Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre, devant la Convention, est empêché de s’exprimer. L’Assemblée l’accuse de conspirer et le traite de tyran. Il est bientôt décrété d’accusation ainsi que Saint-Just, Couthon, Lebas et Augustin Robespierre, son frère cadet. Arrêtés, ils sont conduits dans une salle du Comité de sûreté générale, puis incarcérés. La Commune de Paris les délivre mais Robespierre refuse de prendre la direction de l’insurrection naissante. La Convention réagit et nomme Barras à la tête d’un commandement militaire qui pénètre sans véritable résistance dans l’Hôtel de Ville. Le futur directeur y trouve Augustin, Saint-Just, Lebas, Couthon et Robespierre, la mâchoire brisée. Arrêtés, emprisonnés, jugés hâtivement, ils sont menés place de la Révolution et guillotinés.
Robespierre gît au centre du tableau sur une table de l’antichambre du Comité de salut public. Ses vêtements et sa mâchoire ensanglantés attestent du coup de pistolet qui, dans la salle du Conseil général de la Commune, quelques heures auparavant, a failli lui coûter la vie, mais dont l’auteur (Robespierre lui-même ? le gendarme Méda ?) reste, encore de nos jours, une énigme. Assis derrière lui, sur la droite du tableau, vêtus de leurs habits de conventionnels, Augustin Robespierre et Saint-Just attendent leur exécution. Anxieux, ils ne semblent toutefois pas s’inquiéter de leur propre sort, scellé tragiquement depuis la veille, mais de l’état de santé et des souffrances de leur frère et ami. Autour de l’Incorruptible divers soldats s’agitent, conversent, à la fois intrigués et fascinés par le personnage étendu non loin d’eux et par la page d’histoire qui est en train de s’écrire sous leurs yeux. Leurs postures, leurs regards, le drap posé sur la table et ne la recouvrant que partiellement, les papiers épars sur le sol, le brancard qui a servi à transporter Robespierre, les soldats dans l’arrière-plan, tout indique l’atmosphère agitée de l’instant, mais aussi le trouble d’une nuit indécise, les décisions prises à la hâte, deux jours de passions et d’imprécations qui contrastent avec l’attitude digne, mais profondément humaine, d’Augustin Robespierre et de Saint-Just. Livide, allongé, meurtri, placé au centre de la composition, tâche claire dans un environnement sombre, Robespierre semble avoir déjà renoncé à la vie et à la frénésie révolutionnaire. Autour de lui ses proches, mais également ceux qui viennent de l'abattre ou qui sont en charge de le surveiller, assistent à ses derniers instants, probablement conscients de l'importance des événements qui viennent de se dérouler.
Inspiré par l’histoire de France, Lucien-Étienne Melingue a composé sous la IIIe République plusieurs scènes ayant trait aux événements révolutionnaires. Exécuté vers 1877, Le Matin du 10 thermidor an II rend compte d’une page centrale de l’histoire de la Révolution française très largement couverte par l’historiographie. Ainsi, on relève en 1876, un ouvrage de C. d’Héricault intitulé La Révolution du 9 Thermidor, largement défavorable à Robespierre. La composition de Melingue est beaucoup plus nuancée. Influencée par les gravures de l’époque, en particulier celles des Tableaux historiques de la Révolution française, elle propose une scène réaliste qui malgré ses accents lyriques et dramatiques évite de tomber dans le pathos. Tous les personnages semblent contempler Robespierre et ceux qui détournent leur regard s'y intéressent toutefois par la parole. Le personnage même moribond continue de fasciner. Enfin, la table de la Déclaration des Droits de l'Homme partiellement visible sur le mur peut être interprétée soit comme un indicateur réaliste, soit comme une flèche en direction des excès de la Terreur, soit, au contraire, comme une dénonciation de l'événement.