Méphistophélès dans les airs
Faust dans son cabinet
Méphistophélès apparaissant à Faust
Méphistophélès dans la taverne des étudiants allumant le feu
Méphistophélès dans les airs
Auteur : DELACROIX Eugène
Lieu de conservation : musée Eugène-Delacroix (Paris)
site web
H. : 27 cm
L. : 23 cm
Illustration du Faust de Goethe.
Légende : De temps en temps j'aime à voir le vieux Père, et je me garde bien de lui rompre en visière.
Lithographie.
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
MD 2002 109 2 - 18-538574
Faust, la représentation du mythe par Delacroix
Date de publication : Juin 2009
Auteur : Catherine LEBOULEUX
Le Faust de Goethe au tournant du Sturm und Drang et du romantisme
Delacroix, chef de file des peintres romantiques français, est un artiste aux talents multiples, ayant laissé grâce à celui de sa plume de nombreux témoignages sur le contexte social, culturel et artistique de son époque. Son journal tout autant que sa correspondance composent un canevas riche et inspiré qui donne le fil, à défaut des clés, de sa production.
Delacroix mène la vie des jeunes romantiques. D’une culture littéraire et artistique très pointue, il fréquente la meilleure société, les salons les plus huppés comme les artistes les plus en vue. Féru de théâtre, comme la majorité de ses contemporains, il fréquente assidûment les salles parisiennes et ne manque pas de se rendre au spectacle lorsqu’il voyage.
La première partie du Faust de Goethe paraît en 1808 et donne très vite lieu à de multiples adaptations, illustrations et traductions. La première traduction française, due à Albert Stapfer, date de 1823. Celle qu’en fait Gérard de Nerval en 1828 offre à l’œuvre une dimension poétique. Mais c’est dès 1824 que Delacroix note dans son Journal l’intérêt qu’il éprouve pour cette figure médiévale, élevée au rang de mythe par un Goethe inspiré qui signe là son chef-d’œuvre.
Assistant en 1825 à une représentation du Faust au théâtre de Drury Lane, à Londres, il est frappé par la théâtralité du sujet. Quand l’éditeur Charles Motte lui propose vers 1826 d’illustrer la traduction de Stapfer, Delacroix accepte la proposition, avec la conscience manifeste de s’associer à une œuvre qui touche à l’universel.
Une richesse de traitement au regard de la diversité des situations du texte
Pour illustrer la traduction de Stapfer, Charles Motte avait commandé à Delacroix dix-sept lithographies. Celles-ci furent ensuite reproduites en planches isolées. Les quatre lithographies présentées dans cette étude décrivent les deux protagonistes, leur rencontre et le début de leurs aventures communes.
Le Méphistophélès dans les airs, suspendu au-dessus de la ville plongée dans les ténèbres, est la première lithographie de la série. Méphistophélès est central dans l’approche qu’a Delacroix de l’œuvre de Goethe. L’ange déchu plane sur la ville médiévale, lieu du triomphe de l’argent, des mutations culturelles. Delacroix plante le décor, et la nudité de son Méphistophélès évoque par sa musculature la force de son pouvoir.
Comparativement, Faust dans son cabinet, présente la figure ascétique et désespérée qui s’adresse au crâne, objet de toutes les vanités : « Pauvre crâne vide que me veux-tu dire… » Faust est saisi, accablé de tout son ennui, de toutes ses désillusions quelques instants avant de songer au suicide.
L’apparition de Méphistophélès à Faust est traitée dans un tout autre registre : le décor est encombré des instruments de la connaissance. Le lourd rideau chamarré, la richesse des costumes, théâtralisent la scène : « Pourquoi tout ce vacarme ? que demande Monsieur ? qu’y a-t-il pour son service ? »
Plus anecdotique, la scène dans la taverne évoque le comique qui n’avait pas manqué de frapper Delacroix lors de la représentation londonienne : « Ils en ont fait un opéra mêlé de comique et de tout ce qu’il y a de plus noir », écrit-il à Pierret le 18 juin 1825. « Au feu, à l’aide, l’enfer s’allume », s’exclament les jeunes gens à la vue des tours de magie de Méphistophélès qui fait couler le vin et apparaître le feu. La mine effrayée et l’affolement des étudiants contrastent avec la décontraction d’un Méphistophélès qui s’amuse franchement alors que, derrière lui, Faust, rajeuni, lance un regard méprisant à ceux qui sont probablement les fameux étudiants que « depuis dix ans, [il] promène çà et là par le nez ».
Faust, un mythe prométhéen
En s’emparant du personnage de Faust, Delacroix s’empare d’un mythe qui correspond à la sensibilité du romantisme dont les composantes essentielles sont la nostalgie, la mélancolie, le mal de vivre. Faust apparaît dès le début de l’œuvre dans tout le désespoir – qui va jusqu’au désir du suicide – lié à sa condition humaine, circonscrite dans l’étroitesse d’un savoir qui ne le comble en aucune façon. Faust se livre à Méphistophélès tout en le méprisant, tout en ayant la certitude de sa supériorité. Ses tours de magie ne l’impressionnent guère.
Les quatre lithographies montrent le lien à la fois étroit et distendu entre les deux personnages. À Faust la soif de connaissance, la volonté de conquérir l’Idéal (qui prendra fugacement le visage de Marguerite), à Méphistophélès la magie, les tours de passe-passe pendant qu’il reste assujetti à la puissance divine. Méphistophélès met en scène, tire les ficelles, façonne les accessoires, mais n’a aucun pouvoir réel sur Faust, et encore moins sur Marguerite.
En ce début du XIXe siècle, Faust supplante don Juan. Si les deux héros présentent des similitudes – insatiable curiosité, soif de domination, conscience de leur supériorité, inconstance amoureuse –, leurs différences les placent sur deux registres très distincts : la sensualité pour don Juan et la pensée pour Faust.
Dans la continuité du mythe d’Orphée, puis de don Juan, celui de Faust, par l’intérêt qu’il suscite chez des artistes aussi éminents que Delacroix, va marquer durablement artistes et intellectuels au point d’y voir une lecture prométhéenne de la condition humaine.
Eugène DELACROIX, Correspondance, 1815-1863, Quantin, Paris, 1878.
Eugène DELACROIX, Journal, 1822-1863, Plon, Paris, 1996.
Gérard GENGEMBRE, Le romantisme en France et en Europe, Pocket Classiques, Paris, 2003.
Johann Wolfgang von GOETHE, Faust, nouvelle traduction complète, en prose et en vers, par Gérard de Nerval, Dondey-Dupré, Paris, 1828.
Avant Scène Opéra, Faust, n°2, Paris, 1976.
Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.
Catherine LEBOULEUX, « Faust, la représentation du mythe par Delacroix », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/faust-representation-mythe-delacroix
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