Portrait en pied du chevalier d'Éon
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1771
Aquatinte
Domaine : Estampes-Gravures
© BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF
N-2 EON (CHEVALIER D') - 12-598582
Le Chevalier d'Éon
Date de publication : Mars 2023
Auteur : Lucie NICCOLI
Le chevalier – ou la chevalière – d’Éon, agent secret à Londres
Né en 1728, Charles d’Éon de Beaumont est resté célèbre en France et en Angleterre pour sa vie rocambolesque et ses multiples talents : ambassadeur et agent secret au service de Louis XV, capitaine des dragons pendant la guerre de Sept ans puis bretteur émérite, franc-maçon, homme de lettres… Mais c’est sa pratique du travestissement et le mystère de son sexe qui fascinèrent le plus. Après plusieurs missions en Russie accomplies en ayant parfois recours à des déguisements féminins, il est envoyé en 1762 à Londres pour seconder l’ambassadeur dans les négociations de paix avec l’Angleterre. Pour sa contribution au traité de Paris, signé l’année suivante, il est fait chevalier de l’ordre de Saint-Louis. De retour en Angleterre pour espionner les côtes anglaises, il se brouille avec le nouvel ambassadeur, et, menacé d’extradition, se déguise à nouveau en femme. À partir de 1771, pamphlets et gravures répandent alors la rumeur selon laquelle le chevalier d'Éon serait en fait une femme. Les paris sur son véritable sexe se multiplient. Comble du scandale, il a été reçu franc-maçon trois ans plus tôt dans la « Loge de l’Immortalité », cette loge – association locale de francs-maçons – dépendant d’une structure supérieure, la « Grande Loge des modernes ». Publiée le 25 juin 1771 par l’éditeur londonien Samuel Hooper, cette estampe satirique intitulée « La découverte ou la femme franc-maçon » prétend démasquer la femme qui aurait été initiée illégalement au rite maçonnique.
L’ambiguïté scandaleuse d’une femme franc-maçon
Dans une pièce imaginaire, le chevalier, vêtu, coiffé et maquillé comme une femme, adopte une posture masculine, une main sur la hanche tenant un fleuret, l’autre, une canne et désignant un frac rouge ou peut-être un habit d’uniforme de dragons. Au-dessus de sa tête, un tricorne, le fourreau d’un sabre et un ruban rouge sont accrochés au mur, sans doute un rappel de sa carrière militaire. Il porte une robe à l’anglaise, composée d’un manteau et d’un jupon, mais avec les plis plats dans le dos caractéristiques de la robe à la française, et, par-dessus, un tablier de franc-maçon blanc bordé de bleu, avec les symboles du compas et de l’équerre entrecroisés. Sur sa poitrine est épinglée la croix de Saint-Louis, décoration réservée aux hommes, qu’il reçut en 1763 pour services rendus à la France. Ses cheveux, remontés au-dessus de la tête et couverts de rubans blancs et bleus assortis au tablier, forment un édifice extravagant. La silhouette est androgyne, associant finesse du torse et des bras et discrétion de la poitrine, tandis que le visage imberbe, au nez fort et à la petite bouche charnue, pourrait être celui d’une femme comme d’un homme. A sa droite, sur une table, sont posés deux livres dont les tranches indiquent « Lettres Du Chr D’Éon » et « L’hist. Du Chr D’Éon », allusion à la publication, en 1764, de ses lettres et mémoires. Un papier sur lequel est écrit « A Policy 25 P Ct On the Chr D’Éon Man or Woman » fait allusion aux paris lancés à Londres sur la nature de son sexe. Contre le mur, derrière lui, deux bustes sur des corniches représentent des hommes politiques londoniens : le radical et défenseur de la liberté de la presse John Wilkes à droite, et sans doute son ami Humphrey Cotes, à gauche. Au-dessus des bustes, comme s’ils parrainaient la supposée supercherie du chevalier, deux tableaux évoquent des escrocs célèbres au XVIIIe siècle : le « Bottle conjuror », un acrobate qui prétendait pouvoir entrer dans une bouteille, et Mary Toft, une paysanne qui parvint à faire croire qu’elle avait donné naissance à des lapins.
