Le Courage guerrier
Invasions barbares
Brennus et sa part de butin
Le Courage guerrier
Auteur : GERARD, Baron François
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
H. : 265,5 cm
L. : 147,5 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot / Christian Jean
MV 9088 - 06-522172
Regards sur les guerriers gaulois
Date de publication : Janvier 2010
Auteur : Alexandre SUMPF
À l’origine étaient les Gaulois
Jusque dans les années 1820, l’histoire de France se fonde sur celle des princes dont les historiens dressent les portraits « psychologiques » (Clovis, Childéric). Cette tradition est rejetée par la génération de 1830 (François Guizot, Amédée Thierry), qui initie la vision de l’histoire nationale comme définition d’une identité commune. En dépit des connaissances encore minces sur les Gaulois, ils élargissent la quête de l’origine du peuple français à travers tout le siècle, depuis la première Histoire des Gaulois d’Amédée Thierry (1828) à l’Histoire de la Gaule de Camille Jullian (1926). Pour se familiariser et s’approprier les Gaulois, les Français se fondent successivement sur la conception romantique du « peuple », sur la conscience croissante d’un patrimoine national née avec la notion de monuments historiques, puis sur l’élaboration d’une vulgate historique qui sert la cause de l’unité et de l’indivisibilité de la France républicaine. Les œuvres choisies correspondent à autant de moments de cette construction identitaire.
Combattant farouche ou barbare sans pitié ?
Pour illustrer le thème de sa toile Le Courage guerrier, François Pascal Simon Gérard (1770-1837) aurait pu choisir maints exemples dans l’histoire nationale. Il choisit comme allégorie un Gaulois, c’est-à-dire ni un stratège ni un vainqueur, à peine un héros. En écho à ceux qui tentèrent de forcer le double encerclement des armées romaines à Alésia, sa composition aux teintes nocturnes est centrée sur un guerrier isolé qui, cheveux roux au vent, présente sa poitrine nue et blanche à plusieurs ennemis retranchés, invisibles et lourdement armés de lances. Son attitude de défi typiquement romantique inscrit dans la toile une verticale dynamique sur laquelle semblent se heurter les horizontales tracées par les piques ennemies.
L’aquarelle de Théodore Chassériau (1819-1856), de petit format, met en scène dans un réel entassement la lutte inéquitable entre un guerrier à cheval et des civils livrés au meurtre, au pillage et au viol. Monté sur un cheval cabré pour franchir un mur de cadavres, le Gaulois s’apprête à frapper de sa hache brandie en l’air le dernier homme debout, qui l’affronte à mains nues ; dans l’autre diagonale, une femme tente de retenir la captive qu’il enlève et traîne ligotée à la croupe de sa monture. Ce trophée vivant et dénudé va de pair avec un trophée mort, une tête d’homme séparée de son corps. Les précieux drapés des vêtements des victimes et la tunique immaculée du guerrier tranchent avec l’arrière-plan crépusculaire, où s’exerce aussi l’impitoyable barbarie gauloise.
Comparé aux toiles de Cézanne accrochées aux cimaises voisines lors du Salon de 1893, le tableau de Paul-Joseph Jamin (1853-1903) est un monument de classicisme : une touche très lisse, des contrastes élaborés entre l’or omniprésent, les peaux blanches des personnages féminins et les couleurs des fresques et des vêtements. Exploitant une veine orientaliste, le peintre livre une composition à la fois surchargée de détails précieux et rigoureuse, où le monde extérieur, réduit à un guerrier à l’air gourmand et sûr de lui, contraste avec l’intérieur féminin raffiné où sa présence jette l’effroi. Solidement campé sur le seuil maculé de sang, Brennus apparaît d’autant plus terrifiant que Jamin a poussé à son comble l’érotisme des jeunes Romaines promises au viol et dont deux ont les mains liées. En bas à gauche, à côté du coffre, on remarque deux têtes coupées.
Un lent et sinueux changement de regard
Amédée Thierry a durablement fixé l’apparence du Gaulois dans les représentations, pourtant sévèrement critiquée par les archéologues à partir des années 1860. François Gérard, élève de David, a peint tout ce que l’Empire comptait de personnages importants et excellait dans la peinture historique. Commande officielle, sa toile Le Courage guerrier devait initialement être accrochée au Louvre avec Le Génie, La Générosité et La Constance – vertus cardinales du peuple français – en complément de l’hommage à la lignée royale des Bourbons figurée par Henri IV et Charles X. Après les Trois Glorieuses (1830), le nouveau roi Louis-Philippe confirme la commande et en fait don à Versailles. L’ensemble trouve place dans la salle du Sacre… salle bonapartiste avec les deux immenses tableaux de David : Le Sacre de Napoléon, le 2 décembre 1804 et Le Serment fait à l’Empereur par l’armée après la distribution des aigles, le 5 décembre 1804. Une forme de continuité se trouve ainsi tracée d’un régime à l’autre ; le Gaulois incarne alors surtout combativité, résistance et intrépidité.
