Rosa Luxemburg
Cortège funéraire de Rosa Luxemburg
Rosa Luxemburg
Auteur : HOFFMANN Herbert
Lieu de conservation : Bildarchiv Preussischer Kulturbesitz (BPK, Berlin)
site web
Date de création : Août 1907
Date représentée : Août 1907
Domaine : Photographies
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK
14-546903
Rosa Luxemburg, la pasionaria allemande
Date de publication : Janvier 2022
Auteur : Alexandre SUMPF
Une révolutionnaire née
À peine douze années séparent le cliché montrant la socialiste allemande d’origine polonaise Rosa Luxemburg (1871-1919) haranguant la foule de celle de l’important cortège accompagnant sa dépouille vers sa dernière demeure. Active en politique depuis 1890, arrivée dans le Reich de Guillaume II une décennie plus tard, Luxemburg conquiert vite une place à part. L’attribution du cliché de 1907 à un certain Herbert Hoffmann ne révèle aucune information. En revanche, il n’y a pas eu de congrès du parti à Stuttgart en 1907 – le jour du parti s’est tenu à Essen, la ville des Krupp (1) – mais un congrès de l’Internationale socialiste (2). Luxemburg s’y est fait un nom en faisant adopter un texte coécrit avec Lénine considérant que la guerre est un moyen pour accélérer la fin de la domination de la classe capitaliste. Après l’échec de l’insurrection spartakiste (3) du 6 janvier 1919, Luxemburg est assassinée en compagnie de son camarade Karl Liebknecht (1871-1919) par des miliciens le 15 janvier 1919. Son corps jeté dans un canal de Berlin n’a été retrouvé que le 31 mai, deux semaines avant les funérailles solennelles photographiée par un anonyme. Avec les deux leaders spartakistes, l’Allemagne a perdu de brillants révolutionnaires internationalistes et pacifistes.
Vie et mort d’une révolutionnaire
En plein mois d’août 1907, Rosa Luxemburg a pris la parole sur la quatrième des six estrades en plein air permettant aux délégués du congrès de s’adresser à leurs camarades. La composition centrée sur l’oratrice laisse pointer des drapeaux ornés que l’on devine rouges : ils sont aux armes des différents syndicats de Stuttgart. Dans le quart inférieur de l’image, le photographe a saisi une quarantaine de spectateurs debout dont on ne distingue que les chapeaux melon, feutre ou canotier : ce sont tous des hommes, et aucun n’arbore la casquette ouvrière. Au centre, l’estrade est décorée des portraits de Ferdinand Lassalle (1814-1865), le fondateur de l’Association générale des travailleurs allemands (1863), et de Karl Marx (1818-1883), le fondateur de la première Association internationale des Travailleurs (1864). Sur les planches se tiennent une petite dizaine de personnes, dont deux femmes seulement. En blanc, contrastant avec la foule des costumes sombres, coiffée d’un chapeau et équipée de gants, Rosa Luxemburg s’adresse énergiquement à son auditoire qui l’écoute attentivement, certains prenant même des notes.
Le 13 juin 1919 se déroulent les secondes funérailles de Luxemburg. Faute de corps, une première cérémonie avait été organisée le 25 janvier avec un cercueil vide. La photographie en plongée prend en enfilade une rue du centre de Berlin, la capitale impériale. La profondeur de champ et la distance accentuent l’effet de masse donné par la saturation de l’espace public. En regardant de plus près, on se rend compte que quatre groupes cohabitent. Au centre, la colonne des militants, repérables aux pancartes énonçant leur provenance, porte les amples couronnes de fleurs en l’honneur de la disparue. À gauche au contact immédiat et à droite un peu en retrait se massent les spectateurs intéressés par le défilé : les sympathisants. Au second plan à gauche, on distingue une assistance éparse de simples curieux qui ne sont pas venus voir, mais résident ou travaillent sur place. Enfin, discrets mais actifs, des policiers encadrent le cortège en veillant à éviter tout débordement.
