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We Can Do It !

We Can Do It !

Date de création : 1943

Affiche.

Traduction : "Nous pouvons le faire"

Domaine : Affiches

Domaine Public © CC0 Library of Congress

Lien vers l'image

  • We Can Do It !

Une icône féministe

Date de publication : Novembre 2021

Auteur : Alexandre SUMPF

Les femmes dans l’effort de guerre américain

Quand John Howard Miller livre en février 1943 l’affiche commandée par l’entreprise Westinghouse Electrics, les États-Unis sont entrés en guerre depuis plus d’un an et ont commencé à produire pour la guerre depuis la signature du Prêt-Bail (1) en avril 1941. À Pittsburgh (Pennsylvanie), où vit et travaille l’artiste, la compagnie travaille au perfectionnement de ses radars et des instruments de visée des chars d’assaut ; ailleurs, elle fabrique les turbines pour les vaisseaux de guerre et participe aussi à l’aventure du nucléaire. La mobilisation de plus de 16 millions d’hommes (et 325 000 femmes) ainsi que les besoins immenses de l’industrie de guerre font passer le nombre de femmes travaillant en usine de 25 à 29 % de la main-d’œuvre, soit 6,5 millions d’ouvrières en 1943. Si elles contribuent largement à l’effort de guerre, la propagande de guerre en fait le symbole de l’engagement de la société entière.

John Howard Miller (1918-2004) est un artiste dont l’œuvre et la vie restent méconnus, et seraient demeurés dans l’ombre sans la transformation récente de l’une de ses affiches en symbole de la seconde guerre mondiale aux États-Unis. Il est natif de Pittsburgh, où Westinghouse Electrics possède un fameux laboratoire de recherche et qui est considérée comme la capitale de l’acier, avec son paysage de fonderies. Embauché par le comité d’entreprise dépendant du Comité fédéral pour la production de guerre, il réalise entre 1942 et 1944 une quarantaine d’affiches destinées aux usines situées dans l’État de Pennsylvanie et dans le Midwest.

L’Amérique montre ses muscles

We Can Do It! démontre la maîtrise parfaite des codes publicitaires – plus que propagandistes – par Miller.

Sur l’affiche, de format vertical, le dessinateur a juxtaposé deux plans pour mieux faire ressortir la figure féminine sur le fond jaune et bleu. L’effet visuel donne l’impression que l’image sort de son cadre, et que la jeune femme se tient devant un mur. Le jaune sert à faire ressortir l’affiche de loin, tandis que le bleu est la couleur récemment adoptée pour le logo de l’entreprise ; c’est pourquoi il est utilisé en bas pour mentionner le Comité de la production de guerre et pour la signature de l’artiste. En haut, il sert à la fois de cadre et de phylactère, comme dans les comics d’époque, pour afficher en capitales le slogan censé motiver les employés de l’usine. Avec le rouge du foulard et les points blancs habilement transférés sur ce fond, Miller propose une référence discrète au drapeau national tricolore et étoilé.

La jeune femme qui a été choisie comme sujet central n’est pas, comme souvent à l’époque, une figure sensuelle ou sexualisée. Son buste est présenté de profil, mais son bras droit cache adroitement sa poitrine, attribut féminin et objet de désir masculin par excellence. La chemise aux couleurs de l’entreprise fait ressortir les bras nus et la tête qui regarde le spectateur de face. La nudité ne relève pas de l’érotisme, une nouvelle fois déjoué, mais de l’exposition de la force, comme le suggère le geste. En retroussant ses manches, l’ouvrière signale à la fois son intention de se mettre au travail avec courage et la certitude que lui confère sa force, connotée aussi par son poing fermé. Dans ce cadre très masculin, la féminité évidente du visage peut surprendre : mascara, sourcils épilés, rouge à lèvres voyant, ongles manucurés et cheveux permanentés formant une boucle d’amour sous le foulard sont à l’opposé des canons de l’iconographie ouvrière. Cependant, la jeune femme ne sourit pas et regarde fixement son interlocuteur en signe de défi et de conviction.

Une icône féministe ?

Contrairement à l’opinion reçue, cette image n’a pas été largement diffusée à l’époque aux États-Unis : elle était réservée à l’usage interne des usines de Westinghouse et servait avant tout à motiver les employées, comme d’autres réalisations de Miller ou de collègues à cette période.

A-t-elle inspiré Norman Rockwell pour sa fameuse couverture du Saturday Evening Post du 29 mai 1942, ou était-ce l’esprit du temps ? Toujours est-il que le fameux illustrateur a choisi une riveteuse et l’a nommée Rosie, en s’inspirant de la chanson populaire homonyme de 1942. De là est née sans doute la confusion ultérieure qui a fait de la jeune femme dessinée par Miller une Rosie, alors qu’elle n’est manifestement pas riveteuse – d’ailleurs, Mary Doyle, le modèle, était téléphoniste. Ce rôle n’était pas moins important pour l’effort de guerre que celui d’ouvrière en usine, mais il était déjà bien connu et ne pouvait frapper les esprits comme celui d’une travailleuse manuelle. La musculature apparente fait écho autant aux tableaux de la Renaissance gorgés de références aux traités d’anatomie qu’à une affiche patriotique de 1942 appelant patrons, cadres et ouvriers de General Motors à travailler ensemble. Chez Miller, la valeur, la fierté et même la beauté du travail, souvent associées à la masculinité, deviennent aussi l’apanage d’un certain épanouissement féminin.

L’affiche créée par Miller adopte une position intermédiaire entre l’ouvriérisme légèrement érotique de Rockwell et la représentation classique de la mère de famille. Il aurait trouvé son inspiration dans l’un des nombreux articles de journaux célébrant l’engagement des femmes dans l’effort de guerre – en l’occurrence, une photographie de Naomi Parker, la montrant travailler à la chaîne sur la base aéronavale d’Alameda (Californie). L’incertitude même de cette attribution témoigne, d’une part, de la grande diversité des fonctions occupées par les femmes pendant le conflit et, d’autre part, de l’impossibilité pour une simple inconnue de s’élever au rang de star – comme les actrices faisant des tournées auprès des GI’s, ou même des comics comme Betty Boop.

L’ouvrière de Miller a été oubliée pendant des décennies, jusqu’à ce que des expositions rétrospectives sur les affiches de guerre la fassent redécouvrir, puis que l’US Postal Service la prenne pour modèle d’un timbre de 1999. L’image de Miller est revendiquée depuis une quinzaine d’années comme icône féministe. Ce mythe contemporain, qui reflète les préoccupations de notre époque, néglige le fait que dans l’esprit des décideurs, des patrons et même des ouvriers, ces femmes devaient retourner au foyer et y attendre, pimpantes et souriantes, leurs maris rentrant du travail.

KIMBLE James J., OLSON Lester C., Visual Rhetoric Representing Rosie the Riveter: Myth and Misconception in J. Howard Miller’s “We Can Do It!” Poster , Rhetoric & Public Affairs, vol. 9, no 4, 2006, p. 533-569.

MOULEUX Guillaume, La formation de la “meilleure des générations” : propagande et société aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, thèse de doctorat sous la direction de MEIGS Mark, Paris, université Sorbonne Paris Cité, 2018.

ROMANOVA Tatiana, L’image des femmes états-uniennes dans les affiches de propagande pendant la Seconde Guerre mondiale, Communications, Lettres et Sciences du langage, vol. 9, no 1,‎ 2015, p. 20-36.

1 - Prêt-bail pendant la seconde guerre mondiale,  afin de subvenir aux besoins en matériel militaire de la Grande-Bretagne, le président Roosevelt fait voter la loi du Prêt-Bail (Lend Lease Act), le 11 mars 1941 par le Congrès malgré la réticence des Américains à s'engager dans la guerre. Elle permet au président des États-Unis de fournir le matériel de guerre aux Britanniques puis à l'Union soviétique et même à la Chine sans considération financière. Au total, le prêt-bail a coûté 50 milliards de dollars, dont 8 milliards seulement ont été remboursé. En 1945, le prêt-bail cesse et est remplacé par le Plan Marshall.

Alexandre SUMPF, « Une icône féministe », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/icone-feministe

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