Prise de Constantinople par les croisés (12 avril 1204)
Auteur : DELACROIX Eugène
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : 1840
Date représentée : 12 avril 1204
H. : 411 cm
L. : 497 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda
94-060220 / INV. 3821
La Prise de Constantinople par les croisés
Date de publication : Décembre 2019
Auteur : Christophe CORBIER
Louis-Philippe, intronisé « roi des Français » le 9 août 1830 après les Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830), était féru d’histoire comme tout son siècle. En 1833, il conçoit un musée dédié à « toutes les gloires de la France » dans le château de Versailles : une partie des appartements royaux sont transformés afin d’accueillir ce musée de l’Histoire de France, qui évoque les grandes heures de l’histoire nationale.
La salle des Croisades y est inaugurée en mai 1843, six ans après la galerie des Batailles (juin 1837). La peinture d’histoire est mise à contribution pour représenter les épisodes de ces guerres qui se sont déroulées entre le XIe et le XIIIe siècle : batailles, sièges, prise de villes, accords, prédications… Au total, cent vingt-cinq tableaux sont réalisés par de nombreux peintres académiques (Merry-Joseph Blondel, Dominique Papety, François Marius Granet, Henri Delaborde…).
Eugène Delacroix, chef de file des peintres romantiques dans les années 1820, participe lui aussi à ce programme : en 1838, l’administration des Beaux-Arts lui commande un tableau de format presque carré et de vastes dimensions sur le sujet de la prise de Constantinople par les croisés.
Le tableau de Delacroix représente le dénouement d’une expédition militaire qui avait commencé plusieurs années auparavant. Lancée par le pape Innocent III en 1198, la quatrième croisade a été conduite par Boniface de Montferrat et Baudouin de Flandre. Les croisés devaient attaquer l’Égypte, et ils avaient reçu une importante aide financière de la République de Venise. Mais, plutôt que de gagner l’Égypte, les croisés et les Vénitiens se dirigent vers Constantinople, où le pouvoir byzantin est en proie à de graves dissensions.
En 1195, l’empereur Isaac II Ange a été chassé du trône et emprisonné par son frère, qui a pris le nom d’Alexis III. En 1202, le fils d’Isaac II Ange propose aux croisés de leur verser 200 000 marcs en échange de leur aide pour rétablir son père sur le trône. Les chefs des croisés acceptent la proposition. Ils lancent leurs troupes à l’assaut de Constantinople le 17 juillet 1203 et font fuir l’empereur Alexis III. Isaac II Ange retrouve son trône, le pouvoir étant partagé avec son fils, Alexis IV Ange. Mais la population de Constantinople, excédée par l’alliance de l’empereur avec les croisés, se révolte. Renversés au début de l’année 1204, Isaac II Ange et son fils sont remplacés par un nouvel empereur, Alexis V Murzuphle, qui manifeste son hostilité envers les Latins. Le 9 avril 1204, les croisés attaquent Constantinople et le 12 avril, ils s’emparent de la ville, qu’ils mettent à sac. Le 16 mai 1204, Baudouin de Flandre est élu empereur et partage l’Empire entre les Francs et les Vénitiens.
Ces événements ont été brièvement résumés dans le livret du Salon de 1841 : « Baudouin, comte de Flandre, commandait les Français qui avaient donné l’assaut du côté de la terre, et le vieux doge Dandolo, à la tête des Vénitiens, et sur ses vaisseaux, avait attaqué le port ; les principaux chefs parcourent les divers quartiers de la ville, et les familles éplorées viennent sur leur passage invoquer leur clémence. »
La scène se déroule à la fin de la bataille, sur les hauteurs de Constantinople. À l’arrière-plan, la ville s’étend le long de la Corne d’Or. La ligne d’horizon placée très haut, l’imposante architecture avec ses colonnes à l’antique, la fumée des incendies qui obscurcit un ciel orageux, le premier plan occupé par des cavaliers hostiles, les visages des croisés plongés dans une pénombre inquiétante, tout suggère la violence des « Français ». Baudouin de Flandre, monté sur un cheval encore excité par la bataille et foulant au pied casques et enseignes, domine un vieillard qui implore sa clémence : revêtu d’une pourpre dérisoire, soutenu par une jeune femme, il est placé en pleine lumière, dans un contraste saisissant avec les vainqueurs.
Parmi les croisés, on aperçoit derrière Baudouin le Vénitien Enrico Dandolo, la tête couverte d’un casque entouré d’une fourrure d’hermine. Portant les étendards des croisés, aux couleurs rouge et noir sinistres, les chefs latins accompagnent le comte de Flandre. De part et d’autre de cette troupe, les signes de la défaite des Grecs s’étalent partout : soldats agenouillés, femmes abattues de douleur, scènes de pillage à l’arrière-plan. Les couleurs assombries sont à peine éclairées par le dos courbé d’une jeune captive qui tient dans ses bras une femme évanouie. Une autre femme s’est affaissée aux pieds d’un vieillard retenu par un croisé : il s’agit peut-être du patriarche de Constantinople, qui refuse de se soumettre au pape et de rétablir « l’unité » des deux Églises rompue par le schisme de 1054.
La salle des Croisades au château de Versailles a été imaginée dès 1837, après que le sultan ottoman Mahmoud II eut offert à Louis-Philippe la porte des Chevaliers de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem, installé à Rhodes au XIVe siècle. Cette salle répond à une intention politique : manifester le désir de réconciliation des orléanistes avec les légitimistes, dont les familles se plaisaient à cultiver le souvenir des croisades. Mais le tableau de Delacroix se distingue de ce programme politique et historique, et il rappelle davantage une œuvre qui lui avait valu un grand succès en 1824, en pleine guerre d’indépendance grecque, Les Massacres de Scio, dont la composition et le sujet présentent des traits similaires avec la Prise de Constantinople par les croisés.
La Prise de Constantinople par les croisés, qui, par la richesse des décors, rappelle autant Rubens que la peinture orientaliste, se différencie des autres tableaux que les peintres néoclassiques (Papety, Odier, Blondel) ont composés sur un thème similaire pour le musée de Louis-Philippe : prises de Jérusalem, d’Edesse, d’Antioche, de Tripoli, etc. Aux croisés illuminés par le soleil, croix bien visibles sur les étendards éclatants, aux scènes univoques montrant le triomphe des armes et de la force, Delacroix préfère une atmosphère tumultueuse, des personnages ambivalents, un climat sombre, où l’on ne voit aucune croix, ni grecque ni latine. Obscurcissant la gloire de Baudoin, conquérant d’un Empire longtemps convoité par la cupidité des Occidentaux, il attire l’attention sur la détresse des Grecs : vision tragique d’une croisade où des Français et des Vénitiens pillent héroïquement l’une des cités les plus célèbres de l’Orient.
ALLARD Sébastien (dir.), Delacroix (1798-1863) : de l’idée à l’expression, cat. exp. (Madrid, 2011-2012 ; Barcelone, 2012), Madrid, Ediciones El Viso, 2011.
ALLARD Sébastien, FABRE Côme (dir.), Delacroix : l’album de l’exposition, cat. exp. (Paris, 2018 ; New York, 2018-2019), Paris, Hazan / Louvre Éditions, 2018.
BALARD Michel, Croisades et Orient latin (XIe-XIVe siècle), Malakoff, Armand Colin, coll. « U : histoire », 2017 (3e éd. mise à jour).
BUTOR Michel, Dialogue avec Eugène Delacroix sur l’entrée des croisés à Constantinople, Besançon, Virgile, coll. « Carnet d’ateliers », 2008.
FLORI Jean, Les croisades : origines, réalisations, institutions, déviations, Paris, Jean-Paul Gisserot, coll. « Gisserot : histoire », 2001.
HEERS Jacques, Chute et mort de Constantinople (1204-1453), Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2007.
Christophe CORBIER, « La Prise de Constantinople par les croisés », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/prise-constantinople-croises
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Napoléon, idole du peuple sous Louis-Philippe
« Toujours lui ! Lui partout ! », s’exclamait Victor Hugo dans Les Orientales (1829), à quoi Auguste Barbier répondait dans « L’idole » (Les…
Le Retour des cendres de Napoléon
Le rapatriement du corps de Napoléon en France était discuté depuis le début de la monarchie de Juillet. Les bonapartistes s’employaient à…
Inauguration de la statue équestre d'Henri IV sur le Pont-Neuf, 25 août 1818
La légende dorée d’Henri IV avait, dans les arts plastiques, connu un vigoureux regain au XVIIIe siècle, en particulier…
Une soirée au Louvre chez le comte de Nieuwerkerke
Personnalité éminente sous le Second Empire, le comte Émilien O’Hara de Nieuwerkerke (1811-1892) a une origine doublement royale et doublement…
Les Parisiens envahissent le Palais des Tuileries, 24 février 1848
Dès le 30 décembre, Guizot, premier ministre de Louis-Philippe, interdit le banquet de la garde nationale du XII…
Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix
En 1832, Eugène Delacroix fait un unique voyage au Maroc et en Algérie. Il y accompagne le comte de Mornay, envoyé spécial de Louis-Philippe…
Le mariage du duc d'Orléans
Après l’attentat de Fieschi qui a failli coûter la vie à Louis-Philippe, le mariage du prince royal est devenu une priorité : Thiers affirmait que…
Mariage de Léopold Ier, roi des Belges, et de Louise d'Orléans
Ami personnel de Louis-Philippe, Léopold de Saxe-Cobourg n’obtint pourtant pas la main de Louise d’Orléans, fille du roi, lorsqu’il fit sa…
Louis-Philippe inaugure la galerie des Batailles
Après le mariage du prince royal, le duc d’Orléans, Louis-Philippe inaugure solennellement le musée de Versailles en 1837. Dès 1833, influencé par…
Louis-Philippe vu par Daumier
Au début de l’année 1834, au moment où paraît cette planche, la monarchie de Juillet, régime né de l’insurrection populaire des « Trois Glorieuses…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel