Le Souper à la Maison-d'or
Auteur : COUTURE Thomas
Lieu de conservation : musée national du château de Compiègne (Compiègne)
site web
Date de création : vers 1855
H. : 131 cm
L. : 161 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (domaine de Compiègne) / Daniel Arnaudet
98-017537 / C.53.033
Thomas Couture et la décadence
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Catherine AUTHIER
L’allégorie, une grande tradition picturale
Formé dans l’atelier d’Antoine Gros et de Paul Delaroche, Thomas Couture se révèle rapidement un artiste particulièrement doué dans la grande tradition de la peinture d’histoire. S’il n’obtient après maintes tentatives que le second prix de Rome en 1837, il révèle pleinement son talent en 1847 avec la grandiose composition des Romains de la décadence. Il connut grâce à cette toile un grand succès et accéda à la notoriété. Il ouvre alors son propre atelier où se formeront des artistes français comme étrangers qui comptent parmi les meilleurs de leur génération, comme Pierre Puvis de Chavannes ou Edouard Manet. Entre académisme, romantisme et réalisme, Couture maîtrise parfaitement l’art et la technique du dessin et de la peinture et livre sons avoir faire dans un ouvrage intitulé Méthode et entretiens d’atelier, publié en 1867. C’est dans un restaurant des Grands Boulevards, le centre névralgique de Paris que Thomas Couture situe son tableau daté de 1855, Le Souper à la Maison dorée dans l’une des plus célèbres institutions culinaires du XIXe siècle.
Dénoncer le vice
Thomas Couture met en scène dans sa toile quatre personnages dans une atmosphère de fin du jour dont il émane un parfum d’ivresse et d’orgie. On se situe dans l’un des salons du fameux restaurant La Maison Dorée. Ils sont déguisés en personnage de la Commedia dell’arte, ayant très probablement été auparavant danser au bal de l’Opéra, une soirée pendant la période du Carnaval où le déguisement autorisait toutes les audaces.
Dans ce salon feutré avec lambris, chandelles et miroirs, on remarque dans une composition pyramidale un Arlequin vautré entre le fauteuil et la table, un ami et élève de Thomas Couture, l’artiste Anselm Fenerbach assis par terre en habits rouges et le peintre lui-même, déguisé en Pierrot irradiant de lumière, perché en hauteur, comme un juge constatant d’un air désolé ce spectacle accablant. Enfin, la femme en cheveux allongée par terre, dont les jambes s’entrecroisent trivialement avec celles de Fenerbach serait la célèbre courtisane Alice Ozy, l’une des plus glorieuses cocottes du Second Empire, née en réalité Julie-Justine Pilloy et muse des peintres Théodore Chassériau et Gustave Doré. Dans cette atmosphère de lendemain de fête où vacille la flamme des bougies, on peut apercevoir les bouteilles vides sur la table, une coupe et une orange à demi épluchée par terre, l’ensemble suggérant une nuit de luxure.
La maison d’Or qu’on appelait également la Maison Dorée, du nom de ses balcons à ferronnerie d’or, était située en face du Café Anglais. Il s’agissait d’établissements incontournables de la vie nocturne parisienne. Situés près de la Bourse, appréciés du tout-Paris, des hommes d’affaires, des banquiers, des journalistes et des auteurs. Ce restaurant était le point de chute de tous les fêtards de l’époque. On pouvait y croiser entre autres le duc de Gramont-Caderousse ou Khalil Bey, ce diplomate turc qui commanda à Courbet le célèbre tableau L’Origine du monde. On s’y rendait le plus souvent pour diner ou pour souper après la soirée au spectacle, ce qui amenait les noceurs à une heure très avancée dans la nuit.
Les restaurants-lupanars
A la Maison Dorée comme au Café Anglais, on pouvait s’amuser dans de grandes salles extrêmement vivantes ou se retrouver dans de petites pièces intimes, ce qui rendait ces lieux particulièrement attractifs. Toutefois, ces restaurants avaient surtout pour particularité d’être agrémentés de petits cabinets particuliers, propices aux rencontres galantes, aux rendez-vous furtifs, à l’abri des regards indiscrets. Les courtisanes et autres prostituées de haute volée étaient des piliers de ces restaurants-lupanars qui offraient ostensiblement la possibilité de partager des amours clandestines.
Thomas Couture en artiste cultivé, pétri de références visuelles utilise les ressources de la peinture académique et le registre allégorique pour exprimer son sentiment et son amertume sur la société dans laquelle il vit. Tout comme Les Romains de la décadence dénonçait le déclin et la corruption du régime de la Monarchie de Juillet, cette œuvre stigmatise les courtisanes, incarnations suprêmes de la fête impériale et le climat de débauche emblématiques d’après lui du régime du Second Empire. Hanté par le thème de la décadence, Couture, Jacobin et Républicain critiquera pendant toute sa carrière les mœurs de son temps, comme le montre l’une de ses œuvres datant de 1873, Le Char de la courtisane, où l’on peut voir cette fois une jeune femme aux seins nus fouettant un attelage composé de quatre hommes d’âge et de costume divers, « une garce » attachée à sa voiture, à son luxe et à ses amants de toute sorte, d’après les commentaires de l’artiste lui-même.
BAKKER Nienke, PLUDERMACHER Isolde, ROBERT Marie, THOMSON Richard, Splendeurs et misères : images de la prostitution (1850-1910), cat. exp. (Paris, 2015-2016 ; Amsterdam, 2016), Paris, Flammarion / musée d’Orsay, 2015.
BRIAIS Bernard, Grandes courtisanes du Second Empire, Paris, Tallandier, 1981.
LA BIGNE Yolaine de, avec la coll. de LA BIGNE Bertrand de, Valtesse de La Bigne ou le Pouvoir de la volupté, Paris, Perrin, 1999.
Catherine AUTHIER, « Thomas Couture et la décadence », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/thomas-couture-decadence
Lien à été copié
Découvrez nos études
Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire
Sous le Second Empire, la presse illustrée connaît un essor considérable, notamment les journaux satiriques où…
La courtisane, un monstre ?
Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle…
La Belle Otero, emblème de la Belle Époque
La fièvre de l’exotisme parcourt l’Europe pendant tout le XIXe siècle, influençant la…
Rolla ou Le suicide pour une courtisane
En 1878, le peintre Henri Gervex ancien médailliste du Salon, voit son œuvre Rolla brutalement retirée de l’exposition par l’…
Splendeurs et misères d’une courtisane : Émilienne d’Alençon
Contrairement aux hétaïres grecques, les courtisanes de la Belle Époque n’ont pas besoin d’…
La traite des planches ou La prostitution au spectacle
Le dessin de Degas comme la photographie de la vedette Polaire attestent l’engouement…
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Après le régime si décrié du Second Empire (« la fête impériale »), la IIIe République a commencé par un retour…
Les marchandes d’amour du Palais-Royal
Au XVIIIe siècle les gravures mettant en scène les costumes, les chapeaux et bijoux fleurissent…
Liane de Pougy et le charme de l’ambiguïté à la Belle Époque
Depuis le Second Empire, le portrait photographique connaît un véritable essor,…
Thomas Couture et la décadence
Formé dans l’atelier d’Antoine Gros et de Paul Delaroche, Thomas Couture se révèle rapidement un…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel