Cheminots, syndiquez-vous
Public, apprends que chaque semaine les accidents de travail tuent trois des nôtres et en blessent quinze
Dans les chemins de fer
Cheminots, syndiquez-vous
Auteur : GRANDJOUAN Jules
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 54 cm
L. : 75 cm
Domaine : Affiches
© ADAGP © CC0 Collections La contemporaine, Nanterre
AFF14950 (1)
Les syndicats de cheminots : la grève de 1910
Date de publication : Février 2011
Auteur : Alexandre SUMPF
Un syndicalisme révolutionnaire
Depuis la création de la Confédération générale du travail en 1895, le syndicalisme révolutionnaire se renforce en France : les grèves de secteur se multiplient, la répression étatique se fait également de plus en plus sévère, y compris quand d’anciens radicaux (Georges Clemenceau) ou des socialistes (Alexandre Millerand) accèdent aux responsabilités. Lors du congrès d’Amiens, en 1906, les syndicalistes décident donc de conserver leur autonomie par rapport au tout nouveau parti socialiste (S.F.I.O.), fondé en 1905, et de mener la lutte par leurs propres moyens, parmi lesquels la grève générale. Témoin de cette radicalisation, la Fédération des mécaniciens et chauffeurs, réformiste, se rapproche des positions du Syndicat national des cheminots. À l’automne 1910, les deux syndicats exigent du gouvernement l’instauration d’un salaire minimum journalier de cinq francs et lancent la « grève de la thune » (le mot « thune » désigne une pièce de cinq francs).
Jules Grandjouan (1875-1968), déjà fameux pour ses caricatures radicales et anticléricales publiées dans L’Assiette au beurre, proche des milieux libertaires et futur membre du parti communiste, soutient vigoureusement le mouvement et produit non moins de trois affiches.
Contre l’exploitation des cheminots : les gros et les maigres
Ces trois affiches opposent constamment les profiteurs et dirigeants, gros et gras, aux travailleurs exténués risquant leur vie pour un salaire de misère. Dans « Cheminots, syndiquez-vous », que Grandjouan a réalisée pour le Syndicat national des chemins de fer, la gare de la Sainte-Touche sépare nettement le monde en deux : de rares individus en sortent, à gauche, baudruches jaunes gonflées d’or sous le haut-de-forme du capitaliste. Par l’autre porte de cette gare de triage des salaires s’écoule un flot compact de cheminots visiblement usés par le travail. Pauvrement vêtus, ils avancent d’un pas lourd vers la misère à laquelle les nantis les condamnent et qu’incarne la famille du premier plan à droite. Invitant à la lutte contre un système injuste, l’affiche comporte aussi un texte qui oppose en chiasme « risquer » et « avoir ».
« Public… », tout en couleurs cette fois, s’adresse aux usagers du chemin de fer. La composition privilégie le dessin au centre, où s’accumule l’information visuelle, et inscrit le message dans les bandeaux supérieur et inférieur où il se détache en lettres capitales rouges. Le thème des accidents du travail, chiffrés par le texte, est illustré par le groupe de cheminots qui évacuent un de leurs camarades sur une civière. L’écrasante masse noire de la locomotive renforce le ton funèbre de la scène. À gauche, deux élégants bourgeois avec haut-de-forme et habits clairs sourient d’un air entendu et finaud. Ils sont désignés du doigt par l’ouvrier placé exactement au centre de la composition, et par les regards de plusieurs personnages de ce côté de l’image.
« Dans les chemins de fer » reprend des éléments des deux autres affiches : la litanie des métiers et des salaires de la première, la locomotive et les bourgeois de la deuxième. La hiérarchie apparaît de façon allégorique dans l’espace de la représentation puisque les dirigeants des réseaux se trouvent au-dessus de leurs employés, restés sur un quai de gare : les uns, assis, se reposent et engraissent ; les autres sont debout et travaillent. Mais la pensée révolutionnaire du dessinateur s’exprime aussi dans l’attitude des cheminots, qui semblent prêts à prendre le train d’assaut, et dans un texte qui joue sur le mot « rouler ». Sur le drapeau rouge du chef de gare sont inscrites les initiales du syndicat (S.N.T.C.F., pour Syndicat national des travailleurs des chemins de fer). Dans le cadre rouge en bas à droite figure un appel à une réunion à la Bourse du travail.
Mobilisation et communication syndicale
La société industrielle, capitaliste, est présentée par Grandjouan sous un double visage : modernité des métiers et hiérarchie des salaires, dignité du producteur et indécence du profiteur. L’image du banquier bedonnant de Daumier ou des gros chez le Zola du Ventre de Paris sert ici la cause de la lutte de classes : la direction des réseaux accapare les richesses qu’elle ne produit pas, dévore le travail et engraisse, domine de façon illégitime le peuple.
La grève des cheminots de 1910, orchestrée par le Syndicat national des chemins de fer et mise en images par Grandjouan, entend mobiliser la solidarité des travailleurs, mais en appelle aussi au « public », c’est-à-dire à l’opinion que l’on cherche à sensibiliser et même à émouvoir. Cependant, en dépit de son ampleur et de sa durée, la grève échoue et débouche sur une très importante répression (38 000 révocations). Il faut attendre un an pour que, dans une atmosphère moins tendue, mais lourde du souvenir de 1910, des réformes soient conduites, en particulier sur le réseau d’État. Le salaire journalier de cinq francs y est accordé, un statut réglemente désormais les carrières, depuis le recrutement et l’avancement jusqu’aux congés et aux assurances maladie et accident. La campagne d’opinion des anarcho-syndicalistes, portée par le talent de caricaturiste de Grandjouan, a contribué en partie à cette évolution.
Christian CHEVANDIER, Cheminots en grève ou la Construction d’une identité, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002.Pierre VINCENT et André NATRRITSENS, « La grève des cheminots d’octobre 1910 », in Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut C.G.T., n° 115, septembre 2010, p. 6-11.Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan.Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.
Alexandre SUMPF, « Les syndicats de cheminots : la grève de 1910 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/syndicats-cheminots-greve-1910
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