L’étoile rouge
Le S.P.D. (4) voyait le congrès de 1907 comme l’occasion de démontrer sa puissance d’organisation. Le débat sur l’antimilitarisme oppose la délégation française, notamment Gustave Hervé (1871-1944), et la délégation allemande emmenée par August Bebel (1840-1913). Sur ce sujet capital en temps de « paix armée », ils ne parviennent pas à dépasser le cadre national de leur vision du socialisme et donc à mettre en œuvre un véritable internationalisme. Luxemburg, de longue date hostile au nationalisme, ayant acquis la nationalité allemande par commodité, s’oppose à ses camarades et plaide pour une action armée révolutionnaire, alors que le S.P.D. de Bebel s’oriente vers un réformisme où l’essentiel est la lutte électorale. Au même moment, Luxemburg fait partie avec Clara Zetkin (1857-1933) des fondatrices de la Première conférence internationale des femmes socialistes (17 août 1907) qui revendique l’égalité dans la lutte et le travail, et se positionne à la gauche du S.P.D..
Si Rosa Luxemburg est alors bien moins connue que Bebel, Karl Kautsky (1854-1938) ou que le père de Karl, Wilhelm Liebknecht (1826-1900), elle accède à la notoriété par sa tentative de soulèvement armé et surtout sa mort tragique. Les révolutions ont besoin de martyrs qui engagent des émotions puissantes et resserrent les rangs. Pourtant, il y avait bien peu de militants à ses côtés en janvier dans les rues de Berlin, bien moins qu’en 1907 à Stuttgart ou que le 13 juin dans son cortège funéraire. Rosa Luxemburg, jeune femme s’étant émancipée en quittant l’empire russe pour étudier, puis militer, a mis en pratique sa conception de la liberté : penser différemment. Elle insistait toujours dans ses prises de position pour la démocratie, le pouvoir des masses et l’internationalisme. Son assassinat symbolise à lui seul l’échec de la révolution démocratique et sociale en laquelle les Allemands les plus radicalisés par la Grande Guerre ont cru ; la violence sauvage dont elle a été victime annonce la guerre civile à venir.
Rosa Luxemburg - Vidéo de la JRCF - Jeunes pour la Renaissance Communiste
Éric Anceau et alii (dir.), Histoire des Internationales, Paris, Nouveau Monde, 2018.
Gilbert Badia, Les Spartakistes, 1918 : l'Allemagne en révolution, Bruxelles, Aden, 2008.
Michael Löwy, Rosa Luxemburg, l'étincelle incendiaire, Le Temps des cerises, 2018.
Titre : Pasionaria : femme qui se dévoue à une cause, souvent politique et dont l'éloquence agit sur les foules.
1- Famille Krupp : famille d'Essen qui développa une fonderie qui deveint une des plus puissantes acieries européennes.
2 - Internationale socialiste : le congrès de l'International socialiste de Stuttgart est une des réuinions de la IIe Internationale socialiste. La IIe Internationale socialiste est crée en 1889 et fait suite à la Iere Internationale socialiste dissoute en 1872. Refondée à l'initiative du S.P.D. allemand, elle réunis les socialistes de 23 pays, les dissenssions se font jour lors de la première guerre mondiale et est dissoute en 1923.
3 - La Révolution spartakiste : le mouvement spartakiste naît en Allemagne eu début de la première guerre mondiale, lorsque le S.P.D. vote les crédits de guerre. En 1916, un bulletin de ce mouvement paraît sous le nom des lettres de Spartakus. En 1918, la République de Weimar est proclamée, les spartakistes lancent une insurrection en janvier 1919 à Berlin. Dans la nuit du 10 au 11 janvier, les sociaux-démocrtates arrêtent les insurgés. Le 15 janvier, les deux dirigeants spartakistes Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont arrêtes et aussitôt assassinés.
4 - S.P.D. : Parti social-démocrate d’Allemagne fondé en 1875 à Gotha : c'est la fusion de l'Association générale allemande des travailleurs de Ferdinand Lassalle et du parti ouvrier social-démocrate d'August Bebel et Wilhelm Liebknecht.
Alexandre SUMPF, « Rosa Luxemburg, la pasionaria allemande », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 31/10/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rosa-luxemburg-pasionaria-allemande
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