Assassinat de Bassville à Rome.
Assassinat de Bassville à Rome, le 13 janvier 1793.
Assassinat de Bassville à Rome.
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date représentée : 13 janvier 1793
H. : 9,4 cm
L. : 14,8 cm
Plume et encre noire, lavis gris.
Domaine : Dessins
© Photo RMN - Grand Palais - T. Le Mage
06-527871 / 3836DR
L'assassinat de Bassville à Rome
Date de publication : Juin 2009
Auteur : Mehdi KORCHANE
Les événements qui aboutissent à la proclamation de la république le 21 septembre 1792 ont entraîné une détérioration rapide des relations entre la France et le Saint-Siège : l’atteinte portée à l’ordre monarchique (déchéance d’un roi catholique), les violences exercées contre ses représentants ou défenseurs et l’arrivée massive de prêtres réfractaires à Rome ont suscité l’exaspération du Vatican. Cependant, la jeune république profite de l’avantage que lui donnent ses premiers succès militaires et la présence de sa flotte au large des côtes napolitaines pour intimider le Saint-Siège, dans l’espoir de le voir reconnaître le nouveau régime de la France. C’est dans ce but que l’ambassadeur de France à Naples a dépêché son secrétaire de légation le 13 novembre 1792.
D’abord chargé de garantir la liberté d’artistes français menacés par l’inquisition, en raison de leurs opinions jacobines et de leur défaut de foi, Nicolas-Jean Hugou de Bassville a ensuite reçu la mission de se substituer au directeur déchu de l’Académie de France afin de veiller sur le palais Mancini et d’encourager la flamme patriotique de ses administrés. Mais les imprudents projets iconoclastes que le gouvernement parisien lui ordonne d’exécuter vont le conduire à sa perte et entraîner la fuite de la communauté française.
En décembre 1792, Bassville est sommé de faire disparaître les armes royales des façades du palais Mancini et du consulat afin de leur substituer l’emblème de la République. Cette provocation, qui s’ajoute aux démonstrations patriotiques tapageuses des pensionnaires français, met le comble à la colère de la population locale, qui fomente une expédition punitive : pris à partie dans une émeute le 13 janvier 1793, Bassville reçoit un coup d’arme blanche et meurt le jour suivant.
Les différences narratives entre ces deux représentations de l’événement tiennent aux divergences entre les témoins qui l’ont rapporté et à la connaissance approximative qu’en a eue le public français. Il est toutefois possible de dégager de ces récits les circonstances vraisemblables du drame. La citoyenne Bassville et son enfant sortirent en voiture de la demeure du banquier Moutte, où ils étaient établis, accompagnés du diplomate Amaury Duval et du major Flotte, pour aller se promener sur le Corso. Leurs cocardes tricolores éveillèrent l’hostilité de la populace qui forma bientôt une foule menaçante autour de leur voiture. Celle-ci parvint à se réfugier dans le palais d’où elle était sortie et où Bassville était resté. Une pluie de pavés s’abattit sur la demeure dont les portes cédèrent bientôt. Tandis que Flotte prenait la fuite par une fenêtre et que la citoyenne et son enfant parvenaient à se réfugier dans un grenier, Bassville, resté face à la foule, reçut un coup d’arme blanche au ventre et mourut des suites de sa blessure le lendemain, malgré les soins dispensés par un chirurgien du pape.
L’auteur du dessin anonyme simplifie la péripétie en condensant dans une scène unique les différents moments, lieux et protagonistes du drame, réduisant de fait une action complexe à une seule et même dynamique de groupe. Inexacte au regard des faits, l’image est également défectueuse sur le plan artistique : la théâtralité du lieu (l’ouverture de l’appartement sur la rue est improbable), la maladresse de la perspective, la naïveté de la pantomime et les expressions outrées des émeutiers sont caractéristiques du langage élémentaire de l’imagerie populaire. Rendue sensationnelle par la rumeur, la nouvelle de l’assassinat de Bassville a fourni aux dessinateurs de second ordre des projets de gravure que l’évolution des événements aura rapidement rendus caducs.
Si tel est peut-être le cas de cette illustration, il n’en est pas allé de même pour la composition vraisemblablement gravée à l’initiative de la Convention. Cette image de propagande déplace le drame à l’extérieur, dans l’espace politique de la cité. Des prêtres fanatiques incitent le peuple au crime tandis qu’un détachement de soldats assiste, en retrait, à l’assassinat du représentant républicain. Si l’auteur du dessin a pris des libertés avec la réalité des faits, il est néanmoins probable qu’il en ait été le témoin : l’artiste qui s’enfuit à l’extrême gauche de la composition – le portefeuille à dessins sous son bras désigne son état – rattache cette planche au contexte de l’Académie de France et rappelle que les quatre pensionnaires présents au moment des faits (Lafitte, Girodet, Péquignot et Mérimée), tous peintres, ont eux aussi été la cible des émeutiers. L’élaboration de la composition, le canon musculeux des figures, la rigoureuse construction perspective, sont du reste des qualités qui appartiennent à un peintre d’histoire.
