Boissy d'anglas salue la tête du député Féraud à la Convention nationale, 20 mai 1795
Auteur : TELLIER Joseph-Auguste
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1830
Date représentée : 20 mai 1795
H. : 85 cm
L. : 110 cm
Huile sur toile Présenté au concours de 1830 pour la Chambre des députés, non retenu ; collection Libert ; achat, 1900
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais
Boissy d'Anglas
Date de publication : Octobre 2003
Auteur : Jérémie BENOÎT
Après la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), les sans-culottes qui n’avaient pourtant guère réagi pour le soutenir, sentirent très vite que la réaction thermidorienne allait à l’encontre de leurs intérêts. La liberté des prix retrouvée après la suppression de la loi du maximum général (4 nivôse an III, 24 décembre 1794) entraîna une flambée qui, ajoutée à de mauvaises récoltes et à un hiver très rigoureux, provoqua un sursaut des classes populaires acculées par la disette. Le spectre d’une insurrection réapparut au printemps 1795. Mais les journées du 12 germinal (1er avril 1795) et du 1er prairial an III (20 mai) n’aboutirent pas : les sans-culottes avaient perdu leurs chefs. Le 20 mai, les ouvriers affamés des faubourgs avaient envahi l’Assemblée et décapité le député Féraud qui tentait de s’interposer. Ils forcèrent Boissy d’Anglas, président de la Convention, à saluer la tête de son collègue portée au bout d’une pique. En restant imperturbable, le président avait évité que l’Assemblée ne cède à la pression en se dissolvant. Suite à cet événement, plusieurs députés montagnards nostalgiques de la Terreur robespierriste, Prieur de la Marne, Romme, Bouchotte, Soubrany, Duroy et Duquesnoy, qui étaient restés assis en signe de solidarité avec les émeutiers, furent arrêtés et guillotinés.
En septembre 1830, Guizot, président du Conseil de Louis-Philippe, lança un concours pour, à terme, sélectionner trois tableaux destinés à décorer la Chambre des députés. Le programme avait été scrupuleusement établi : « Louis-Philippe prêtant serment à la chambre constitutionnelle le 29 août 1830 » devait être encadré par « Mirabeau répliquant au marquis de Dreux-Brézé le 23 juin 1789 » et « Boissy d’Anglas saluant la tête de Féraud le 1er prairial an III ». Les candidats pouvaient traiter l’un de ces trois sujets. Sur les nombreux artistes qui participèrent à ce concours, cinquante-trois choisirent de représenter Boissy d’Anglas. Parmi eux, Hennequin, vieux peintre émigré en Belgique qui s’était beaucoup impliqué dans les événements de la fin de la Convention et du Directoire, et, plus ou moins activement, dans le complot babouviste, mais aussi Delacroix (musée de Bordeaux), Alexandre Evariste Fragonard (musée du Louvre), Paul Chenavard (musée Carnavalet), Roehn (Tarbes), Vinchon (Tours), Court, etc. Sans démériter, Tellier livra une œuvre assez proche des autres où la poussée populaire fait disparaître les députés dans la cohue des sans-culottes. Une grande diagonale marquée par la pique au bout de laquelle est plantée la tête de Féraud pointe vers la tribune où se tient Boissy d’Anglas et qu’encadrent les Déclarations des droits de l’homme. Le geste digne mais craintif du président qui salue son collègue tué s’oppose aux gesticulations des sans-culottes et des tricoteuses. Pourtant, cette populace semble respecter la représentation nationale : les figures les plus proches de Boissy d’Anglas, dans des gestes de supplication, lui soumettent des pétitions. Dans ce tableau, Tellier n’a pas cherché à condamner le peuple, mais bien à montrer sa détresse : seule la misère l’entraîne à de telles extrémités, il faut donc l’écouter.
Le tableau de Tellier fut éliminé par le jury en raison de son caractère sanglant et sans doute de cette indulgence envers le peuple, Tellier ne réalisa pas son tableau. Ce fut Vinchon qui l’emporta. Mais sa toile, achevée en 1834, ne fut jamais mise en place : on craignait que le sujet ne remuât trop de souvenirs tragiques et ne fût perçu comme une condamnation du peuple. En effet, de nombreux artistes, dont Court, à l’inverse de Tellier, avaient montré le peuple sous des traits peu flatteurs, presque caricaturaux.
