
Portrait de George Sand

Éventail des caricatures

George Sand

George Sand

Portrait de George Sand
Auteur : CHARPENTIER Auguste
Lieu de conservation : France, Paris, musée de la Vie Romantique
Date de création : 1838
H. : 85 cm
L. : 64.5 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
CC0 Paris Musées / Musée de la Vie Romantique
D 89.64
George Sand, grand homme de lettres et bonne dame de Nohant
Date de publication : Avril 2025
Auteur : Lucie NICCOLI
D’Aurore Dupin, baronne Dudevant, à George Sand
Aurore Dupin de Francueil est née en 1804 d’un officier de l’armée impériale, descendant d’un maréchal de France, et de la fille d’un tenancier parisien. Sa double ascendance, à la fois aristocratique et populaire, éveille son intérêt pour le peuple et les devoirs de la noblesse à son égard. Confiée à sa grand-mère Marie-Aurore de Saxe après la mort accidentelle de son père, elle passe son enfance à Nohant, dans le Berry, où elle fera toute sa vie de fréquents séjours et qui inspirera nombre de ses romans dits « champêtres ». Elle épouse à 18 ans le baron Casimir Dudevant, dont elle a deux enfants, Maurice et Solange (1), mais ne tarde pas à s’en séparer et même à divorcer, multipliant les liaisons avec des artistes et des intellectuels parisiens – notamment Alfred de Musset et Frédéric Chopin.
C’est au lendemain des Trois Glorieuses qu’elle rencontre le romancier berrichon Jules Sandeau, avec lequel commence sa carrière littéraire, sa vie de bohème parisienne et ses premiers « travestissements » en homme. Elle emprunte son nom pour créer le pseudonyme « George Sand » (2), dont elle signe désormais tous ses romans. Au cours de la monarchie de Juillet, marquée par l’avènement de la révolution industrielle et les révoltes ouvrières, sa sensibilité politique évolue vers le socialisme. Elle participe aux journaux républicains à la chute de Louis-Philippe, en février 1848, mais la répression des insurrections de juin, les arrestations et la censure qui suivent le coup d’État du 2 décembre 1851 mettent fin à son engagement militant.
Elle se consacre alors à l’écriture – romans, théâtre et correspondance –, reversant une partie de ses droits d’auteur aux paysans, et meurt à Nohant en 1876. Femme indépendante entourée d’artistes, elle a fait l’objet de nombreux portraits tout au long de sa vie. Auguste Charpentier, élève d’Ingres et de Gérard, la représente en 1838 au moment où, déjà célèbre pour ses romans Indiana et Lélia, fraichement divorcée, elle est un modèle de femme émancipée. Admiré au Salon de 1839, ce portrait lance la carrière du jeune peintre. La même année, Charpentier peint sur un éventail, avec la complicité de Sand, la bande d’amis qui se réunit à Nohant autour d’elle, caricaturés en personnages d’une pastorale (3) de fantaisie. En 1842, son ami caricaturiste Alcide-Joseph Lorentz en brosse pour Le Charivari un portrait-charge en habits d’homme et fumant le cigare, qui devient aussitôt célèbre. Fameuse désormais pour ses œuvres plus que pour ses mœurs, elle accepte en 1864 de poser devant l’objectif de son ami Félix Tournachon, dit Nadar, et c’est à partir de ces photos qu’est gravé, au centre d’une composition allégorique imaginée par Edmond Morin, le portrait publié par Le Monde illustré pour annoncer ses obsèques, en juin 1876.
