Autour du piano.
Auteur : FANTIN-LATOUR Henri
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1885
Date représentée : 1885
H. : 160 cm
L. : 220 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski
95DE6622/RF2173
Wagner et la France
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Georges LIÉBERT
Lorsque Richard Wagner meurt en pleine gloire en 1883, son œuvre rencontrait encore en France une vive hostilité. Dès les années 1850, Wagner avait compté à Paris des adeptes et des sympathisants. Due avant tout à une cabale politico-mondaine, la chute de Tannhäuser n'arrêta pas la contagion, comme le prévoyait Baudelaire. Malgré l'opposition d'une partie de la critique, son œuvre se fût sans doute diffusée rapidement si, au nom du patriotisme, un interdit politique n'avait pesé sur elle après la défaite de 1870. Jusqu'en 1879, son nom ne peut en effet figurer au programme d'un concert sans risque de chahut, voire de violences. Symbolisé cette année-là par l'Exposition universelle, où la France célèbre sa richesse et presque sa revanche, l'apaisement politique favorise l'apostolat des chefs d'orchestre Pasdeloup, Colonne et Lamoureux. Ce dernier surtout, rallie à lui l'avant-garde littéraire et artistique, dont plusieurs représentants – Verlaine, Mallarmé, Fantin-Latour lui-même – vont collaborer à la Revue wagnérienne, qui voit le jour en février 1885 et se fait connaître à la sortie de ses concerts.
Lorsque ce tableau fut présenté au Salon de 1885, où il marqua la consécration de Fantin-Latour, les visiteurs le baptisèrent spontanément “ Les Wagnéristes ”. D'après Adolphe Jullien, ami intime du peintre auquel il l'acheta peu après, cette dénomination était abusive. Elle venait principalement de la ressemblance qu'offrait le personnage assis au centre avec Camille Saint-Saëns, compositeur alors célèbre et connu pour avoir été très tôt un chaud partisan de Wagner (avant d'en devenir, plus tard, un détracteur acharné). Fantin n'avait pas voulu peindre un manifeste artistique, mais une réunion d'amis. Et d'ailleurs, il avait laissé délibérément floue la partition posée sur le piano, qui, d'après Jullien, était un morceau de Brahms.
Au piano Emmanuel Chabrier (1841-1894), compositeur de nombreuses pièces pour piano, d'opérettes et d'opéras : Une éducation manquée (1879), Le Roi malgré lui (1887), Gwendoline (1885) ; de pièces pour orchestre : España (1883), Joyeuse marche (1880), Bourrée fantasque (1891). A sa gauche, Adolphe Jullien (1847-1932), critique musical et musicologue, il est l’auteur de plusieurs études importantes : Richard Wagner, sa vie ses œuvres (1886), Hector Berlioz, sa vie, ses œuvres (1888), tous deux illustrés par Fantin-Latour dont il était un ami intime et auquel il a consacré la meilleure monographie existante, Fantin-Latour (1909).
Dans le fond à gauche il s’agit d’Arthur Boisseau, violoniste à l'Opéra et à la Société des concerts du conservatoire. Paraissant tourner les pages de la partition, Camille Benoît (1851-1923), compositeur, conservateur au musée du Louvre, qui est également traducteur : Souvenirs de Richard Wagner (1884), Faust de Goethe (1891).
Assis au premier plan : Edmond Maître (1839-1898), musicien, amateur d'art, lettré, ami intime de Fantin-Latour qui l'a fait aussi figurer dans Un atelier aux Batignolles.
Debout derrière lui : Antoine Lascoux (mort en 1906), magistrat, grand wagnérien, qui organisait chez lui des soirées musicales connues sous le nom de “ Petit Bayreuth ” et qui appuya efficacement Edouard Dujardin quand celui-ci lança en 1885 la Revue wagnérienne.
A droite, une cigarette à la main on reconnaît Vincent d'Indy (1851-1931), élève de César Franck et compositeur de nombreuses œuvres de musique de chambre et pièces pour orchestre : Wallenstein (1873-1880), Symphonie sur un chant montagnard français (1886) ; d’opéras : Fervaal (1897), L'Etranger (1903). En 1894, il fonda, avec Charles Bordes et Alexandre Guilmant la Schola Cantorum (1894). Enfin, assis à droite se tient Amédée Pigeon, romancier, critique d'art, journaliste au Figaro où il suivait le courrier d'Allemagne ; auteur de L'Allemagne de M. de Bismarck (1885).
En baptisant ce tableau “ Les Wagnéristes ” le public ne s’était pas trompé. Depuis 1877, Fantin exposait au Salon des lithographies inspirées d'œuvres de Wagner ; et les amis réunis autour du piano avaient, comme lui, une vive admiration pour le maître de Bayreuth. En 1876, Fantin, Benoît, d'Indy et Lascoux faisaient partie de la cinquantaine de Français qui assistèrent au premier festival de Bayreuth. Tous se retrouvaient régulièrement aux séances musicales organisées par le peintre ou par Antoine Lascoux, chez qui ils découvraient des pages de Wagner transcrites pour piano ou petit orchestre, faute de pouvoir les entendre à l'Opéra et même au concert.
Car l'Opéra de Paris reste fermé à Wagner ; et en 1887, alors qu'un incident de frontière détériore les relations franco-allemandes, Lamoureux, sous la pression de la rue, doit interrompre les représentations de Lohengrin qu'il a monté à l'Eden Théâtre. L'antiwagnérisme devient un des chevaux de bataille du boulangisme. En 1891 encore, une grande manifestation, se terminant par mille arrestations, salue la première de l'œuvre au palais Garnier. Mais le spectacle continue, et les autres drames du compositeur vont entrer à l'Opéra. Wagner triomphe, définitivement. “ En Allemagne, Wagner n'est qu'un malentendu, écrivait Nietzsche en 1888. Paris, le siège de la culture la plus spirituelle et la plus raffinée d'Europe, est le vrai terrain qui lui convient. ” Du reste, Wagner lui-même estimait que nul mieux que les Français n'avaient compris son œuvre, ajoutant que “ c'était peut-être la preuve du caractère profondément humain de son art, dans lequel des étrangers et des Allemands peu clairvoyants n'avaient voulu voir qu'une tendance étroitement nationale ”.
Martine KAHANE et Nicole WILD Wagner et la France Paris, Herscher, 1983.
Georges LIÉBERT, « Wagner et la France », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/wagner-france
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