La légende de la gravure rend compte de la vive émotion que la nouvelle a suscitée en France. Elle fut probablement éditée alors que le gouvernement était tout disposé à croire à la culpabilité des autorités pontificales et entendait prendre des mesures de représailles à leur endroit. Le souverain pontife, qui dépêcha auprès de la victime l’un de ses chirurgiens et multiplia les appels au calme, fut en réalité desservi par ce débordement populaire qui court-circuitait son action diplomatique. L’assassinat de Hugou de Bassville eut pour effet immédiat de mettre en fuite les ressortissants de la République et de compromettre la présence française dans les États pontificaux.
Mais l’ultime degré de crispation entre les deux États n’était pas encore atteint : parvenue début février à Rome, l’annonce de la mort de Louis XVI contraignit Pie VI à une logique contre-révolutionnaire et dressa entre les deux pays un obstacle qui ne fut franchi que par Bonarparte. Avec l’humiliant traité de Tolentino qu’il allait imposer au pape le 19 février 1797, le chef de l’armée d’Italie allait apporter la vengeance longtemps espérée par la France : « Sa Sainteté fera désavouer par son ministre à Paris l’assassinat commis sur la personne du secrétaire de légation Bassville. Il sera payé dans le courant de l’année par Sa Sainteté la somme de trois cent mille livres pour être répartie entre ceux qui ont souffert de cet attentat » (article 18 du traité de Tolentino).
Thomas CROW, L’atelier de David.Emulation et Révolution, Paris, Gallimard, 1997.Frédéric MASSON, Les Diplomates de la révolution : Hugou de Bassville à Rome, Bernadette à Vienne, Paris, Charavay frères, 1882.Gérard PELLETIER, Rome et la Révolution française.La théologie et la politique du Saint Siège devant la Révolution française (1789-1799), Rome, École française de Rome, 2004.René TRINQUET, « L’assassinat de Hugou de Bassville (12 janvier 1793) », dans Annales révolutionnaires, VII (1914), p.338-368.Leone VICCHI.Les Français à Rome pendant la Convention (1792-1795), Fusignano, l'auteur, 1892.
Mehdi KORCHANE, « L'assassinat de Bassville à Rome », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/assassinat-bassville-rome
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
La loi de séparation du 9 décembre 1905 et sa mise en œuvre
L’évocation de la loi de Séparation des Églises et de l’État entraîne souvent la mise au singulier du mot Églises. Inexacte…
L’anticléricalisme dans le premier XIXe siècle
Après la Révolution qui rompt brutalement avec l’Église en récusant l’association, fondatrice de l’Ancien Régime, entre ordre politique et ordre…
La séparation des Églises et de l'État
À l’orée du siècle, les relations de la France avec le Saint-Siège s’enveniment du fait de la politique…
Jeanne d’Arc
Un siècle sépare le tableau de Paul Delaroche de celui d’Émile Bernard : celui de la naissance d’un véritable mythe…
Darboy, martyr de Versailles
Le 24 mai 1871, Monseigneur Georges Darboy, archevêque de Paris, l’abbé Gaspard Deguerry, curé de la Madeleine et…
Un homme politique au faîte de sa puissance
Sénateur, président du Sénat, ancien ministre, Émile Combes devient président du Conseil en mai 1902. Figure importante du radicalisme, il est…
Le Cartel des gauches de 1924
En 1919, les Français, traumatisés par quatre années de guerre totale,…
Gambetta, père fondateur de la IIIe République
Jeune avocat, Gambetta s’imposa sous le Second Empire comme un des chefs les plus populaires de l’…
L'immoralité au cœur de la lutte religieuse pendant la IIIe République
Vingt ans séparent la date de réalisation de ces deux affiches. En 1884, l’ouvrage de Léo Taxil publié par…
L'assassinat de Bassville à Rome
Les événements qui aboutissent à la proclamation de la république le 21 septembre 1792 ont entraîné une détérioration rapide des relations entre…
Auvray-Rzekiecki || Description de la gravure
J'ai du mal à distinguer sur l'image donnée:
1° "le carton à dessin sous le bras de l'artiste": l'image est-elle tronquée à gauche? J'ai vu par ailleurs cette gravure et n'ai aucun souvenir d'un carton.
2° "les prêtres soulevant la foule" et les soldats. On peut voir un groupe de pauvres hères en haillons, une hache et des bâtons, aucun uniforme et aucun rabat.
Je ne vois pas comment utiliser ce commentaire auprès d'élèves attentifs...
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel