du 4 août - la fin des privilèges – ou du 26 août - la déclaration des droits de l’Homme.
En novembre, Clarkson fait à nouveau venir à Paris un millier de ces plans accompagnés d’explications en français et les diffuse activement : l’effet est prodigieux. Mais par crainte de trop émouvoir Louis XVI, Clarkson renonce à la lui présenter, lors de l’audience qu’il lui accorde en 1790.
Impressionné, Mirabeau clame qu’il va exposer la question de la traite à l’Assemblée constituante pour en obtenir l’abolition. Il utilise les compétences de Clarkson sur la traite et celles de Clavière sur l’économie, pour composer, de novembre 89 à mars 90, un long discours pathétique décrivant « Les bières flottantes des négriers ». Clarkson raconte dans ses Mémoires[1], qu’il fait même réaliser une maquette du bateau, qui s’ouvre par le milieu, afin de montrer l’agencement intérieur monstrueux et les figurines couchées. La maquette a été conservée jusqu’à nos jours grâce à l’Abbé Grégoire, qui l’avait récupérée lors de la dispersion de la Société des Amis des Noirs.
Mais à Paris, les colons des îles, regroupés en un puissant lobby, veillent à empêcher toute discussion à l’Assemblée, et obtiennent qu’elle remette à des assemblées coloniales la gestion des colonies, le 8 mars 1790. Le compromis est probable entre ceux-ci et Mirabeau, qui prend ses distances avec les Amis des Noirs. Son discours tant annoncé ne sera jamais prononcé à l’Assemblée, ni publié sous la Révolution.
Convaincre pour faire interdire
L’entassement froidement calculé et rationalisé des noirs dans ce bateau négrier constitue l’une des plus saisissantes affiches politiques jamais composées. L’impact est considérable car la traite des noirs, peu représentée, ne l’a encore jamais été de façon réaliste. Cette image d’enfermement, véritable « horreur géométrique » ne laisse personne indifférent car elle pose la question de fond : Si les Noirs sont des êtres humains, les négriers ont-ils le droit d’agir ainsi? Délibérément les abolitionnistes anglais se fondent sur un document purement technique, pour confronter la conscience de chacun à la question de l’humanité des noirs ; c’est le préalable nécessaire pour pouvoir faire interdire la traite.
Grâce à cette gravure au retentissement considérable, le mouvement abolitionniste se rend rapidement maître du terrain de la morale auprès de l’opinion. L’impact de cette image se poursuivra pendant plusieurs décennies. C’est du dehors et sous la pression de cette propagande abolitionniste novatrice, que les sociétés coloniales et africaines qui dépendent étroitement de la traite et de l’esclavage se verront imposer l’abolition.
Olivier PETRE-GRENOUILLEAULes traites négrières, essai d’histoire globaleParis, Gallimard, 2004.Honoré-Gabriel Riqueti de MIRABEAULes bières flottantes des négriersprésenté par Marcel DORIGNY, (ed.) Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2000.Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitionsDirection des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/plan-bateau-negrier-symbole-mouvement-abolitionniste
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
La Révolte des esclaves à Saint-Domingue, 1791
L’île d’Hispaniola, découverte par Christophe Colomb en 1492, est scindée en deux par le…
Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste
Vers 1770, apparaît en Angleterre et aux États-Unis l’abolitionnisme, mouvement d’une nouveauté radicale qui remet…
La fête de l'abolition de l'esclavage à Paris
La fête organisée par la Commune de Paris pour célébrer l’abolition de l’esclavage par la réunit en masse les sans-culottes…
Le cachet de la Societé des Amis des Noirs
Le système esclavagiste pratiqué dans les colonies des Antilles et en Amérique est au XVIIIe siècle une…
La première abolition de l'esclavage en 1794
Si les théories humanitaires des philosophes sont largement diffusées, notamment par la Société des Amis des…
La traite illégale
Avant que n’éclate la Révolution en France, l’Angleterre et la France pratiquaient toutes deux la traite des Noirs. Au début…
La IIe République abolit l’esclavage
Affirmant l’égalité entre les hommes et leur droit naturel à la liberté, les philosophes du XVIIIe…
Géricault et l’abolitionnisme
Le 4 février 1794, la Convention abolit l’esclavage en France et dans ses possessions ultramarines avant…
Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Domingue à la Convention
A l’aube de la Révolution, Belley, ancien esclave à Saint-Domingue, affranchi grâce à son service…
L'abolition aux Antilles
A Saint-Domingue l’esclavage est caractérisé par l’arrivée constante de nouveaux esclaves du fait de l’ampleur de la traite. On évalue entre 500…
Aurore
Bonjour. Je voudrais savoir quel est le nom de l'auteur svp c'est très urgent ! (devoirs d'histoire)
Marvin Blot || Esclavage
Dans ma question d'histoire on me dit à qui apartenait ces navires ( ce qui servait à transporter les esclaves. Merci d'avance
Cordialement Marvin BLOT
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel