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L’intérieur du gymnase Japy

L’intérieur du gymnase Japy

Un policier français surveille les détenus au camp de Beaune-la-Rolande

Un policier français surveille les détenus au camp de Beaune-la-Rolande

L’intérieur du gymnase Japy

L’intérieur du gymnase Japy

Auteur : CRONER Harry

Lieu de conservation : Mémorial de la Shoah (Paris)
site web

Date de création : 1941

Date représentée : 14 mai 1941

Photographie

Domaine : Photographies

© Mémorial de la Shoah

  • L’intérieur du gymnase Japy

La "Rafle du billet vert" 2/2

Date de publication : Février 2022

Auteur : Alexandre SUMPF

Un ballon d’essai

Mi-mai 1941, l’axe entre Paris et le Loiret s’anime à nouveau, comme 11 mois plus tôt. Cependant, au lieu de l’exode dans la panique due au mitraillage de l’aviation ennemie, le sud du Bassin parisien est le théâtre d’une concentration soigneusement planifiée et coordonnée entre l’occupant et les forces de police françaises. Que ce soit au gymnase Japy le 14 mai, ou au camp de Beaune-la-Rolande le 16 ou le 17 mai, des milliers d’hommes subissent une mesure de rétention administrative sans aucun débordement de violence ou de protestation. Cette opération a été qualifiée ultérieurement de rafle car elle ressemble en partie à la vague d’arrestations simultanées des 16 et 17 juillet 1942, connue sous le nom de rafle du Vel d’Hiv. En 1941, le billet vert de convocation envoyé par la préfecture concerne 6494 hommes, tous Juifs, tous étrangers. Les forces de l’ordre réquisitionnent déjà une enceinte sportive et des bus de la compagnie de transports parisiens, et transfèrent les 3700 individus ayant répondu à la convocation vers trois camps du Loiret. Alors que très peu d’images de l’opération « Vent printanier » de 1942 nous sont parvenues, on doit à un photographe d’une compagnie de propagande nazie, Harry Croner (1903-1992), une série d’une centaine de clichés de grande qualité. Rentré à Berlin, il est licencié pour avoir caché que l’un de ses grands-parents était juif. Après-guerre, il reprend son activité de photographe dans l’évènementiel mondain et tente sans doute d’oublier son expérience de guerre singulière. Ses planches-contacts ont été redécouvertes par hasard en France en 2020.

Surveiller et punir

Parmi la centaine de clichés qui nous sont parvenus, beaucoup captent l’effervescence autour du gymnase Japy, construit en 1870 dans le XIe arrondissement de Paris pour servir de marché couvert. Transformé en salle omnisports en 1884, le gymnase servait aussi souvent de salle de meeting politique. On distingue nettement sa structure audacieuse avec sa très large travée centrale (20x40 métres), son toit perché à 8 mètres de hauteur et ses tribunes soutenues par une rangée de piliers métalliques. La scène indique un mélange d’improvisation et de maîtrise du processus. La partie la plus vaste conserve un mobilier de gymnastique, des éléments laissés sur place et des décorations festives, mais les affichettes directionnelles, la présence de cinq policiers et le cantonnement des internés dans la tribune témoignent de la réattribution fonctionnelle du gymnase. Comme les clichés des hommes signant les registres de présence tenus par les gardiens, ce plan large atteste du succès de l’opération avec la masse indistincte des indésirables maintenus en respect par la police française, sans la cohue qui règne à l’extérieur.

Une même sensation d’ordre se dégage de la photographie prise à Beaune-la-Rolande le 16 ou le 17 mai 1941. Croner a encore une fois choisi le plan large, mais aussi une composition audacieuse jouant du clair-obscur et du hors-champ. La large place accordée au ciel limpide de ce mois de mai donne au premier abord l’impression d’une ouverture, que ne contredit pas vraiment la pauvre rangée de grillages qui encercle la surface herbue au centre. Les baraques, uniformes, en bon état, dotées de l’électricité, font penser à des logements provisoires plus qu’à un camp de concentration. On distingue des hommes vêtus en civils s’activant, notamment au déchargement de caisses apportées par le camion stationné à droite. Cependant, pour obtenir son plan large et son effet visuel, le photographe a choisi de grimper sur la plateforme de l’un des miradors et surtout d’inclure le cadre en bois, la silhouette d’un policier français de dos, et des éléments de clôture barbelée tout en bas à droite. S’il n’a pas recadré son cliché, très construit, c’est bien qu’il cherchait à souligner la dimension carcérale et même punitive de l’installation, et au-delà de tout le système concentrationnaire allemand sur le territoire français.

De l’indice à la preuve

Documentant toutes les étapes de la « rafle du billet vert », y compris le transport, la traversée des villes et le quotidien des camps, ce reportage donne aussi à voir en partie ce qui a pu se passer en juillet 1942. Ordonnée par Dannecker en application de la loi sur le statut des Juifs (4 octobre 1940), la rafle a été planifiée par les autorités occupantes. Ce sont les Allemands qui ont décidé de faire des camps du Loiret – Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Jargeau – des centres de rassemblement avant déportation. Ces ensembles de baraques ont été édifiées en 1939 pour les réfugiés français et pour d’éventuels prisonniers de guerre ennemis ; en 1940, ils ont surtout hébergé les soldats français capturés par les Allemands. Le camp de Pithiviers héberge 1700 hommes, celui de Beaune 2000, jusqu’à la déportation (parfois via le camp de Drancy) le 28 juin 1942 : il faut libérer la place pour les futurs internés du Vel d’Hiv. Répétition générale de cette rafle, l’opération de mai 1941 prouve aux Allemands à quel point la police française est prête à collaborer et démontre l’efficacité du plan. Cependant, la rafle de mai 1941 est l’exception qui confirme une règle bien plus terrible : que ce soit dans les camps pour républicains espagnols, puis pour ressortissants allemands (Argelès, Gurs, les Mille), au Vel d’Hiv ou à Drancy, les conditions de détention sont dantesques, l’hygiène et l’alimentation font défaut.

C’est d’ailleurs ce procès qu’instruit aussi le film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard. Réalisé en 1956 et immédiatement censuré par le pouvoir gaulliste car il contredisait douloureusement l’image d’une France résistante, le film réutilise le cliché de Beaune (en l’attribuant à tort à Pithiviers). À la demande du Ministère de la Guerre, la photographie est retouchée de façon à placer le képi français dans l’ombre. Les copies altérées du film truqué malgré la protestation du scénariste Jean Cayrol en 1956 dans Le Monde, a continué de circuler jusqu’à la fin des années 1990. Cette trace devenue iconique reprend aujourd’hui son sens au sein de la série dont elle avait été extraite pour ses qualités esthétiques et sa force symbolique. D’indice résiduel, elle devient la preuve visuelle d’une politique française délibérée attestée par la documentation écrite : loi de dénaturalisation du 22 juillet 1940, statut des Juifs du 3 octobre 1940 et loi sur l’internement des Juifs étrangers du 4 octobre 1940. Mais plus encore, comme le film réalisé par Kurt Gerron dans le ghetto de Terezin en 1944 devant prouver le caractère humanitaire de ce camp (Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet), il s’agit d’un document de propagande. Il prouve l’efficacité avec laquelle le nouvel ordre nazi s’impose dans les ruines de la démocratie occidentale en retournant contre elle les armes forgées pour sa défense.

Laurent Joly, Vichy dans la « Solution finale ». Histoire du Commissariat général aux questions juives (1941-1944), Paris, Grasset, 2006.

Denis Peschanski, La France des camps – L’internement (1938-1946), Paris, Gallimard, 2002.

La Rafle du billet vert, 14 mai 1941, et l'ouverture des camps d’internement du Loiret, Paris, Union des déportés d’Auschwitz, Association des professeurs d’histoire et de géographie et Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah-Amicale d'Auschwitz, Petit cahier no 17, 2012.

Alexandre SUMPF, « La "Rafle du billet vert" 2/2 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/rafle-billet-vert-22

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