A Paris comme à Nohant, elle est au centre de la vie intellectuelle et artistique
Auguste Charpentier, fervent admirateur de George Sand, s’est rendu à Nohant pour faire son portrait. À l’origine, il l’avait peinte jusqu’aux genoux, debout, la main posée avec autorité sur le dossier d’une chaise, vêtue à la mode espagnole d’une longue robe noire couverte d’un châle également noir, les cheveux agrémentés de fleurs naturelles sous une légère mantille. Sa fille Solange a sans doute découpé la toile ultérieurement, pour lui donner ce format ovale, à mi-corps. La silhouette sombre de la jeune femme aux cheveux de jais se découpe nettement sur un fond neutre, avec son visage allongé au teint pâle et aux grands yeux bruns. Le visage est résolument de face, les yeux bien ouverts, le nez droit, la bouche charnue et volontaire. Il s’en dégage une impression de tranquille assurance, presque de défi. Seuls ornements, avec les fleurs, sur sa tenue austère : une croix de perles à son cou et un camée à la taille en guise de boucle de ceinture – des bijoux de famille montrant qu’elle ne renie pas son ascendance aristocrate.
Dans un tout autre style, « l’éventail des caricatures » peint à la gouache par le même Charpentier avec le concours de Gavarni, met en scène George Sand au centre d’une parodie de pastorale, entourée de ses enfants et de toute la société d’artistes et intellectuels qu’elle réunissait alors à Nohant, dont plusieurs furent ses amants. D’après la légende notée au dos par les auteurs, l’éventail raconte la découverte par un mystérieux marquis (Félicien Mallefille, précepteur de son fils, à sa droite) égaré loin de chez lui, de « l’incomparable nymphe Sandaraque », assise au pied d’un arbre et tenant sur son poignet « l’oiseau sacré Chopinios » (Chopin). La rencontre a lieu dans les « jardins de Paphos », ville de Chypre réputée être le lieu de naissance d’Aphrodite. La prairie fleurie où coule une rivière et les collines bleutées à l’arrière-plan évoquent plutôt un paysage berrichon. Parmi les personnages réunis autour de Sand, affublés de grosses têtes sur des corps ridicules et de surnoms à consonance grecque, figurent Eugène Delacroix, debout derrière Sand, et Frantz Liszt, agenouillé devant elle, Auguste Charpentier adossé à un arbre et l’avocat Michel de Bourges, devant lui, à droite, le graveur Luigi Calamatta en serpent et le républicain Emmanuel Arago en triton, à gauche, ainsi que les enfants de George – Maurice, en enfant ailé, à gauche, et Solange, en lion qui garde les moutons, à droite. L’intrigue de cette fable – ou plutôt de cette farce – est assez confuse ; elle se rapporte sans doute à des jeux auxquels se livrait cette bande d’amis facétieux.
C’est aussi avec humour et un brin de provocation que l’écrivain se prête au jeu du portrait-charge pour Le Charivari. Elle y apparaît vêtue en homme, d’un pantalon collant à sous-pieds et d’un gilet ajusté sous une redingote, soulignant ses formes féminines, un foulard noué autour du cou, sans chapeau sur ses cheveux coupés au carré. Son coude droit est nonchalamment appuyé sur deux grandes affiches portant les inscriptions « chambre des députées » et « chambre des mères ! » – une allusion aux deux chambres composant le parlement sous la monarchie de Juillet : la chambre des députés et la chambre des pairs. Le regard rêveur, comme si elle imaginait une vie politique ouverte aux femmes, elle tient dans sa main gauche un cigare allumé dont l’épaisse fumée forme comme un nuage sur lequel elle se tient. Des liasses de papiers sous les volutes de fumée portent les titres de ses romans, notamment Indiana et Valentine.
Fatiguée à la fin de sa vie, George Sand abandonne le travestissement et ne fait plus scandale ; elle acquiert la notoriété et la respectabilité d’un grand écrivain auquel rend hommage Le Monde illustré lors de ses funérailles. Son visage, gravé d’après une série de photos prises par Nadar douze ans plus tôt, est grave et empâté mais toujours empreint de la même détermination. Elle se présente de trois-quarts, le regard lointain tourné vers la gauche, paraissant embrasser du regard, depuis l’éternité, l’étendue de sa vie passée et de son œuvre pléthorique. Couverte jusqu’au cou d’une robe noire et d’une chemise au col serré, elle porte des pendants d’oreille sous ses épais cheveux, sagement gaufrés et coiffés en un chignon. Comme enchâssé dans un médaillon, le portrait s’inscrit dans un fouillis de feuillage plus clair duquel émergent des sortes de phylactères portant les titres de ses romans les plus célèbres – Le Marquis de Villemer, Indiana, Lélia, La Petite Fadette, Mauprat, François le champi… Gravitant autour de ces banderoles sont esquissés les personnages principaux de ces romans. Au-dessus de sa tête, un éclair divin semble frapper la liste de titres et la plume de l’écrivain ; sous son buste, le laboureur de La Mare au diable voisine avec deux volumes envahis par la végétation, comme si son œuvre et la nature berrichonne ne faisaient qu’un.
