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<i>Ambassadeurs. Aristide Bruant dans son cabaret</i>

Ambassadeurs. Aristide Bruant dans son cabaret

Date de création : 1892

Date représentée : 1892

H. : 151,3 cm

L. : 98,3 cm

Lithographie en couleurs.

Domaine : Affiches

Domaine Public © CC0 Victoria & Albert Museum

Lien vers l'image

CIRC.551-1962

  • <i>Ambassadeurs. Aristide Bruant dans son cabaret</i>

Aristide Bruant, ambassadeur de Montmartre

Date de publication : Novembre 2024

Auteur : Alexandre SUMPF

La Belle Époque des cafés-concerts

Dans le dernier quart du XIXe siècle, Paris est le cœur battant de la vie artistique mondiale. La Ville-Lumière symbolise à elle seule la Belle Époque, une période qu’on jugera rétrospectivement idyllique après les horreurs de la Grande Guerre. Entre théâtres, opérettes et bals, l’industrie du spectacle et du divertissement bat son plein. Les cafés-concerts se livrent une rude concurrence en débauchant les meilleurs artistes de scène et en inondant les murs de leurs affiches chatoyantes.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) est monté en 1881 à la capitale apprendre la peinture ; en situation de handicap, alcoolique, provocateur, il hante les nuits parisiennes – un monde qu’il commence à peindre en 1889. Il crée pour le Moulin Rouge sa première affiche, La Goulue, en 1891. Le succès de cette image attire l’attention du chansonnier Aristide Bruant (1851-1925) qui, auréolé de sa célébrité au sein du peuple de Montmartre, a été appelé pour chanter dans un établissement chic situé au bas des Champs-Élysées, près de la Concorde : Les Ambassadeurs.

Aristide Bruant, roi de Pantruche

La composition de l’affiche, de format vertical, est classique pour l’époque : le nom du café-concert apparaît dans la partie supérieure, en lettres capitales aux contours ondulés comme le veut la mode. Au premier plan se tient, massive, la carrure du chansonnier doté de ses attributs reconnaissables entre mille : le chapeau noir à larges bords, l’écharpe rouge et le bâton en bois brut, avec son écorce.

Le visage est soigneusement dessiné, loin des caricatures qui ont fait la renommée du peintre : il a même pris soin de soigner les cheveux, que l’on presque compter tant le trait se fait fin. En revanche, le plan est si rapproché que Bruant occupe à lui seul les trois-quarts de l’image, sur un fond de mur jaune anonyme. Dans le quart supérieur droit, au dernier plan, se détache sur le bleu de la nuit une silhouette noire d’ouvrier, le bras appuyé sur le mur. Le titre de l’affiche est une pure provocation (signée lisiblement à gauche par Toulouse-Lautrec) à l’adresse du propriétaire des Ambassadeurs : les lettres BRUANT sont étirées au maximum pour dominer le nom du café-concert, et le cabaret est proclamé propriété du chansonnier.

La lutte de classes en chantant

On peut lire un peu partout que le patron des Ambassadeurs a peu goûté cette affiche et qu’il a refusé de la placarder. Bruant aurait alors menacé de ne pas se produire et exigé qu’on couvre la ville de cette publicité à sa gloire. L’anecdote a dû circuler à l’époque, signe de la tension extrême entre quartiers et classes sociales qui fait l’envers du décor de la Belle Époque.

Le Premier Mai 1891, les forces de l’ordre ont tiré sur des familles de mineurs défilant pour la Fête du Travail (alors interdite) à Fourmies. À Paris, la mémoire des Communards assassinés ou internés et déportés par milliers lors de la Semaine Sanglante du 28 mai 1871 reste très vive. Bruant est le chantre de ce « Pantruche » en butte à une croissante exploitation capitaliste, refusant le régime disciplinaire de l’usine, avide de liberté, à la lisière de la criminalité. Les « bourgeois » cherchent à s’encanailler en l’invitant dans leur quartier, évitant les rues mal famées et refusant toute mixité sociale. Au grand plaisir de Bruant, Toulouse-Lautrec leur rend la politesse : dans son affiche, c’est Montmartre qui investit les Champs, et non ceux-ci qui achètent l’âme populaire de la Butte.

Dominique Kalifa, La véritable histoire de la « Belle Époque », Paris, Fayard, 2017.

Pierre-Robert Leclercq, Soixante-dix ans de café-concert : 1848-1918, Paris, Les Belles Lettres, 2014.

Daniel Marchesseau (dir.), Toulouse-Lautrec à la Belle Époque - French Cancans - œuvres graphiques - une collection privée, catalogue d'exposition, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, 2017.

Alexandre SUMPF, « Aristide Bruant, ambassadeur de Montmartre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/aristide-bruant-ambassadeur-montmartre

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