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Le Déjeuner

Le Déjeuner

Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web

Date de création : 1739

H. : 81 cm

L. : 65 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

lien vers l'image

15-527465 / R.F. 926

Le Déjeuner

Date de publication : Avril 2018

Auteur : Stéphane BLOND

Un artiste en vogue

Avec Le Déjeuner, François Boucher produit une œuvre qui s’inscrit dans le registre des scènes de genre, un domaine qu’il pratique brièvement avant d’être surtout reconnu pour la variété de ses scènes pastorales.

Fils d’un maître peintre de l’Académie de Saint-Luc, il débute son apprentissage au sein de l’atelier de François Lemoyne, professeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture. En 1723, il remporte le premier prix de l’Académie, qui lui ouvre les portes de l’École de Rome où il séjourne quatre ans plus tard.

De retour à Paris en 1731, Boucher est agréé à l’Académie, avant d’y être reçu officiellement trois ans plus tard. Dès lors, il reçoit de nombreuses commandes du roi et de courtisans, mais le commanditaire de ce tableau n’est pas connu. Signée en bas à droite (« François Boucher 1739 »), cette toile ne provient pas d’une commande royale, mais elle apparaît dix ans plus tard lors d’une vente de tableaux issus des collections de grands mécènes de l’art : le marquis de Mirabeau, Lempereur, Gersaint, d’Araignon et Delaporte. La scène suggère qu’il pourrait être destiné à l’agrément ou à la décoration d’un hôtel particulier. Aujourd’hui conservé au musée du Louvre, il est décliné dans une version gravée au format réduit réalisée par Bernard-François Lépicié, père du peintre Nicolas-Bernard Michel Lépicié.

Un intérieur bourgeois

L’atmosphère générale de la toile est celle d’un intérieur cossu, rassemblant un cercle familial restreint qui contraste avec les représentations nobiliaires du siècle précédent. Ainsi, selon l’historien Daniel Roche, cette peinture constitue « le manifeste d’un art de vivre bourgeois ». La délicatesse du décor et la présence d’un garçon limonadier qui s’occupe du service confirment la réussite sociale des propriétaires.

Les différents aménagements répondent aux modes artistiques du moment, à commencer par le décor rocaille caractéristique du style Louis XV. La cheminée est surmontée d’un large miroir en arabesque, qui ne renvoie pas le reflet de l’artiste pourtant posté face à lui, afin de renforcer le caractère intimiste de la composition. Les appliques aux volutes en rondeurs et en bronze font écho au galbe des pieds de la console ou au soubassement de l’horloge qui semble indiquer midi passé de quelques minutes. Les boiseries dorées sont rehaussées par d’élégantes tentures, et les personnages sont inondés par le faisceau de lumière. Celui-ci est apporté par la large fenêtre auprès de laquelle ces derniers se serrent, autour d’une table volante facile à déplacer. Des touches d’exotisme, trahissant à nouveau l’esprit du temps, sont apportées par la statue de bouddha, la luxueuse porcelaine et le vase oriental posé sur la console.

Le « nouvel enfant »

La force de l’œuvre tient à ce moment intime qui accède au rang de véritable cérémonie familiale. La toile garde néanmoins une part de mystère quant aux personnages représentés et au breuvage qui réunit la petite communauté. La théière est irrémédiablement relayée au dernier plan, en haut de l’étagère, alors que le récipient utilisé se trouve au centre des lignes directrices de la toile. Café ou chocolat, difficile de le savoir, mais ces boissons incarnent toutes les deux le goût du XVIIIe siècle et le luxe des produits coloniaux. Les deux femmes qui tendent une cuillère vers les enfants laissent plutôt penser à du chocolat.

Il pourrait s’agir de la famille et de l’hôtel particulier de l’artiste. En 1733, Boucher épouse Marie-Jeanne Buzeau, qui serait assise à droite, face à la sœur de l’artiste, dos à la fenêtre. L’attention pour les enfants est manifestée à travers des gestes tendres et affectueux qui font d’eux les grandes vedettes du tableau. La mise en scène ne s’y trompe pas, car le seul personnage qui tourne son regard vers le spectateur est l’enfant assis. Il s’agirait de Juste-Nathan, second enfant du couple, né en 1736. Le serveur et la mère se tournent vers la fillette, Jeanne-Élizabeth, née en 1735, comme pour l’interroger avant de la servir. Celle-ci est munie d’un bourrelet qui protège sa tête des escapades hasardeuses. Elle veille précieusement sur ses deux jouets : un cheval à roulettes et une poupée délicatement vêtue.

Ce tableau préfigure par le pinceau ce que Rousseau théorise par la plume deux décennies plus tard dans l’Émile ou De l’éducation (1762). Cette philosophie de l’éducation postule que le cercle familial est un moule essentiel au développement d’un « nouvel enfant » (Jacques Gélis), dorénavant chéri de ses parents. Ainsi, les divertissements et les jeux participent au programme d’apprentissage de la première enfance, lorsque les enfants sont entièrement confiés aux femmes.

