Concours Internationaux d'escrime
Maître d’armes
À qui le tour
Concours Internationaux d'escrime
Auteur : PAL
Lieu de conservation : France, Nice, musée national du Sport
site web
Date de création : 1900
Date représentée : 1900
H. : 159,3 cm
L. : 113,5 cm
Concours organisé dans le cadre de l'Exposition Universelle de Paris 1900.
Imprimeur : Chardin
Domaine : Affiches
© Musée National du Sport
69.12.3
Droit au cœur : de quelques représentations d’escrimeuses
Date de publication : Juin 2024
Auteur : Lena SCHILLINGER
Le cœur du sujet
En 1894, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, se tient le Congrès international pour le rétablissement des Jeux olympiques au cours duquel est votée à l’unanimité la « restitution d'une idée vieille de 2000 ans ». La première Olympiade de l’ère moderne s’ouvre en 1896 à Athènes. Quatre ans plus tard sont organisés à Paris les Concours internationaux d’exercices physiques et de sports dans le cadre de l’Exposition universelle de 1900. S’ils ne portent pas le nom de Jeux olympiques dans les documents de l’époque, ils sont reconnus comme « équivalent de la deuxième olympiade ». Ces Jeux voient les premières participations féminines, dans des disciplines essentiellement bourgeoises ou aristocratiques.
Nulle femme cependant aux côtés du Cubain Ramón Fonst, de l’Italien Antonio Conte ou des Français Emile Coste, Lucien Mérignac, Albert Ayat ou Georges de La Falaise, tous champions olympiques d’escrime en 1900.
C’est pourtant une escrimeuse qui figure sur l’affiche annonçant les Concours internationaux d'escrime crée par Jean de Paléologue (1855-1942), plus connu sous le diminutif de Pal. Cette affiche sera a posteriori présentée comme le visuel emblématique, sinon officiel, de cette Olympiade. Pal, peintre, affichiste et illustrateur d’origine roumaine, est l’un des suiveurs de Jules Chéret, « roi de l’affiche en couleurs » ; néanmoins, les critiques contemporains, comme Octave Uzanne ou Ernest Maindron, ne le lui reconnaissent pas le même talent qu’à son illustre prédécesseur. L’œuvre garde cependant la trace matérielle de l’affichomanie (le néologisme est forgé par Uzanne), cet engouement collectionniste pour l’art de l’affiche qui coïncide directement avec l’apparition de la réclame chromolithographiée sur les murs des villes. Elle porte en effet un cachet, apposé à partir de 1896 sur les affiches pour décourager la convoitise des collectionneurs ; celui-ci clame : « cette affiche ne pouvant être ni vendue, ni donnée, tout possesseur sera poursuivi comme receleur ». Un autre support imagé entre quant à lui dans son âge d’or au tournant du siècle.
Il s’agit de la carte postale, dont cent millions d’exemplaires s’échangent en 1900. Albert Bergeret (1859-1932), photographe, imprimeur et éditeur de cartes postales à Nancy, est l’introducteur en France de la carte postale illustrée et connaît un succès fulgurant dans ce marché en plein essor. Il est notamment au début du siècle l’éditeur de cartes postales dites "fantaisies" le plus prolifique. Ces cartes, qui s’opposent aux vues plus classiques de paysages ou de sites touristiques, utilisent avec inventivité toutes les possibilités du médium photographique, dont elles constituent le premier moyen de diffusion massive. Procédant souvent par décalage ou détournement, fréquemment grivoises, elles abordent les thématiques les plus variées, jusqu’aux plus contemporaines. Il en va ainsi de cette carte représentant une femme maître d’armes, issue d’une série éditée vers 1900-1902, intitulée Les Femmes de l’Avenir et consacrée à la féminisation de métiers traditionnellement exercés par les hommes.
Les cartes postales fantaisies ou illustrées contribuent dans les premières décennies du XXe siècle à propager une imagerie féminine stéréotypée aux côtés de petites revues illustrées comme La Vie Parisienne (1863-1970), Le Sourire (1899-1940) ou Fantasio (1906-1937). Ces prototypes de magazine masculin consacrent une large place aux femmes dénudées qui préfigurent les pin-ups à venir. Georges Léonnec (1881-1940) est l’un des illustrateurs qui signent couverture ou pleine page pour ces revues ; on lui doit cette escrimeuse peu couverte qui menace et invite tout à la fois le lecteur du n° 575 du journal Le Sourire, en mai 1928.
Quelque chose sur le cœur
Ernest Maindron, historien de l’affiche, juge en 1896 dans Les Affiches illustrées : « peut-être y a-t-il trop de choses dans [les affiches de Pal], elles gagneraient, je crois, à être d’une exécution moins poussée ». Peut-être l’artiste a-t-il suivi le conseil du théoricien, car la composition qu’il donne pour les Concours internationaux d’escrime de 1900 est particulièrement simple ; divisée verticalement entre les informations relatives aux épreuves d’une part, et la figure de l’escrimeuse à valeur de faire-valoir d’autre part. Elle est surmontée de l’ensemble des mentions exigées par le Service des Sports pour tout imprimé, affiche ou programme émanant des comités d’organisations des concours. Cet en-tête atteste du caractère officiel de l’affiche ; l’absence du terme « Jeux olympiques » ainsi que la référence aux prix en espèces susceptibles d’être remportés par les vainqueurs témoignent quant à eux de la confusion qui a présidé à l’organisation de ces Jeux et des divergences de vues entre le commissaire général de l'Exposition universelle de 1900, Alfred Picard (1844-1913) et le président du Comité international olympique Pierre de Coubertin (1863-1937), car le refus des prix en espèces est au cœur de la définition de l’amateurisme, valeur cardinale de l’olympisme. Les femmes n’étant pas autorisées à participer aux épreuves d’escrime en 1900, le choix d’une figure féminine pour assurer la promotion de l’évènement constitue une pure stratégie publicitaire, suivant la recette séduisante initiée par Jules Chéret et ses chérettes, égéries légères et rieuses de produits divers et variés. L’escrimeuse de Pal est plus statique qu’une chérette : sa silhouette noire - la tenue blanche s’imposera peu à peu jusqu’à devenir réglementaire -, hiératique, se détache sur l’éclatant fond jaune. Panoplie des trois armes croisées pour emblème ou étendard, corps bien campé, masque au creux du bras gauche : la pose est celle d’un portrait de maître d’armes. Les cheveux roux coupés courts pourraient également évoquer Sarah Bernhardt (1844-19273) travestie pour L’Aiglon, dont le succès est contemporain de l’Exposition. La représentation n’est pourtant pas dénuée d’érotisme, car la taille étranglée par le corset - peu propice aux exercices physiques - fait saillir le buste, rehaussé d’un cœur rouge. Le détail n’est pas une coquetterie d’artiste ; les maîtres d’armes portaient en effet un cœur de cuir rouge cousu sur leur plastron pour orienter la précision des coups de leurs élèves. Mais la cible désigne ici la poitrine comme point de mire du regard.
C’est encore le cœur qui attire l’œil sur la carte postale éditée en 1902 par Alfred Bergeret, qui appartient à une série où l’on retrouve, outre la maîtresse d’armes, la femme-médecin, député, cocher ou pompier, mises en scène à grand renfort d’accessoires à forte valeur signifiante (verre de vin, couvre-chefs, monocle ou encore montre à gousset). Le décorum masculin ne sert qu’à mieux exacerber les attributs féminins des modèles. Ici, la pose de profil emprunte aux codes du portrait militaire ou sportif tout en prestance, mais permet surtout de mettre en valeur la silhouette en S typique de l’époque, poitrine offerte et croupe saillante. L’absence de veste démontre que le gant n’assure pas ici une fonction de protection mais bien de fétichisation, où la main couverte met en lumière la nudité du bras.
