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Portrait d'Alice Guy

Portrait d'Alice Guy

Madame Blache en répétition de <i>Fra Diavolo</i>

Madame Blache en répétition de Fra Diavolo

Portrait d'Alice Guy

Portrait d'Alice Guy

Lieu de conservation : Agence AKG Images
site web

Date de création : Vers 1910

Date représentée : Vers 1910

Colorisation digitale postérieure

Domaine : Photographies

© AKG - Images

Lien vers l'image

AKG9721422

  • Portrait d'Alice Guy

Alice Guy, la femme à la caméra

Date de publication : Décembre 2024

Auteur : Alexandre SUMPF

On ne naît pas cinéaste, on le devient

Au début des années 1910, l’Europe n’est pas encore en guerre et les États-Unis sont encore un Nouveau Monde peu connu. La photographie y connaît déjà de belles heures, et le cinéma est en train de faire sa conquête. Lorsque deux photographes américains dressent son portrait dans les années 1910, Alice Guy (nom d’épouse Blaché) a déjà derrière elle une longue carrière dans le cinéma, dont elle est l’un des pionniers et sans conteste la première grande cinéaste.

Née en 1873, sténodactylo de formation, elle a commencé à tourner des films d’animation pour Léon Gaumont (1) dès 1896, qui lui accorde sa confiance après la réussite de sa première œuvre, La Fée aux choux. En 1899, elle passe à la fiction jouée en réalisant une Passion du Christ en plusieurs épisodes, et elle se spécialise en 1902-1906 dans les Phonoscènes, films synchronisés avec des disques de phonographes.

La carrière de son époux, lui-même employé de Gaumont, l’amène en 1907 aux États-Unis - mais les ventes du Chronoscène Gaumont ne décollent pas. Alice Guy ne veut pas se contenter de son rôle de mère (deux enfants naissent en 1908 et 1910) et n’a aucun désir de devenir actrice. Elle fonde alors à Flushing son premier studio (1910) ; le succès immédiat pousse la Solax Film Co à déménager à Fort Lee (New Jersey) en 1912.

La légende de l’Ouest

De facture assez traditionnelle, le portrait qui est réalisé en studio est celui d’une notable de la Côte Est. Elle pose assise de trois-quarts devant un décor arboré, vêtue d’un ample manteau de fourrure et de soie. La richesse de cette parure et son maintien presque aristocratique classent Madame Blaché parmi l’élite du temps. De cet amas de drapés qui fait penser à l’art des peintres de la Renaissance, qui rivalisaient de virtuosité à cet endroit, émerge un visage ovale, régulier, avec de grands yeux ornés de sourcils. La bouche est pincée, sans doute à cause du temps de pose.

Le cliché pris en 1912 à Flushing, avant le déménagement à Fort Lee, ne permet pas d’identifier à première vue la cinéaste. La scène se déroule en plein air, sans doute au printemps : à l’époque, la lumière naturelle seule pouvait assurer une exposition suffisante pour exposer la pellicule et y imprimer de courtes mises en scène. L’image se compose de deux parties séparées par la distance entre la plateforme où répètent les acteurs, à droite, et celle où l’on distingue la caméra, à gauche. Les comédiens apparaissent en costumes historiques, ce qui est cohérent avec le sujet de Fra Diavolo, opéra-comique créé en 1830 au sujet du brigand napolitain pendu par les troupes de Napoléon Ier. Ce n’est qu’en se penchant bien sur la silhouette de l’opérateur (qui, à l’époque, était de facto le réalisateur) que l’on peut déterminer qu’il s’agit d’une femme : le chapeau à larges bords et la jupe en attestent. Les échafaudages, les gestes et les regards saisis par le photographe offrent au lecteur un bel aperçu des coulisses de ce qui est connu depuis quelques années comme le septième art.

Esprit pionnier

Les deux clichés saisissent Alice Guy au sommet de sa carrière américaine et de sa réussite économique. Bientôt, les studios autochtones qui se pressent à Fort Lee pour bénéficier des installations de la French Lady vont aller trouver le soleil éternel de Californie à Hollywood. Alice Guy elle-même tente l’aventure après avoir dû vendre son studio : elle a confié les rênes de son entreprise à son mari, qui a coulé l’affaire. Ils divorcent en 1922, et elle rentre en France, où elle ne parvient pas à retrouver une place dans le milieu du cinéma.

Le cinéma des premiers temps a été profondément transformé par la Grande Guerre, qu’elle a vécu de trop loin. Les films sont plus longs, les acteurs plus professionnels, les métiers plus spécialisés. Elle cherche pendant des années à retrouver ses films et les rassembler, sans grand succès ; elle écrit aussi ses Mémoires, mais ils ne sont publiés qu’après sa mort. Malgré ces revers, elle n’a jamais été totalement oubliée : des articles la mentionnent régulièrement, et Victor Bachy écrit sa biographie après avoir enregistré avec elle des heures d’entretien avant sa mort en 1968. Si elle a trouvé une reconnaissance tardive dans les années 1950, ses films ont longtemps été réputés perdus. C’est cette absence aujourd’hui en partie comblée qui a longtemps donné l’impression que la grande pionnière du cinéma avait été rayée de l’histoire. Il est resté de cette aventure industrielle et artistique des photographies qui, comme les deux clichés analysés, ont permis de retrouver cette trace et d’attester la carrière exceptionnelle d’Alice Guy.

Alice Guy, pionnière du cinéma, Les femmes méconnues, une vidéo d'Arte, 1 mn

Victor Bachy, Alice Guy-Blaché (1873-1968) : La première femme cinéaste du monde, Perpignan, Institut Jean-Vigo, 1993.

José-Louis Bocquet, Catel Muller, Alice Guy, Paris, Casterman, 2021.

Alice Guy, La fée-cinéma. Autobiographie d'une pionnière, Paris, Gallimard, 2022.

1 - Léon Gaumont (1864-1946) : fondateur de la société Gaumont en 1895, Léon Gaumont développe et améliore les techniques de prises de vues et de projection. Il débute la production cinématographique avec Alice Guy et construit un studio en 1905 aux Buttes-Chaumont. Avec Charles Pathé, Léon Gaumont a été l'un des pionniers du cinéma en France et a construit un empire commercial.

Alexandre SUMPF, « Alice Guy, la femme à la caméra », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/alice-guy-femme-camera

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