La cause des femmes et celle du peuple
À travers portraits et caricatures, Aurore Dupin alias George Sand a su se créer une image non conventionnelle et intrigante, à la fois féminine et masculine, sensuelle et insoumise, pleine de noblesse et proche du peuple. Dans les années 1840, elle devient, sous la plume de caricaturistes tels que Lorentz ou Honoré Daumier, le modèle du « bas-bleu » (4), soit de la femme éduquée qui a des prétentions littéraires, une incongruité pour l’époque. Elle assume totalement cette image en se caricaturant elle-même fumant le cigare dans un petit dessin signé Portrait de George Sand, fecit soi-même.
La révolution de Juillet 1830, qui met définitivement fin à la monarchie absolue et marque l’avènement des mouvements socialistes, réclamant la fin des inégalités sociales, voit aussi le retour des revendications d’égalité des droits entre les sexes, apparues sous la Révolution de 1789, mais réprimées sous l’Empire et la première Restauration. George Sand, par la liberté de ses mœurs et les thèmes abordés dans ses romans, Lélia, en particulier, fait figure de féministe avant la lettre (5). Dans l’hommage que lui rend Le Monde illustré à sa mort, seule le buste au visage grave de l’écrivain engagé est représenté – son corps de femme sensuelle et ses travestissements scandaleux n’importent plus à la fin de sa vie. Elle reste pour la postérité la « bonne dame de Nohant », celle qui a défendu la cause du peuple et fait des paysans les héros de ses romans.
Daniel MARCHESSEAU (sous la dir.), George Sand, une nature d’artiste, catalogue de l’exposition présentée au musée de la Vie romantique de juin à novembre 2004 à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, Paris Musées, 2004.
Claude MALECOT, George Sand et Félix Nadar, Paris, éditions du Patrimoine, coll. « Photographies », 22 mai 2004.
George SAND, Histoire de ma vie, Calmann Lévy, Paris, 1902 (1re éd. 1856
1 - Solange : le père de Solange est très probablement Stéphane Ajasson de Grandsagne, et non Casimir Dudevant.
2 - George Sand : « George », pour évoquer le travail de la terre (georgos signifie « qui travaille la terre » en grec).
3 - Pastorale : en peinture, aux XVIIe et XVIIIe siècle, paysage champêtre idéalisé avec des bergers et bergères ainsi que des créatures mythiques pouvant représenter des personnages réels et porter un message galant ou politique ; genre inspiré de la littérature antique.
4 - Bas bleu : terme traduit de l’anglais qui désignait, au XVIIIe siècle, les membres d’un salon littéraire présidé par une femme, d’après un club appelé « La société des bas bleus ». Terme devenu péjoratif en France, au XIXe siècle.
5 - Féminisme : le terme n’est employé qu’à partir des années 1880 au moment de la lutte pour le droit de vote et l’éligibilité des femmes.
Phylactère : Bande de parchemin, enroulée aux extrémités. Dans le judaïsme y est inscrit un passage des Écritures. Dans l’art chrétien, à partir du Moyen Âge, le phylactère est tenu par des anges ou des saints personnages afin d’afficher leur parole.
"Le Charivari" : Premier journal satirique français fondé par Charles Philippon en 1832. Il cesse de paraître en 1937.
Lucie NICCOLI, « George Sand, grand homme de lettres et bonne dame de Nohant », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/04/2025. URL : https://histoire-image.org/etudes/george-sand-grand-homme-lettres-bonne-dame-nohant
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