Mort de Léonard de Vinci
François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci
Mort de Léonard de Vinci
Auteur : MENAGEOT François Guillaume
Lieu de conservation : château royal d'Amboise
site web
Date de création : 1781
Date représentée : 2 mai 1519
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais / image RMN-GP
84-001385
La Mort de Léonard de Vinci
Date de publication : Février 2023
Auteur : Lucie NICCOLI
Léonard de Vinci à Amboise, auprès de François Ier, et la légende de sa mort par Vasari
Invité par François Ier, Léonard de Vinci se rend à Amboise lors de l’hiver 1516. C’est déjà un vieillard de soixante-quatre ans tandis que le jeune roi, qui vient d’être sacré à Reims, a seulement vingt-deux ans. Il emporte avec lui trois tableaux inachevés – la Joconde, le Saint Jean-Baptiste et la Sainte Anne. Le roi lui offre le manoir du Cloux (actuel château du Clos-Lucé), voisin du château d’Amboise, ainsi qu’une pension annuelle, et lui confie la charge de premier peintre, ingénieur et architecte.
La mort du maître, le 2 mai 1519, est racontée par le peintre et écrivain toscan Vasari dans un volume de ses Vies, publiées en 1550 : n’y ayant pas assisté, il imagine l’artiste se repentant de ses péchés et expirant en bon catholique « dans les bras » de François Ier, venu le visiter. D’après un édit royal signé du 3 mai, le roi ne pouvait cependant pas être présent à Amboise le 2, étant retenu à Saint-Germain-en-Laye pour fêter la naissance, le 31 mars, de son second fils, le futur Henri II.
À partir de la fin du XVIIIe siècle puis pendant la Restauration, c’est pourtant cette version de l’histoire qu’illustrent les peintres, par méconnaissance, d’abord, puis par choix, afin de souligner l’admiration mutuelle qui liait ces deux grandes figures de la Renaissance.
François Guillaume Ménageot, le premier, grand prix de Rome 1766, triomphe au Salon de 1781 avec une toile monumentale sur ce sujet, une commande officielle de Louis XVI destinée à servir de modèle à une tenture de l’histoire de France tissée aux Gobelins.
En 1818, Ingres peint à Rome pour le comte de Blacas, ministre favori et ambassadeur de Louis XVIII auprès du Saint-Siège, deux petites toiles, Henri IV recevant l’ambassadeur d’Espagne et François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci, qui offrent une image plus humaine des rois de France. Il travaille alors pour de nombreux clients, les toiles qu’il envoie à Paris étant encore mal accueillies par la critique.
Les nombreuses gravures des deux peintures représentant la mort de Léonard perpétuent la mémoire de cette légende.
La mort du grand homme et le roi éclairé
Les œuvres des deux artistes, ayant tous deux reçu une formation académique, l’un auprès de Vien, l’autre auprès de David, sont de style néoclassique : le sujet est édifiant, tiré de l’histoire, la composition est claire, les personnages sont expressifs, comme sur une scène de théâtre.
Chez l’un et l’autre, un subtil jeu de regards et de mains trace des lignes invisibles qui convergent vers le sujet de la toile, Léonard alité. Ménageot dispose cependant les personnages en arc de cercle autour du monumental lit à baldaquin, vu de biais, et invite le spectateur à entrer dans l’alcôve, tandis qu’Ingres les place en frise, de part et d’autre du lit.
Les deux peintres ont opté pour des couleurs chaudes émergeant de l’ombre – du jaune doré et orangé au rouge – qui contrastent nettement avec le blanc lumineux des draps et de la chemise de Léonard, ainsi que la pâleur de sa carnation. Elles sont cependant plus vives dans la peinture d’Ingres, où domine le rouge éclatant du baldaquin et du fauteuil, tandis que, dans celle de Ménageot, une gamme chromatique plus étendue de tons sourds apporte de la douceur. À l’éclat des couleurs s’ajoute, chez Ingres, une précision du trait et un souci du détail, dans les motifs, bijoux et ornements, qui donnent à sa petite toile un aspect précieux.
Dans les deux œuvres, la physionomie du roi et son costume sont inspirés du portrait qu’en fit Titien en 1539 – soit vingt ans après la mort de Léonard –, visible au Louvre. Mais alors que Ménageot a rajeuni ses traits pour en faire un jeune homme, Ingres l’a représenté tel quel, dans la force de l’âge. Le beau visage de Léonard et son expression extatique évoquent, chez Ménageot, la mort d’un philosophe stoïque à la manière de David, tandis que celui peint par Ingres, avec ses sourcils broussailleux et sa longue barbe blanche, pourrait être inspiré d’un portrait gravé de Léonard âgé.