A travers les trois sujets du concours, il s’agissait d’inscrire le nouveau régime dans la tradition révolutionnaire, mais une révolution constitutionnelle, qualifiée depuis de « bourgeoise ». L’action de Mirabeau, noble en rupture de ban, marquait l’entrée de la bourgeoisie dans le gouvernement par un geste anti-absolutiste, mais non antiroyaliste : c’est la monarchie constitutionnelle qui était célébrée. Quant à la journée du 1er prairial, elle marquait la résistance de l’assemblée bourgeoise, fût-elle républicaine, face à toute dérive extrémiste, jacobine et ouvrière. La Terreur était soigneusement gommée du programme planifié par Guizot, et le dernier tableau devait apparaître comme l’aboutissement de cette révolution de liberté et d’ordre.
Le concours de 1830 marquait une première étape vers la création du musée de Versailles. Souhaitant se présenter comme un aboutissement de toutes les tendances politiques, pourvu qu’elles fussent parlementaristes, Louis-Philippe cherchait dès cette époque à s’inscrire dans l’histoire de France, sans renier la Révolution à laquelle, jeune prince libéral, il avait participé en combattant à Jemappes. Mais le programme de 1830 était trop marqué politiquement pour pouvoir réellement aboutir : la réussite du musée de Versailles tient au fait que la Révolution se trouve intégrée, et comme noyée, dans l’histoire de la France.
Claire CONSTANS Catalogue des peintures du musée national du Château de Versailles, tome I, p.244, n° 1365.
Albert-Alfred POMME DE MIRIMONDE Pierre-Maximilien Delafontaine, élève de David, in La Gazette des Beaux-Arts, 1956.
Dominique POULOT« Alexandre Lenoir et le musée des Monuments français » in Pierre NORA (sous la direction de) Les Lieux de mémoire, tome II « La nation »Paris, Gallimard, 1988, rééd. coll.« Quarto », 1997.
Jérémie BENOÎT, « Boissy d'Anglas », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/boissy-anglas
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Les débuts de la Terreur
L’historiographie révolutionnaire, très développée au XIXe siècle bien qu’elle prît souvent la forme des opinions professées par ses…
La première abolition de l'esclavage en 1794
Si les théories humanitaires des philosophes sont largement diffusées, notamment par la Société des Amis des…
10 août 1792 - De la monarchie constitutionnelle à la République
Lors de la réunion des états généraux le 5 mai 1789, Louis XVI dispose encore d’un important capital de confiance et de popularité parmi ses…
L'abolition aux Antilles
A Saint-Domingue l’esclavage est caractérisé par l’arrivée constante de nouveaux esclaves du fait de l’ampleur de la traite. On évalue entre 500…
La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix
Charles X et son impopulaire ministre, le prince de Polignac, remettent en cause les acquis de la Révolution. L’opposition libérale, par le biais…
L’avènement de Louis-Philippe : l’histoire officielle
À l’issue de la révolution de 1830 provoquée par la publication d’ ordonnances iniques (1), Charles X abdique. Le duc d’Orléans accepte la…
La Bastille dans les premiers jours de sa démolition
Ce tableau constitue l’une des premières représentations artistiques des événements de la Révolution française. Le…
Le vin symbole de la Nation
Le 17 juin 1789, le Tiers État se proclame Assemblée nationale. Le 9 juillet, Louis XVI est contraint à la…
L'arrestation du gouverneur de la Bastille, le 14 juillet 1789
A Paris, la nouvelle du renvoi de Necker le 11 juillet 1789 provoque de nombreuses manifestations. Le 14, à la suite du refus du gouverneur des…
Les femmes dans la Révolution
Le 14 juillet 1789, le peuple a pour la première fois agi sur le cours politique de la Révolution, en la sauvant, provisoirement du moins. Mais la…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel