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Fragments de frise décorant le pavillon de la Bosnie-Herzégovine à l'Exposition universelle de 1900 à Paris : fragment de la frise supérieure

Fragments de frise décorant le pavillon de la Bosnie-Herzégovine à l'Exposition universelle de 1900 à Paris : fragment de la frise supérieure

L'Autriche

L'Autriche

Fragments de frise décorant le pavillon de la Bosnie-Herzégovine à l'Exposition universelle de 1900 à Paris : fragment de la frise supérieure

Fragments de frise décorant le pavillon de la Bosnie-Herzégovine à l'Exposition universelle de 1900 à Paris : fragment de la frise supérieure

Auteur : MUCHA Alfons

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1900

Date représentée : 1900

H. : 42 cm

L. : 775 cm

Détrempe sur toile

Domaine : Peintures

© Musée d'Orsay, dist. RMN - Grand Palais / Patrice Schmidt

Lien vers l'image

RF 1979 69 A - 08-546469

Mucha, l’esprit 1900

Date de publication : Octobre 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

De Prague à Paris : Alfons Mucha

Omniprésents sur le site de l’Exposition universelle de Paris en 1900, l’Art nouveau et l’illustrateur tchèque Alfons Mucha (1860-1939) y connaissent une forme d’apogée.

Né au début des années 1890 dans le rejet du classicisme au profit des courbes et inspiré par l’étude de la flore et de la faune, le mouvement artistique a conquis de nombreux domaines – notamment l’illustration et l’architecture – et de nombreux pays : Espagne, Belgique, France et Europe centrale notamment. Il se manifeste aussi par son grand degré d’adaptation aux cultures nationales, par l’engouement du public bourgeois et le soutien de la commande publique.

Alors que Hervé Guimard a remporté le concours pour ce qu’on appellerait aujourd’hui le design du métropolitain, inauguré pour l’Exposition, un modeste pavillon Art nouveau est édifié et Mucha multiplie les projets autour des trois pavillons indépendants présentés par l’Autriche-Hongrie. Il est arrivé à Paris en 1887 et est devenu célèbre depuis le contrat exclusif passé en 1894 avec Sarah Bernhardt pour les affiches de ses spectacles. Le jury de l’Exposition lui décerne une médaille d’argent pour les fresques du pavillon de la Bosnie-Herzégovine dessiné par l’architecte Karel Panek (né en 1860).

Des nations stylisées

Les fragments de la frise réalisée par Mucha, conservés au musée d’Orsay, font partie du cycle des légendes populaires bosniaques. Le bandeau parcourt l’ensemble du volume sur la partie supérieure, tandis que l’histoire de la nation bosniaque se déploie plus amplement dans la partie médiane des murs, et que la frise inférieure est ornée de motifs floraux répétés. Alors que l’artiste a utilisé une large palette pour ses grandes fresques (La Bosnie offrant ses produits à l’Exposition, par exemple), il opte pour des nuances de bleu relevées d’arcades peintes où dominent les couleurs chaudes (rouge et orange) et des motifs géométriques. Si le trait qui délimite des aplats de couleur est simple, presque naïf, et si le décor se compose de formes végétales en sfumato, Mucha est à la limite de la préciosité quand il s’agit de dessiner des drapés ou la chevelure des femmes [détail no 2]. Dans ce cycle, les personnages masculins au regard hiératique [détail no 1] et aux corps tout en aspérités contrastent fortement avec les poses lascives et les silhouettes tout en courbes des personnages féminins.

Si Mucha a réalisé des affiches pour le pavillon de la Bosnie et son restaurant, il a également reçu commande de la double monarchie pour assurer la publicité du pavillon de l’Autriche. Dans les deux cas, il s’est décidé pour des tonalités brunes avec des rehauts de rouge mat ou de jaune passé, et a reproduit une division en deux dans le sens de la hauteur, procédé déjà maintes fois utilisé. À gauche, une figure féminine, les yeux baissés, les lèvres serrées, sert d’emblème à la nation autrichienne. Son costume paraît emprunter moins à la tradition nationale qu’aux costumes portés sur les planches par le modèle absolu de l’artiste : Sarah Bernhardt. Contrairement à bien d’autres femmes dessinées par Mucha, celle-ci ne possède pas de chevelure luxuriante et demeure sagement vêtue. Sur le fond de son auréole, motif récurrent, on distingue dans l’ombre une femme dévoilant érotiquement son aisselle et son épaule nues, qui regarde fixement le spectateur. Elle semble inviter à dévoiler avec elle le mystère de cette allégorie, qui retient avec pudeur sa robe de ses doigts crispés, mais n’empêche pas son sein gauche de pointer entre les étoffes. Dans la moitié droite de l’affiche, Mucha présente classiquement les principales attractions austro-hongroises offertes aux visiteurs de l’Exposition : si le pavillon impérial affiche un classicisme avec quelques concessions au modern style, le restaurant viennois offre une parfaite image de l’usage de la courbe et de la lumière par les architectes de l’Art nouveau. La reproduction d’un manoir tyrolien, la salle d’honneur ou les maisons ouvrières de Siemens & Halske [détail no 1] et de Krupp opposent à cette fantaisie une forme de rigueur utilitariste.