Sur la Une de 1928 du Sourire, Georges Léonnec, spécialiste de l’illustration légère, joue d’un érotisme aussi frontal que la pose de son escrimeuse devenue femme fatale. Si le cœur déployait dans les deux premières illustrations un horizon de référence fantasmatique de manière indicielle, il est ici au centre du dispositif visuel qui surenchérit sur les effets de point de mire. As de la lame et As de cœur, la fleurettiste, dont le maillot collant souligne plus qu’il ne masque la sensualité, embroche les cœurs de ses conquêtes. En position de garde, elle est prête pour le prochain assaut, qu’il soit armé ou amoureux, ainsi que l’indique sans équivoque la provocation en légende.
Hauts les cœurs !
L’escrime, par sa nature aristocratique conforme aux conventions mondaines, est une activité physique qui se féminise dans les milieux privilégiés dès la fin du XIXe siècle. Elle est la cinquième discipline à s’ouvrir aux sportives dans le cadre des Jeux olympiques, dès 1924 à Paris (après la voile, le tennis et le golf en 1900 et le tir à l’arc en 1904).
Le corpus iconographique réuni ici reflète néanmoins la difficile acceptation sociale de la pratique de l’escrime par les femmes. En 1885, le Baron de Vaux célèbre dans Les Femmes de sport des sportswomen de la haute société, modernes mais toujours charmantes chevalières d’Éon. Il faut attendre 1894 pour qu’un « Cercle d’escrime des Dames » soit créé, les leçons étant assurées par Madame Gabriel, fille et épouse de maître d’armes, elle-même maîtresse d’armes. Les Heures Libres, revue d’art et de littérature de revue d’art et de littérature, annonce en ces termes l’événement dans son numéro de janvier 1894 : « Les dames ne se refusent rien…Les hommes cruels leur refusant le droit de manier le bulletin de vote, elles vont se mettre à manier l’épée. »
Le parallèle est clair : tout accès à un domaine auparavant réservé aux hommes, ne serait-ce qu’une pratique de loisir, transgresse les normes sociales et menace un certain ordre établi. De cette hostilité découlent les récupérations mercantiles, caricaturales et sexualisées qu’illustrent bien les trois exemples retenus ici. L’attention portée à la tenue et à son potentiel érotique est symptomatique du phénomène de sexualisation des athlètes féminines qui perdure, voire empire, malgré l’évolution graduelle des mœurs et des pratiques. Ainsi, c’est sous le titre « L’Escrime en dentelles » que le journal Le Gaulois annonce, à grand renforts d’allusions salaces, l’ouverture des compétitions de fleuret aux femmes pour l’Olympiade de 1924.
Philippe BOUSQUET, série de billets consacrée au type de l'Escrimeuse.
Clément CHEROUX, Ute ESKILDSEN, La photographie timbrée : L'inventivité visuelle de la carte postale photographique, Steidl, Göttingen, 2008.
André DREVON, Les Jeux olympiques oubliés : Paris 1900, CNRS éditions, Paris, 2000.
Marie GRASSE (dir), Jérôme BUREAU, Benoît HEIMERMANN, Marion PHILIPPE (comm.) Les Elles des Jeux, exposition organisée au Musée national du Sport, Nice, novembre 2023 à novembre 2024.
Juliette RENNES, "Femmes en métiers d’hommes. Récits de la modernité et usages marchands du féminisme dans le Paris de 1900", Revue d’histoire moderne & contemporaine n° 66-2, Belin, Paris, 2019.
Gérard SIX, L'Invention de l'escrime, Musée national du Sport – Quatre chemins éditions, Paris, 2007.
Collectif : Olympisme. Une histoire du monde, des premiers Jeux olympiques d'Athènes 1896 aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, catalogue de l'exposition au Palais de la Porte Dorée, Editions de La Martinière, Paris, 2024.
Lena SCHILLINGER, « Droit au cœur : de quelques représentations d’escrimeuses », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/droit-coeur-quelques-representations-escrimeuses
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