Dans l’œuvre de Ménageot, toute l’attention est portée sur l’artiste mourant, encore vert cependant, reposant dans un lit opulent au centre de la scène et en pleine lumière. Une esquisse de la Sainte Anne, à peine visible sur la toile mais reconnaissable sur la tapisserie des Gobelins, ainsi que les feuillets roulés sur une chaise au premier plan, permettent de l’identifier immédiatement. Autour de lui s’empressent de multiples personnages affligés et soucieux : à sa droite, un médecin, une infirmière et d’autres assistants ; à sa gauche, le roi, des seigneurs aussi richement vêtus que lui et de petits pages. Seul le regard intense que lui adresse Léonard distingue François Ier de la foule de ces courtisans. À l’arrière-plan, à gauche, la chambre s’ouvre sur une galerie d’antiques abritant le Gladiateur Borghèse : c’est une allusion au château de Fontainebleau dans lequel l’artiste situe par erreur la mort de Léonard, alors que François Ier n’en fit sa résidence privilégiée que dix ans plus tard.
Dans la version d’Ingres, Léonard et François Ier presque enlacés forment un couple incongru, le corps massif du grand roi paraissant écraser le frêle vieillard agonisant dans ses bras. Autour d’eux, les personnages expriment des émotions plus contenues, à l’exception de l’homme vêtu de noir comme le Baldassare Castiglione de Raphaël, à la pose très théâtrale : les bras tendus vers le maître – il pourrait s’agir de son assistant Francesco Melzi –, le visage tordu par la douleur. L’élégante torsion de son cou, de même que l’inclinaison exagérée de la tête de Léonard, sont caractéristiques du style d'Ingres, dont les déformations anatomiques assumées sont au service de la pureté de la ligne. Les personnages qui encadrent la scène – à gauche, un moine agenouillé, les mains jointes, à droite un sévère prélat portant la pourpre et un seigneur peu avenant – ont le visage fermé et sont figés dans des poses hiératiques. Tout comme la Bible ouverte et le crucifix ostensiblement posés sur une table au premier plan, ils semblent les garants de la foi catholique et de la rédemption de Léonard au seuil de sa mort, selon le récit de Vasari.
Un épisode édifiant de l’histoire de France : du néoclassicisme au genre troubadour
Ménageot conserve les codes de la grande peinture d’histoire pour illustrer cet épisode issu, non plus de l’Antiquité classique grecque ou romaine, mais de l’histoire de France. Il annonce ainsi le genre « troubadour » qui se développe à partir de l’Empire, lors de la redécouverte du Moyen Âge et de l’Ancien régime. Ingres est l’un des principaux représentants de ce genre, caractérisé aussi par l’éclat des couleurs vives et une certaine préciosité. Avec les informations dont il dispose en 1781, Ménageot est soucieux de vérité historique. Il traite le sujet comme un épisode édifiant de l’histoire de France et place le jeune roi au chevet de Léonard, dont la mort exemplaire demeure le thème principal du tableau.
En 1818, en revanche, Ingres sait déjà, par une lettre de Francesco Melzi aux frères de Léonard, publiée par Stendhal dans son Histoire de la peinture en Italie (parue en 1817), que François Ier n’était pas présent lors de sa mort. Il choisit cependant de rester fidèle au récit de Vasari, plus propice à l’apologie de la monarchie et de la foi catholique, et fait même du roi le personnage central de la scène. Enveloppant le corps de Léonard de Vinci, François Ier semble s’approprier son génie ; le couple formé par les deux hommes devient ainsi une incarnation vivante de la Renaissance pour la postérité. Dix ans plus tard, pour le plafond de la salle accueillant les tableaux de l’École française dans le musée Charles X, au Louvre, François Joseph Heim, contemporain de Ingres, représente la Renaissance des arts en France, faisant la part belle au règne de François Ier, à nouveau présent au chevet de Léonard mourant.
Léopold LECLANCHÉ et Charles WEISS (traducteurs), Vie des peintres, tome 1, traduction d’une partie de Delle Vite de’piu eccellenti pittori, scultori et architetti de Giorgio VASARI, première édition en toscan à Bologne en 1550, Les Belles Lettres, Paris, 2002
Gennaro TOSCANO (sous la dir. de), 1519. La Mort de Léonard. Naissance d’un mythe, catalogue de l’exposition présentée au château royal d’Amboise en 2019, Gourcuff Granenigo, Paris, 2019
Laure FAGNART, Léonard de Vinci à la cour de France, Presses universitaires de Rennes, Paris, 2019 ; Mathieu DELDICQUE, Léonard de Vinci, Que sais-je ?, Paris, 2019 ;
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c’est l’homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Peinture d'histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Lucie NICCOLI, « La Mort de Léonard de Vinci », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 05/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/mort-leonard-vinci
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