Aller au contenu principal
Buste du duc Jean-Albert de Mecklembourg dans la galerie coloniale.

Buste du duc Jean-Albert de Mecklembourg dans la galerie coloniale.

Date de création : 1896

Date représentée : 1896

Domaine : Photographies

© BPK, Berlin, Dist RMN - Grand Palais - Gisela Oestreich

http://www.photo.rmn.fr

06-513933

Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle

Date de publication : Février 2009

Auteur : Claire LE THOMAS

Le discours muséographique colonial

Avec l’exploration et la colonisation des pays non occidentaux se développent les expositions d’objets exotiques collectés par les voyageurs, les missionnaires, les scientifiques ou les militaires qui sillonnent le globe. La présentation de ces artefacts est alors l’occasion de produire un discours sur l’altérité, qui révèle la manière dont les Occidentaux considéraient les peuples étrangers. Outre les musées d’ethnographie, créés au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les expositions universelles et coloniales sont les lieux privilégiés pour montrer les productions non occidentales. Empreintes d’évolutionnisme, ces muséographies témoignent des préjugés avec lesquels les Européens ont appréhendé ces artefacts.

Vingt-cinq ans après la proclamation de l’Empire allemand, l’Exposition industrielle de Berlin de 1896 a pour dessein de montrer la richesse du pays et ses progrès industriels et économiques de manière à renforcer l’unification de l’Allemagne et la place politique de Berlin. L’existence d’une galerie coloniale au sein de cette exposition dévoile alors la nouvelle place que l’Empire allemand, resté jusqu’alors en marge de la colonisation, fixe à l’expansion coloniale, tant pour servir son entreprise de développement que pour affirmer et consolider son statut à l’étranger ; le duc Jean-Albert de Mecklembourg est l’une des personnalités qui s’emploient à soutenir cette nouvelle politique étrangère.

Une mise en scène d’objet


Cette photographie montre une partie de la galerie coloniale de l’Exposition industrielle de Berlin en 1896. Dans un renfoncement délimité par des drapés sont exposés de nombreux objets provenant de pays non occidentaux. Des armes, des boucliers, des instruments de musique et des trophées de chasse (cornes et têtes d’animaux) sont accrochés aux murs ou déposés au sol selon un agencement recherché : les objets sont disposés symétriquement ; les fusils placés en faisceau composent de petites pyramides ; les armes indigènes sont rassemblées de manière à reproduire l’aspect des trophées militaires – ces motifs décoratifs formés d’armes, de drapeaux et autres objets liés à la guerre groupés autour d’une armure, d’un casque ou encore d’un blason. Au centre se trouve un buste de facture classique de Jean-Albert de Mecklembourg tout aussi savamment présenté : disposé sur un piédestal sous l’arche que forment deux défenses d’éléphant et entouré de plantes et de roches, il est mis en valeur telle une figure tutélaire des objets placés derrière lui. Le décor tout entier est d’ailleurs symétriquement organisé en fonction de ce buste, et les artefacts semblent mis en scène (comme le rappellent les tentures agencées tels des rideaux de théâtre) pour lui constituer un arrière-plan. À travers cette muséographie, il s’agit donc de glorifier le duc, qui usait de son influence et s’engageait activement pour promouvoir l’idée coloniale en Allemagne et pour agrandir et conforter l’Empire allemand à l’étranger. Les objets sont disposés de façon à exprimer la reconnaissance que les colonies allemandes lui doivent. Toutefois, cette disposition muséale dévoile également d’autres aspects de l’idéologie colonialiste : le sentiment de suprématie qui animait les Occidentaux et la pensée évolutionniste qui les dirigeait dans la conquête et l’annexion des pays non occidentaux.

La domination occidentale


La présentation, en faisant ostensiblement référence à l’iconographie des trophées, tant dans l’organisation des armes que dans l’accrochage de dépouilles animales, fait tout d’abord montre de la puissance militaire des Occidentaux : les objets sont exposés tel un butin commémorant une victoire. Ils témoignent ainsi implicitement de l’infériorité des pays conquis. La manière même dont les objets sont disposés symétriquement pour former des motifs décoratifs est également une affirmation symbolique de domination. Les objets sont soumis à un ordre occidental, leur placement obéit aux canons esthétiques européens. Enfin, le mélange d’artefacts fabriqués par les indigènes, de plantes et de restes d’animaux associe les peuples non occidentaux à la nature, c’est-à-dire à un état primitif d’existence, dont témoigne d’ailleurs le caractère « rudimentaire » de leurs armes comparées aux fusils présentés dans le même espace.

De la sorte, si les objets ne sont pas classés par type et agencés hiérarchiquement selon leur degré de complexité technique, comme cela était le cas dans la plupart des musées ethnographiques, cette partie de la galerie coloniale manifeste clairement les conceptions évolutionnistes qui prédominaient à l’époque. Les expositions universelles et coloniales servaient en effet à justifier l’entreprise de domination occidentale en montrant non seulement les richesses accumulées grâce à l’exploitation des colonies, mais également l’infériorité et la sauvagerie supposées de ces populations. Les Occidentaux s’investissaient ainsi d’une mission civilisatrice : il s’agissait d’apporter la civilisation aux « sauvages ». Le Pitt Rivers Museum d’Oxford est aujourd’hui l’un des seuls musées à avoir conservé intact ce genre de muséographie pour rendre compte d’un type de mise en exposition des objets non occidentaux.

Marianne DEGLI, Marie MAUZE, Arts Premiers : le temps de la reconnaissance, Paris, Gallimard, Réunion des musées nationaux, 2000.Sally PRICE, Arts primitifs, regards civilisés, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 1998.« Les musées d’ici et d’ailleurs », Gradhiva, n° 24, 1998.

Claire LE THOMAS, « Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/exposer-autre-museographie-objets-non-occidentaux-tournant-xxe-siecle

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Le Faux Hitler

Le Faux Hitler

La chute du IIIe Reich en images

La progression des forces Alliées contre les nazis a donné lieu à la production et à la diffusion de…

Tentatives d’assassinat contre Hitler

Tentatives d’assassinat contre Hitler

Attentats et propagande

Si plusieurs attentats ont été organisés contre Hitler de 1938 à 1945, les deux plus marquants sont incontestablement…

Tentatives d’assassinat contre Hitler
Tentatives d’assassinat contre Hitler
Duel architectural à l’Exposition universelle de Paris de 1937

Duel architectural à l’Exposition universelle de Paris de 1937

Guerre ou paix ?

Le photographe Fernand Baldet (1885-1964) a réalisé au moins 41 prises lors de ses quatre visites (du 19 septembre au 31 octobre…

L'entrée de Napoléon à Berlin

L'entrée de Napoléon à Berlin

La campagne de Prusse - 1806

Alors que la quatrième coalition, rassemblant l’Angleterre, la Russie et la Prusse, s’est organisée durant l’année…

L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine

L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine

Le traité de Francfort (10 mai 1871) entérine l’annexion de fait de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine comprenant la ville de Metz. En 1872,…

Anton von Werner entre objectivité et patriotisme

Anton von Werner entre objectivité et patriotisme

Le témoignage d’un peintre allemand sur la France pendant la guerre de 1870

La guerre franco-prussienne de 1870-1871 a donné lieu à de très…

L’"Ange soldat" de Paul Klee

L’"Ange soldat" de Paul Klee

En exil sur sa terre natale

En 1940, Paul Klee est un artiste exilé dans le pays qui l’a vu naître soixante et un ans plus tôt. Né Allemand en…

Wernher von Braun et la conquête spatiale

Wernher von Braun et la conquête spatiale

Dr Space

Lorsque le photographe officiel l’immortalise dans son bureau du centre de vol spatial Marshall de la NASA (National…

Une représentation de Louis XIV

Une représentation de Louis XIV

Décidé peu après la paix de Nimègue (10 août 1678), le programme iconographique du plafond de la galerie des Glaces à Versailles constitue une…

Une représentation de Louis XIV
Une représentation de Louis XIV
Retour à la nature

Retour à la nature

« Celui qui créa terre et ciel est tout autour de moi » (Friedrich)

Le rêve d’un « retour à la nature », présent dès le XVIIIe siècle…

Retour à la nature
Retour à la nature
Retour à la nature
Retour à la nature