ARIÈS Philippe, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, coll. « Civilisations d’hier et d’aujourd’hui », 1960.

ARIÈS Philippe, DUBY Georges (dir.), Histoire de la vie privée. III : De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 1986.

COURTIN Nicolas, L’art d’habiter à Paris au XVIIe siècle : l’ameublement des hôtels particuliers, Dijon, Éditions Faton, 2011.

JOULIE Françoise, MÉJANÈS Jean-François, François Boucher : hier et aujourd’hui, cat. exp. (Paris, 2003-2004), Paris, Réunion des musées nationaux, 2003.

ROCHE Daniel, Histoire des choses banales : naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècles), Paris, Fayard, 1997.

ROSENBERG Pierre, François Boucher (1703-1770), cat. exp. (New York, 1986 ; Detroit, 1986 ; Paris, 1986-1987), Paris, ministère de la Culture et de la Communication / Réunion des musées nationaux, 1986.

Académie des beaux-arts : Créée en 1816 par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie royale de musique, fondée en 1669, et de l’Académie royale d’architecture, fondée en 1671. Institution qui rassemble les artistes distingués par une assemblée de pairs et travaillant le plus souvent pour la couronne. Elle définit les règles de l’art et du bon goût, forme les artistes, organise des expositions.

Rocaille : Mouvement artistique du XVIIIe siècle qui s’épanouit en France, à partir de la Régence, dans les ornements architecturaux et les arts décoratifs en privilégiant les jeux de courbes. En peinture, les artistes illustrent des sujets légers et séduisants, galants ou exotiques, dans un traitement où l’aspect décoratif voire anecdotique l’emporte.

Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.

Stéphane BLOND, « Le Déjeuner », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/dejeuner

Anonyme (non vérifié)

Je me permets d'ajouter, à l'analyse de ce tableau, qu'il illustre également les liens entre l'Europe (donc la France) et le monde au XVIIIe siècle à travers des objets associés aux produits coloniaux : théière sur une étagère, chocolatière tenue par le serveur, service en porcelaine chinoise dont un sucrier (pour le sucre des Antilles). Cet intérieur et cette famille de la bourgeoisie parisienne traduisent aussi les changements économiques à l'oeuvre dans la mondialisation liée à la traite et à l'esclavage.

lun 09/04/2018 - 19:04 Permalien
Anonyme (non vérifié)

Je pense également que la boisson est bien du chocolat. En effet, les tasses sont hautes et évasées à leur partie supérieure, comme le sont les tasses présentes sur le tableau intitulé ''La famille du Duc de Penthièvre'' ou ''La tasse de chocolat'', de Jean-Baptiste Charpentier le vieux (1768, Château de Versailles).
En agrandissant l'image du tableau de François Boucher, je me suis aperçu que les petites cuillers tenues par les deux femmes sont en vermeil et non pas en argent.
Je prépare actuellement une conférence sur la vie quotidienne des élites sous Louis XV, et je serais ravi d'en discuter avec les personnes qui ont fait des commentaires sur ce site. Vous pouvez m'écrire à mon adresse e-mail: pierrevuilleminlp@gmail.com

mar 15/05/2018 - 08:52 Permalien
Anonyme (non vérifié)

On peut chercher, en vain, la place de l'idéologie dans mon commentaire sur la mondialisation au XVIIIe siècle... Je n'ai aucunement affirmé la question du goût comme moteur de l'économie... Il faudrait relire mes propos polis et nuancés. Puisque nous en sommes aux invitations, je suggère la lecture du petit essai de Christian Grataloup concernant le "petit déjeuner" qui apporte quantité d'informations historiques et anthropologiques sur la trilogie tropicale et coloniale : thé asiatique, café africain et cacao américain, et sa place dans les échanges mondiaux au XVIIIe siècle dont l'Europe est partie prenante.

ven 04/09/2020 - 06:37 Permalien
Anonyme (non vérifié)

J'invite M. Flammant à sortir des conditionnements idéologiques. Ne lui en déplaise "les changements économiques" en France au XVIIIè siècle ne reposent ni sur goût pour les chinoiseries ni sur la production du sucre de canne des Antilles. Et s'il faut le préciser, le commerce à cette époque de quelques pays européens avec la Chine n'a rien de commun avec la "mondialisation" ni l'esclavage. Concernant ce dernier point, il faudrait que M. Flammant s'informe sur la production du sucre de canne, il apprendrait que bien avant le XVIIIè siècle la culture de la canne en Andalousie, à Chypre etc...employait des esclaves souvent ...européens. Un dernier point; le service sur la table n'est pas chinois mais vraisemblablement de la Manufacture de Saint Cloud.
Bien plus que l'expression du développement des échanges commerciaux, ce tableau est effectivement un manifeste du goût français et de l'excellence au XVIIIè siècle des arts décoratifs en France tant recherchés par les amateurs du monde entier.

ven 08/02/2019 - 23:16 Permalien

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