Le travestissement au XVIIIe siècle
Le scandale était en effet de taille, puisque la franc-maçonnerie était alors interdite aux femmes : maintenues sous l’autorité juridique de leur père ou de leur mari, elles ne pouvaient répondre à l’exigence formulée dans les constitutions d’Anderson (1723) selon laquelle les membres d’une loge devaient être des « hommes nés libres ». Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la franc-maçonnerie internationale s’ouvrira réellement à la mixité, avec la fondation de l’ordre maçonnique « Le Droit humain ». La pratique du travestissement était par ailleurs condamnée comme une transgression de l’ordre à la fois social et divin, car elle revenait à refuser le genre et le rôle social assignés par le Créateur. Tolérée pour les femmes qui en usaient pour se protéger en voyage ou défendre leur patrie par les armes, pourvu qu’elle ne soit pas prétexte à la débauche, elle est vivement blâmée quand il s’agit d’hommes : en vertu de la théorie héritée de Galien selon laquelle le corps féminin, version inversée du corps masculin, demeure imparfait, il est incompréhensible de renoncer à la perfection masculine. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le chevalier a préféré laisser croire qu’il était une femme travestie en homme plutôt que l’inverse. Rentré en France en 1777, il se présente en uniforme de dragon devant Louis XVI qui lui ordonne de se vêtir en femme pour le restant de ses jours. Après sa mort, en 1810, le chirurgien chargé de son autopsie établit de manière formelle qu’il était bien de sexe masculin.
Charles d’ÉON de BEAUMONT, Pièces relatives aux lettres, mémoires et négociations particulières du chevalier d’Éon, Londres, Jacques Dixwell, 1764.
Frédéric GAILLARDET, Mémoires du chevalier d’Éon, publiés pour la première fois sur les papiers fournis par sa famille et d’après les matériaux authentiques déposés aux archives des affaires étrangères et aux archives de Tonnerre, Paris, Ladvocat, 1836.
Michel de DECKER, Madame le chevalier d’Éon, Paris, Perrin, 1987.
Sylvie STEINBERG, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001.
Evelyne et Maurice LEVER, Le Chevalier d’Éon. Une vie sans queue ni tête, Paris, Hachette Pluriel, 2011.
Lucie NICCOLI, « Le Chevalier d'Éon », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/chevalier-eon
Lien à été copié
Découvrez nos études
L’ouvrière au début du XXe siècle
En 1905, la population ouvrière est estimée à plus de…
Einstein. Photo-génie
Le prix Nobel de physique 1921, Albert Einstein (1879-1955) a été l’un des savants les plus photographiés de la première partie du XXe…
Gaby Deslys, du music-hall au cinéma
L'essor de la photographie accompagne au XIXe siècle le succès de nouvelles…
Paul Déroulède prononce un discours à Bougival. Janvier 1913
Fondateur de la Ligue des patriotes en 1882, partisan du général Boulanger, Déroulède, qui avait combattu en 1870 et avait participé à la…
Jacques Necker
Necker, banquier genevois établi à Paris, avait exercé les fonctions de directeur du Trésor puis de directeur général des finances de 1777 à 1781…
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Fragmentés en groupes concurrents, les parlementaires n’en constituaient pas moins une entité d’une exceptionnelle…
Le catholicisme libéral de Lamennais
Félicité Robert de La Mennais fut une des personnalités intellectuelles les plus marquantes de la Restauration et de la…
La Serre politique et parlementaire
1912 : Armand Fallières est président de la République depuis six ans. A la tête du gouvernement depuis le début de l’année, Raymond Poincaré…
Une grande actrice sous le Second Empire
Resté dans la mémoire collective comme une époque de plaisirs (la « fête impériale »), le Second Empire est en…
Le Fauvisme, un phénomène européen ?
Si les années 1900 sont, a posteriori, qualifiées de « Belle époque » en France, il n’en est pas de même dans le…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel