Monument consacré à la postérité en mémoire de la folie incroyable de la 20e année du XVIIIe siècle
Lieu de conservation : Musée franco-américain (Blérancourt)
site web
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN-Grand Palais (Château de Blérancourt) / Gérard Blot
CFAb 152 - 05-518583
La Faillite du système Law
Date de publication : Septembre 2013
Auteur : Pierre-Yves BEAUREPAIRE
Bulle spéculative, crise financière et panique boursière
Alors qu’au lendemain de la mort de Louis XIV la banqueroute menace, le régent Philippe d’Orléans suit les idées de l’Écossais John Law (1672-1729), pour qui les échanges et la confiance sont le nœud de la crise financière, non la dette en elle-même. Créée par Law le 2 mai 1716, la Banque générale devient une banque royale par la déclaration du 4 décembre 1718. Seul l’État en détient les actions. La Compagnie d’Occident, ou Compagnie du Mississippi, que fonde Law est le deuxième pilier de son « système ». Son objectif est la colonisation de la Louisiane avec monopole. La spéculation aidant, ses actions s’arrachent. Après avoir absorbé toutes ses concurrentes, la Compagnie d’Occident devient celle des Indes. L’euphorie est telle que Law peut lancer un emprunt, multiplier les émissions de papier-monnaie tout en baissant les taux d’intérêt servis. Les preneurs se bousculent malgré tout. On est en pleine bulle spéculative.
Comme on le voit sur cette gravure, la foule des spéculateurs et des curieux se presse rue Vivienne et rue Quincampoix, ruelles où se négocient les actions au porteur et où, dans une cohue indescriptible, l’on rencontre aussi bien les aristocrates les plus distingués que des personnes plus modestes qui ont placé leurs économies ou emprunté pour investir. Des fortunes aussi colossales que fragiles se bâtissent en quelques heures. En bas à droite, trois personnages sont penchés sur une pièce de bois qui porte la mention « Procuration pour HOORN ». L’affaire criminelle Horn est une manifestation de cette folie financière qui transforme l’héritier d’une grande famille aristocratique européenne en meurtrier. On peut tuer pour s’emparer d’un paquet d’actions. Horn sera finalement condamné au supplice infamant de la roue.
En 1720, la réalité finit par rattraper la spéculation effrénée : l’annonce de dividendes très réduits refroidit rapidement les investisseurs. Certains vendent leur papier-monnaie à temps et touchent de véritables fortunes. Pour endiguer l’hémorragie, Law ferme la rue Quincampoix et tente de freiner l’effondrement des cours en rachetant ses propres actions. Mais rien n’y fait, la panique succède à l’euphorie collective. La foule qui se presse s’affole, des agioteurs meurent écrasés car chacun se rue sur les bureaux de la compagnie pour vendre à tout prix. Menacé, Law se cache, puis obtient d’émigrer à Bruxelles. Libellistes, diaristes, graveurs et chansonniers se déchaînent contre lui. En résulte un vaste corpus de gravures à charge d’où émerge ce Monument consacré à la postérité en mémoire de la folie incroyable de la XXe année du XVIIIe siècle qui connaîtra une large diffusion grâce à des tirages élevés. Les amateurs collectionnent gravures et pamphlets politiques comme autant de témoignages sur leur temps. On retrouve le même phénomène avec la crise politico-religieuse janséniste.
La folle course du char de la spéculation
Cette gravure bénéficie d’une longue légende qui permet au lecteur d’identifier des acteurs et des épisodes du système Law et des tragédies individuelles. Alors que Law n’est pas mentionné dans le titre, le lecteur de l’époque n’avait aucun doute quant à l’identification de la scène.
La rue Quincampoix où se trouvaient les bureaux de la Compagnie du Mississippi et où s’attroupaient les spéculateurs est clairement indiquée. La roue de la Fortune écrase sur son passage le vrai commerce et conduit ceux qui se sont laissé abuser par l’ivresse du profit financier tout droit vers la maison des malades, la maison des gueux et l’hôpital des gueux. Dans le ciel, la trompette de la Renommée a fort à faire avec les bulles de savon – symbole de la bulle spéculative, à la fois volatile et vaine – qu’un diable mystificateur souffle en direction des adeptes du système. Des représentants de chacune des grandes compagnies par actions tirent le char, tandis que les spéculateurs en viennent aux mains pour s’arracher les bons aux porteurs.
Hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions participent à cette folie génératrice des sentiments les plus contradictoires – la joie immodérée voisine avec le regret, le désespoir, la tristesse –, d’insomnie et de maladie… L’hybris – la démesure des Anciens – qui rend fou se saisit ici des hommes et broie tout sur son passage.
La condamnation morale d’une maladie et de son vecteur
Le système Law est à l’origine d’une intense production de gravures mais aussi de chansons et de bons mots qui interpellent sans délai l’opinion publique ou qui, plus élaborés comme dans le cas du Monument consacré à la postérité en mémoire de la folie incroyable de la XXe année du XVIIIe siècle, cherchent à mettre l’événement en perspective. On comprend dès lors que les collectionneurs du temps soient aussi bien intéressés par les feuilles et les pamphlets que par ces gravures qui proposent autant de lectures des crises du temps.
On remarque ici la condamnation morale de l’appât du gain qui englobe toutes les compagnies par actions et vise tout particulièrement la circulation des billets aux porteurs et du papier-monnaie, sorte de nouveau veau d’or auquel les spéculateurs vouent un culte funeste qui les conduira immanquablement à leur châtiment. La spéculation est donc bien présentée comme une maladie avec ses « transports au cerveau » et son vecteur, le papier, qu’il soit celui des actions ou celui des billets de banque.
Pour les lecteurs du temps, la vague de violences et de suicides qui a suivi la faillite de ce « jeu pernicieux » a pu sembler donner raison à l’auteur de la gravure. Une lecture plus distanciée de ce « système insensé » a notamment permis de montrer qu’il avait contribué à désendetter la monarchie.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, La France des Lumières, 1715-1789, Paris, Belin, coll. « Histoire de France », 2011.
Edgar FAURE, La banqueroute de Law, 17 juillet 1720, Paris, Gallimard, coll. « Trente journées qui ont fait la France », 1977.
Antoin E. MURPHY, John Law: Economic theorist and policy-maker, Oxford, Oxford University Press, 1997.
Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « La Faillite du système Law », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/faillite-systeme-law
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
La débâcle des assignats
Après la chute de Robespierre (27 juillet 1794), l’abandon de l’économie dirigée, des contraintes économiques et des…
La Faillite du système Law
Alors qu’au lendemain de la mort de Louis XIV la banqueroute menace, le régent Philippe…
Hyacinthe Rigaud et le portrait des serviteurs de l’État
Si Hyacinthe Rigaud (1659-1743) réalise le portrait de nombreux acteurs des autorités locales, les grands commis de…
La publication du Livre rouge, mise en cause de l'absolutisme
Sous l’Ancien Régime, les finances royales proviennent de la fiscalité, des revenus du…
De l'inflation à la Terreur monétaire
L’Assemblée législative dominée par la préparation de la guerre vote des émissions répétées d’assignats : 300 millions en décembre 1791…
Du déficit à l'assignat
L’Assemblée constituante doit à la fois assumer les dettes de la monarchie – environ 5 milliards de livres auxquelles s’ajoutent des intérêts…
Portraits à la Bourse
L'Acquisition de la Louisiane par les Etats-Unis
Les deux événements documentés ici sont la cession de La Nouvelle-Orléans le 20 décembre 1803 et la…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel