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Jeanne d'arc dans sa prison

Jeanne d'arc dans sa prison

Jeanne d'arc

Jeanne d'arc

Jeanne d'arc au sacre du roi Charles VII, dans la cathédrale de Reims

Jeanne d'arc au sacre du roi Charles VII, dans la cathédrale de Reims

Jeanne d'arc dans sa prison

Jeanne d'arc dans sa prison

Auteur : DELAROCHE Paul

Date de création : 1825

Date représentée : 1431

H. : 70 cm

L. : 61 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© The Wallace Collection, Londres, dist. RMN - Grand Palais / The Trustees of the Wallace Collection

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10-510219 / P300

Jeanne d’Arc

Date de publication : Décembre 2019

Auteur : Alexandre SUMPF

La Pucelle ressuscitée

Un siècle sépare le tableau de Paul Delaroche de celui d’Émile Bernard : celui de la naissance d’un véritable mythe national, dont la polysémie provoque un âpre débat politique épousant les grandes fractures de l’histoire de France.

Objet d’un véritable culte de son vivant, Jeanne d’Arc (1412-1431) a été vite oubliée après sa mort sur le bûcher le 30 mai 1431, qui concluait une épopée de trois ans à peine, épisode majeur de la guerre de Cent Ans. Quand elle n’est pas ignorée, la Pucelle d’Orléans est moquée, notamment par Voltaire. Elle ne doit sa réhabilitation qu’au goût du XIXe siècle pour le Moyen Âge. Les historiens Philippe-Alexandre Le Brun de Charmettes en 1817 et surtout Jules Michelet en 1841 rétablissent la vérité historique sur le personnage et la transforment en héroïne incarnant le peuple français. Delaroche tire parti de ce contexte pour créer la sensation au Salon de 1824 avec Jeanne d’Arc dans sa prison, commande d’un Britannique vivant à Paris ; le peintre devient alors célèbre pour ses toiles documentées sur le plan historique et dramatisées.

Le Second Empire ne néglige pas non plus la figure populaire de Jeanne : l’État passe commande à Jean-Auguste Dominique Ingres d’une toile présentée à l’Exposition universelle de 1855. Sous la IIIe République, mémoires de droite et de gauche se font concurrence. La première insiste sur le sentiment national, la loyauté politique et une forme de sainteté, la seconde sur les origines modestes de la jeune femme, qui accomplit sa mission malgré l’indifférence manipulatrice du roi Charles VII et les sombres manœuvres du clergé.

Alors que les premiers films sur la Pucelle sont sortis (Jeanne d’Arc de Georges Méliès en 1900, Jeanne d’Arc de Cecil B. DeMille en 1916, et surtout La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer en 1928 et La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc de Marco de Gastyne en 1929), Émile Bernard, ancien fondateur de l’école de Pont-Aven, décide à son tour de consacrer une toile au mythe national à l’occasion du cinq-centième anniversaire de la libération d’Orléans (1929) et du martyre de Jeanne d’Arc (1931).

Jeanne, première héroïne nationale

L’histoire de la jeune Lorraine est un condensé de ces épisodes qui formaient la structure de l’histoire au XIXe siècle. Ces trois tableaux, réalisés en 1825, 1855 et 1930, mettent en scène la geste de Jeanne d’Arc : son procès (et la torture en prison) à Rouen en 1431, le sacre de Charles VII à Reims le 17 juillet 1429 et les campagnes militaires de 1429, en particulier la libération d’Orléans.

Les trois personnages brossés par Delaroche sont un greffier, un prélat qui interroge l’accusée (le cardinal de Winchester) et l’ancienne cheffe de guerre déchue, en position de faiblesse. Trois puissances s’affrontent donc ici : celle de l’histoire, qui permet de juger du passé ; celle de l’Église, de sa lutte contre les hérétiques et de sa compromission avec l’ennemi de la couronne de France ; celle de la foi populaire. Les tonalités sombres de la scène de genre ne cherchent pas le clair-obscur, mais le contraste entre la pourpre imposante du clerc et la pâleur innocente de la jeune fille enchaînée, le visage déformé de colère inspiré des recherches sur l’émotion, et la candeur d’un visage qui n’est que front souffrant et yeux implorants, la main crispée de l’Anglais violent et les mains jointes de la victime des jeux politiques. À mi-chemin entre ces deux personnages, légèrement en retrait et dans l’ombre, le greffier regarde le spectateur tout en reportant ce qu’il entend dans ses annales : c’est peut-être une figure du peintre.

Reprenant la composition d’un dessin réalisé en 1846, Ingres associe dans son tableau de grand format l’héritage de son maître Jacques-Louis David, le peintre d’histoire du début du siècle, et le style troubadour qui idéalise depuis les années 1830 le Moyen Âge et la Renaissance. Dans cette tradition, trois orants forment l’assemblée, et un page auquel Ingres a donné ses traits assiste à la scène. Dans des couleurs vives et contrastées, le peintre offre la place centrale à la Pucelle et à son rapport à Dieu : si le roi est absent du cadre malgré le titre de l’œuvre, on reconnaît agenouillé Jean Pasquerel, l’aumônier de Jeanne. Pilier de la monarchie française renaissante, la jeune femme en armure appuie sa main gauche sur l’autel richement enluminé de la cathédrale. Telle une statue tout d’un bloc, elle ne laisse deviner ses pensées que par la profusion d’objets qui l’entourent, peints avec un réalisme à la limite du trompe-l’œil. La lumière, qui devrait logiquement émaner de la bougie et créer un clair-obscur à la mode du XVIe siècle, provient des cieux et surexpose celle qui a été choisie pour porter l’étendard. Quoique son costume fourmille de détails comme autant d’effets de réel, Jeanne apparaît moins comme une guerrière que comme une femme (portant une jupe), un emblème de la fidélité au roi et une sainte.

En 1930, Jeanne n’a rien perdu de son actualité : elle a été béatifiée en 1909, puis canonisée en 1920. Depuis sa rupture avec Paul Gauguin, Bernard s’inspire de plus en plus des maîtres de la Renaissance dans son retour à un certain classicisme ; dans les années 1920, il multiplie à la fois les portraits et les cycles ambitieux. Il choisit de resserrer la focale sur le personnage de Jeanne, dans un tableau dominé par des dégradés de gris et d’ocre à peine rehaussés du bleu de France, qui pointe au beau milieu du tableau entre deux parties d’armure. L’héroïne au type androgyne, cheveux lâchés au vent, à moitié en robe de femme et en habit de combat masculin, semble se retenir à la hampe de son étendard au-dessus des soldats aux visages indistincts sous les casques. Verticale et droite, apaisée et presque souriante, elle contraste avec la marée d’hommes hurlant qui paraît s’écrouler vers la droite du tableau.

Le mythe du sauveur

Le XIXe siècle a en quelque sorte inventé Jeanne d’Arc, lui donnant des racines à la fois populaires et républicaines, religieuses et patriotiques. Jules Michelet et Jules Quicherat, deux historiens de sensibilité plutôt républicaine, ont contribué à replacer Jeanne au cœur de l’histoire nationale – le premier avec un récit très littéraire (1841), le second par l’édition des sources primaires principales sur le sujet (1841-1849). Ils en font une héroïne du peuple, « sainte de la patrie », martyre de la nation, plutôt qu’une guerrière royaliste inspirée par d’inexplicables voix.

Si Delaroche a anticipé en 1825 cette image consensuelle, qui contribue au succès pharamineux du personnage, Ingres opte lui pour la sanctification d’une jeune fille inspirée par Dieu. Occupé à achever une Vierge commandée officiellement par le même contrat que Jeanne, il a laissé toute la périphérie de la composition à son atelier, son portrait compris. Mais Ingres s’est réservé la partie où se tient Jeanne, plus hiératique que bien des personnages du peintre, et l’autel chargé de symboles qui donnent au tableau sa tonalité mystico-patriotique. Pour lui, en 1852, il y a quelque chose de Jeanne en Louis-Napoléon Bonaparte, qui a sauvé la France du chaos républicain par son coup d’État du 2 décembre 1851.

Dans la seconde partie du XIXe siècle, les publications scientifiques ou populaires font florès ; aucun manuel d’histoire n’ignore plus l’épopée de la Pucelle, Domrémy devient un lieu de pèlerinage catholique assidu. C’est sans doute ce qui pousse l’évêque d’Orléans, monseigneur Dupanloup, à réclamer dans un panégyrique de 1869 la canonisation d’une jeune femme… pourtant condamnée pour hérésie par un tribunal ecclésiastique. Cette initiative, partie prenante d’une stratégie de rechristianisation de la France, fait débat au sein de l’Église comme chez les anticléricaux. Il n’empêche : l’identification à Jeanne glisse de plus en plus vers le nationalisme et le conservatisme catholique. La défaite de 1870 opère la mue de la jeune Lorraine en un emblème de la nation résistante (aux côtés de Vercingétorix), statut encore amplifié par la guerre de 1914-1918 qui se déroule justement dans les confins orientaux du pays.

À sa béatification en 1909, Jeanne a été adoptée comme sainte patronne par les Camelots du Roi. La République, qui tient enfin sa revanche, tente de récupérer le symbole en opposant à la canonisation de 1920 une fête du patriotisme qui avait été imaginée par le radical Joseph Fabre… en 1884. Mais le symbole ne séduit plus du tout à gauche. Émile Bernard connaît à la fin de sa vie une phase de mysticisme catholique qui explique peut-être le retour à un thème déjà abordé en 1912, à l’occasion du cinq-centième anniversaire de la naissance de Jeanne. Les deux tableaux diffèrent fortement : au portrait romantique précisément dessiné de sa muse d’alors, a succédé une guerrière farouche au sein de la mêlée, peut-être un rappel des champs de bataille de 1914-1918. Si le livre de prières a disparu, la lumière divine inonde toujours le visage de Jeanne, qui flotte comme une apparition. Elle est plus que jamais le guide du peuple dans les malheurs de la guerre.

CONTAMINE Philippe, BOUZY Olivier, HÉLARY Xavier, Jeanne d’Arc : histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2012.

HANSEN Dorothée, LEEMAN Fred, RAPETTI Rodolphe, SUEUR-HERMEL Valérie, VIAL Marie-Paule, Émile Bernard (1868-1941), cat. exp. (Paris, 2014-2015), Paris, Flammarion / musée d’Orsay, 2014.

KRUMEICH Gerd, Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, Belin, coll. « Histoire », 2017.

VEZYROGLOU Dimitri, « Mémoire nationale et cinéma français en 1928 : La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc, de Marco de Gastyne », dans DELPORTE Christian, DUPRAT Annie (dir.), L’événement : images, représentation, mémoire, Paris, Créaphis, 2003.

Alexandre SUMPF, « Jeanne d’Arc », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/jeanne-arc

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