Portrait de Franz Liszt
Dans la salle de concert
Franz Liszt
Portrait de Franz Liszt
Auteur : LEHMANN Henri
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
H. : 152 cm
L. : 125 cm
Le pianiste posa à la villa Massimiliana à Lucques, en Italie, mais Lehmann n'acheva l'œuvre qu'à Rome.
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
P 1683
Franz Liszt, de la gloire aux ténèbres
Date de publication : Avril 2012
Auteur : Christophe CORBIER
Prodige et renoncement
Pianiste hors norme et compositeur novateur, Franz Liszt (1811-1886) est l’un des plus grands musiciens du XIXe siècle. La vie de cet artiste hongrois renommé dès les années 1820 a été marquée par des succès précoces. Il séjourne à Paris de 1823 à 1835, et c’est dans la capitale française qu’il acquiert une célébrité internationale en tant que pianiste à la virtuosité « transcendante ». Rivalisant avec les plus grands interprètes de son temps, Chopin, Paganini, Thalberg, Franz Liszt fréquente Berlioz, Rossini, Lamartine, Delacroix, Hugo. Il s’éprend de la comtesse Marie d’Agoult, amie de George Sand.
De 1835 à 1847, Liszt parcourt l’Europe et se produit dans des concerts qui lui apportent la gloire, l’argent et l’admiration du public féminin : de Berlin à Constantinople, de Moscou à Paris, il déchaîne l’enthousiasme lors de prestations qui fascinent les spectateurs. Mais à partir de 1847, décidant de ne plus passer pour un « amuseur public », il renonce à sa carrière de virtuose du piano et s’installe à Weimar, en Allemagne. Il y dirige de nombreux concerts et s’y livre à la composition, créant notamment le genre du poème symphonique. Enfin, de 1860 à 1886, Liszt renoue avec sa vie errante, partageant son temps entre Rome, l’Allemagne, Budapest et Paris. De plus en plus attiré par le catholicisme, il reçoit les ordres mineurs en 1865 et devient « l’abbé Liszt ». Professeur de piano à l’Académie de musique de Budapest, il compose de nombreuses pièces religieuses et rompt plus ou moins nettement avec sa vie passée : loin des prouesses du virtuose, il écrit des œuvres de plus en plus dépouillées et austères. Il meurt à Bayreuth en 1886, trois ans après son gendre et ami Richard Wagner.
Chacune de ces images témoigne éloquemment de l’une des trois grandes phases de la vie de Liszt : le pianiste qui fascine les Parisiens, le virtuose qui enflamme les publics européens, le musicien ascétique des dernières années.
Une évolution esthétique et spirituelle
Lors du voyage que Liszt et Marie d’Agoult entreprennent en 1839 en Italie, ils rencontrent à Rome le peintre français d’origine allemande Henri Lehmann (1814-1882), qui se lie d’amitié avec eux. Ce portrait de Liszt révèle l’admiration du peintre pour le pianiste et l’influence de son maître, Ingres. Portraitiste apprécié en son temps, Lehmann a voulu exprimer le magnétisme qui émanait de Liszt. Vêtu d’une redingote noire, Liszt a adopté une pose classique, de trois quarts, dans un intérieur où rien, ni piano ni partition, n’évoque la musique. Jouant sur les effets du clair-obscur, le peintre a concentré la lumière sur la main gauche – aux doigts démesurément longs – du pianiste et surtout sur son visage : Liszt fixe sur le spectateur un regard profond, à l’expression impénétrable, et semble le toiser. Lehmann fait ainsi de Liszt un être double, dans la pure tradition romantique : entre ombre et lumière, entre admiration publique et goût pour la solitude, entre Paris et Rome, entre virtuosité diabolique et aspirations mystiques, de multiples interprétations peuvent être proposées, qui renvoient à la personnalité complexe du musicien.
L’estampe anonyme intitulée Dans la salle de concert (1847) est d’un esprit totalement différent : en 1842, les Berlinois sont pris d’une véritable Lisztomanie d’après le poète Henri Heine. Cette estampe rappelle que Liszt était une vedette internationale, adulée par un public majoritairement féminin qui cherche à attirer son attention par ses applaudissements et ses bouquets : Théophile Gautier parlait lui aussi, à Paris, des déluges de camélias et du bombardement de bouquets vers Liszt qui, de son côté, souriait sardoniquement depuis son piano. L’auteur de l’estampe l’atteste lui aussi, avec le recul du caricaturiste qui croque ironiquement ces jeunes demoiselles sans doute plus éperdues d’admiration pour le pianiste que séduites par la musique qu’il interprète. Cela est dû à la présence même de Liszt au piano : il est présenté ici en action, revêtu de sa redingote noire, ses longues mains s’agitant au-dessus du clavier. Le dessinateur grossit le jeu théâtral du pianiste, évoqué dans presque tous les récits de ses concerts : grimaces, mimiques, mains qui s’élèvent jusqu’au sommet de la tête, autant de traits qui lui ont été reprochés dès ses débuts à Paris. Mais cette estampe révèle aussi que, comme il le craignait lui-même, Liszt devenait un amuseur : on l’observe à la jumelle, on se presse au pied de l’estrade, on lui lance des couronnes, on l’applaudit, mais qu’en est-il de la musique ?
D’où la rupture avec cette carrière en 1847 et la nouvelle orientation de Liszt vers une vie plus recueillie, loin des excès du virtuose. Le contraste est frappant avec la dernière image, qui forme comme une synthèse du portrait de Lehmann et de l’estampe de 1847. Ce cliché date vraisemblablement de 1869, et il est l’œuvre du photographe munichois Franz Hanfstaengel (1804-1877). De Berlin à Munich, tout a changé dans la vie du musicien : le virtuose a laissé place à l’abbé Liszt. S’il porte toujours sa redingote noire, il est désormais seul dans une salle sombre, assis devant un simple piano droit, et ne cherche plus à impressionner un public. Le sourire démoniaque a disparu, et c’est un homme religieux, retiré en lui-même, qui joue avec calme et recueillement la partition posée devant lui. La sobriété de la mise en scène traduit l’austérité que le musicien hongrois privilégie désormais dans sa vie et dans ses œuvres.
Romantisme et musique
Liszt a été l’une des premières vedettes internationales qui ont déclenché de véritables manifestations d’hystérie collective. Son aura a été extraordinaire : personnage diabolique que Gautier croyait sorti d’un conte d’Hoffmann, il a été universellement célébré en son temps. La princesse Belgiojoso, grande admiratrice de Liszt et amie de Marie d’Agoult, de Chopin et de George Sand, a résumé le statut exceptionnel du pianiste hongrois à l’issue d’un célèbre duel pianistique qu’elle avait organisé en 1837 entre Liszt et Thalberg : « Thalberg est le premier pianiste du monde, Liszt est le seul. » C’est ce qui rend encore plus remarquable le renoncement à la gloire à partir de 1847. En cela, Liszt est un bon représentant des idéaux de la génération romantique, parce qu’il a été un homme constamment tiraillé entre la vie mondaine et les aspirations mystiques, entre l’amour que lui portaient les femmes et les visions célestes qu’il a exprimées dans les Harmonies poétiques et religieuses.
STRICKER Rémy, Liszt. Des ténèbres à la gloire, Gallimard, 1992.
GUT Serge, Franz Liszt , Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Fayard, 2003.
REYNAUD Cécile, Liszt et le virtuose romantique, Champion, 2006.
Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.
Christophe CORBIER, « Franz Liszt, de la gloire aux ténèbres », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/franz-liszt-gloire-tenebres
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