L’intervention des Américains
Les États-Unis, qui avaient d’abord résolu de rester neutres, en 1914, sont entrés en guerre, le 6 avril 1917, aux côtés de l’Entente – France, Royaume-Uni, Russie – et de ses alliés – Belgique, Serbie, Japon, puis Italie, Roumanie, Portugal, Grèce et Chine. La « guerre sous-marine à outrance » décidée par les Allemands qui torpillent les navires commerciaux neutres et leurs intrigues au Mexique ont précipité les Américains dans l’autre camp. Au printemps 1918, les Allemands dégagés du front de l’Est car les Russes se sont retirés du combat à la suite de la révolution d’Octobre (armistice en décembre 1917 et traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918) peuvent reprendre leurs attaques à l’ouest.
Mais, à partir de mars 1918[1] principalement, les États-Unis envoient en Europe une armée qui, au moment de l’armistice, dépassera deux millions d’hommes. Sans cette intervention extra-européenne décidée en 1917, l’Entente était surpassée en effectifs et financièrement ruinée. En juin et juillet 1918, la 2e division américaine contribue efficacement à interdire la progression des Allemands vers Paris.
Une fraternité d’armes pour le combat de la Liberté
Cette lithographie de 71 cm sur 54 cm met en scène les quatre principaux alliés de la fin du premier conflit mondial[2]. Tel un génie tutélaire, la statue de la Liberté, offerte par la France pour le centenaire de l’indépendance américaine, domine la composition. Cette Liberté n’a pas les traits féminins de la statue de Bartholdi, mais un visage farouche. Car l’allégorie donne sens à la fraternité d’armes de trois soldats, un français, un anglais et un italien, côte à côte dans une tranchée, et à l’engagement, d’un militaire américain debout, prêt à l’action.
Le bras levé de la statue est coupé par le cadrage, mais la scène de la tranchée, au premier plan, resplendit pourtant en pleine lumière, comme éclairée par son flambeau invisible. Le dessin vigoureux de Lucien Jonas[3], peintre militaire pendant la guerre de 14-18, figure ici les combattants accrochés à la défense du territoire et brosse différemment, comme une immense apparition émergeant des ténèbres, l’allégorie puissante de la Liberté. La composition et le style distinguent ainsi deux plans, celui de la réalité visible et celui de l’élan épique qui l’anime. Les soldats, tout à leur devoir, scrutent la ligne de front, mais la Liberté regarde le spectateur dans les yeux, faisant appel à sa conscience.
Accroupi au bord de la tranchée, le soldat français, qui porte l’insigne du 127e régiment d’infanterie de Valenciennes, touche de la main le sol sacré de la mère patrie, prêt à bondir. La défense de la terre n’est pas ici une abstraction. Le territoire national est envahi. Des milliers d’hommes se battent quotidiennement pour lui et font corps, vivants ou morts, avec cette terre dans les tranchées. Son fusil posé, le soldat britannique, équipé d’un des premiers modèles de masque à gaz, se dresse courageusement, en compagnon d’armes résolu et sans crainte. Le bersagliero italien occupe une place plus en retrait. Devant eux gît, abandonné, un casque à ergots, utilisé par l’armée allemande à partir de février 1916, signe dérisoire de la proximité de l’ennemi.
Par rapport aux autres belligérants englués dans l’univers des tranchées, le soldat américain coiffé d’un casque se dresse debout, le pied gauche en avant, baïonnette au canon du fusil. Il est cependant l’élément neuf, prêt au mouvement. Aux soldats et aux civils, il apporte l’espérance de la victoire.
La lutte pour la liberté, mystique de guerre
Lucien Jonas a réalisé, en octobre 1917, une autre lithographie intitulée « Hardi les gars, j’arrive »[4], qui présente une composition proche mais non la même conviction. Ici, l’intensité du message réside dans son dépouillement : nos soldats unis combattent sans relâche pour la défense de la liberté ; la situation figée des tranchées peut être renversée par les nouveaux effectifs américains. À l’occasion du 14 juillet 1918, l’artiste montre que le désintéressement héroïque des combattants est animé par la valeur suprême de la Liberté. La statue de Bartholdi, souvent utilisée par les affichistes, symbolise ici à la fois la fraternité des pays issus de révolutions démocratiques et la détermination inébranlable des Alliés née de la justesse de leur cause.
L’artiste témoigne de la conviction exceptionnelle qu’avaient les pays de l’Entente de défendre la liberté. Son dessin éclaire une interrogation profonde : comment la Première Guerre mondiale a-t-elle pu cristalliser un tel phénomène de résistance et de sacrifice de la part de millions de combattants et de civils pendant quatre ans ? Georges Bernanos, ancien combattant lui-même, l’analysera en 1941 (Georges Bernanos, Lettre aux Anglais, 1941) : « Il n’est pas de guerre possible sans une mystique de guerre et c’est le peuple, non la bourgeoisie, qui a donné à la guerre de 1914 sa mystique. C’est finalement contre le nationalisme et le militarisme allemands que se sont élevés nos hommes. » Le peuple de France a cru faire cette guerre, « pour le Droit, la Justice, la paix universelle », pour accomplir « la mission que l’histoire lui aurait confiée, comme tous les combattants l’ont appris sur les bancs de l’école républicaine de Jules Ferry ».