Art nouveau et propagande

Quoique émigré depuis longtemps, Mucha a conservé des contacts à Vienne où il a passé quelque temps en 1879. Sa renommée sur le continent et la volonté de la double monarchie de démontrer ouverture, humanisme et progrès conduisent à solliciter Mucha aux côtés d’un autre Tchèque, Adolf Kaufmann (1848-1916), pour décorer le pavillon de la Bosnie.

Si la structure de l’Empire justifie que les Habsbourg édifient à Paris un pavillon distinct pour l’Autriche et pour la Hongrie, le choix de la Bosnie peut surprendre. Il s’agit en réalité de la dernière conquête impériale, réalisée en 1878, qui a stoppé l’élan serbe dans les Balkans. Les autorités désirent offrir à l’opinion internationale un modèle de leur politique de modernisation administrative et socioéconomique. L’Autriche-Hongrie consent un important effort financier (30 000 couronnes pour Mucha) et déploie une propagande assez intense. Leur commissariat édite un catalogue en douze volumes sur les réalisations de l’Empire, et un livret-guide pour parcourir l’Exposition en français et en allemand qui passe pour le plus complet. Ils quadrillent l’Exposition avec le manoir tyrolien édifié au pied de la tour Eiffel, le restaurant viennois trônant sur l’esplanade des Invalides et la maison de convalescence Krupp [détail no 2] présentée à l’annexe de Vincennes, d’après l’original de Bernsdorf en Autriche.

La réalisation de l’affiche et des couvertures des publications autrichiennes montre que Mucha accepte toujours volontiers les commandes commerciales. Celui-ci amadoue ses mécènes viennois en désexualisant l’allégorie de l’Autriche, à rebours de son style habituel. Il paraît avoir trouvé dans le cycle de fresques une occasion de développer une autre facette de son art. Travaillant dans son atelier avec de nombreux modèles, puis reproduisant à l’échelle et a tempera sur des toiles, il aborde la thématique de la civilisation slave qui sera au cœur de son œuvre de l’entre-deux-guerres. Le commissaire Henri Moser (1844-1923) et le gouverneur de Bosnie Béni Kállay (1839-1903) lui ont payé un voyage vers Vienne, Sarajevo et son musée ; ils lui ont aussi fourni comme modèle Les Contes de la Bosnie (1898), un plagiat de La Guzla de Prosper Mérimée, signé du pseudonyme Mathilde Colonna.

En échange de sa collaboration à l’exaltation de l’œuvre autrichienne en Bosnie, Mucha a pu se présenter sous son nouveau visage de héraut promoteur du panslavisme comme vecteur de paix. Il n’a pas complètement ignoré les enjeux de son implication : dans la frise, de nombreuses figures apparaissent endormies ou mortes. Ces légendes appartiennent au royaume de la nuit et des ombres : la mémoire orale populaire est le versant tragique de l’épopée héroïque du peuple bosniaque, déroulée juste en dessous.

BRIDGES Ann (dir.), Alphonse Mucha : the complete graphic works, Londres, Academy Editions, 1980.

ORY Pascal, Les Expositions universelles de Paris : panorama raisonné, avec des aperçus nouveaux et des illustrations par les meilleurs auteurs, Paris, Ramsay, coll. « Les nostalgies », 1982.

PASTEUR Paul, Histoire de l’Autriche : de l’empire multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Armand Colin, coll. « U : histoire », 2011.

Double monarchie : Lorsque deux royaumes séparés sont dirigés par un même monarque, ce régime est appelé double monarchie. Ce terme est particulièrement utilisé pour désigner l’Autriche-Hongrie, une double monarchie ayant existé de 1867 à 1918.

Panslavisme : Mouvement politique du XIXe et du début XXe siècle reposant sur le sentiment d’un héritage historique commun à tous les peuples slaves et souhaitant restaurer une nation slave.

Modern style : Synonyme d’Art nouveau.

Art nouveau : Style qui se développe dès la fin du XIXe siècle, d’abord en Belgique et en France. Il s’épanouit dans l’architecture et dans les arts décoratifs. La recherche de fonctionnalité est une des préoccupations de ses architectes et designers. L’Art nouveau se caractérise par des formes inspirées de la nature, où la courbe domine.

Alexandre SUMPF, « Mucha, l’esprit 1900 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 26/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/mucha-esprit-1900

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