Avec le tableau de Chassériau, lecteur revendiqué de César à une époque où le thème fait florès en peinture, c’est la face sombre du « Gaulois » qui se trouve dénoncée – même si les erreurs de représentation (hache, sandales) invalident la scène sur le plan documentaire et témoignent des confusions de ce milieu de siècle. Cependant, la vaillance et la maîtrise des armes ou de l’art de la cavalerie s’inscrivent bien au crédit des Gaulois, que Chassériau a magnifiquement brossés, sans braies ni nattes d’ailleurs, dans La Défense des Gaules (1855), l’œuvre la plus ambitieuse de la fin de sa carrière. Dans son Essai sur la formation et les progrès du Tiers-état (1856), Augustin Thierry fait naître la France avec la Gaule et théorise l’identité entre la France, le tiers-état et les Gaulois ; il estime que la noblesse franque est une « race » qui a conquis le tiers-état gaulois. Les Germains remplacent ainsi les Romains en tant qu’ennemis « héréditaires ».
Le Brennus de Jamin tire son nom du celte « brenn », le chef ; à la tête d’une petite troupe aguerrie, il a traversé les Alpes et pris Rome en 390 avant Jésus-Christ. Recevant le butin de 1 000 livres d’or, il aurait prononcé le fameux « Vae victis » : malheur aux vaincus ! Après les incursions républicaine (1796-1797) et impériale (1849) en Italie et la défaite face à la Prusse (1870), cet épisode vient rappeler l’ancienneté de la valeur militaire des Français. En revanche, si Brennus, figure de conquérant, a longtemps été préféré à Vercingétorix, le vaincu glorieux, ce n’est plus le cas en cette fin de XIXe siècle. Mais la France connaît aussi une forte poussée de sentiment patriotique due au double conflit avec l’Allemagne : on oppose désormais systématiquement les Germains aux Gaulois, sans que les savants parviennent à bien situer dans le récit national ce peuple celte écrasé par le poids de la culture gréco-romaine, acteur d’un âge du fer souvent confondu avec les âges de la préhistoire tardive.
Jean-Louis BRUNAUX, Nos ancêtres les Gaulois, Paris, Le Seuil, coll. « L’Univers Historique », 2008.
Christine PELTRE, Théodore Chassériau, Paris, Gallimard, 2002.
Kristof POMIAN, « Gaulois et Francs », in Pierre Nora (éd.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1992.
Alexandre SUMPF, « Regards sur les guerriers gaulois », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/regards-guerriers-gaulois
Lien à été copié
Découvrez nos études
Verdun, un champ de bataille à la démesure de l'Homme
Lorsque le général Erich von Falkenhayn lance le 21 février 1916 la grande offensive sur…
Le Mont des Singes (Aisne) après l'apocalypse
Le cliché présenté montre de façon très brute les conséquences des combats qui eurent lieu sur…
Verdun
Alors que la situation militaire de l’Allemagne s’est beaucoup améliorée à la fin de l’année 1915, le général von Falkenhayn décide de « saigner à…
Le siège de Lille (septembre-octobre 1792)
Le 20 avril 1792, sur la proposition du roi Louis XVI, l’Assemblée législative déclare la guerre à l’empereur d’Autriche et engage ainsi la France…
Le Fort de Douaumont, lieu d'Histoire, site de mémoire
Douaumont, clef de voûte du réseau de fortifications de la région de Verdun et point d’…
Le corps des morts
Les eaux-fortes présentées ici appartiennent à un cycle de gravures intitulé « La Guerre » et réalisé par Otto Dix en 1924. Il s’agit de cinq…
L'Enterrement insolite du Second Empire
Charles Louis Napoléon Bonaparte, dit Napoléon III (1808-1873) est un neveu de Napoléon Ier…
La bataille de Reichshoffen, 6 août 1870
Dès le début de la guerre franco-prussienne, en août 1870, les armées françaises subirent de graves revers en Alsace. Ayant dû évacuer Wissembourg…
La bataille de Valmy - 20 septembre 1792
La fuite du roi en juin 1791 est significative de son refus d’une monarchie constitutionnelle et met en évidence sa collusion avec les puissances…
Une Victoire à la pire-russe
Au mois d’octobre 1942, Adolf Hitler est en passe de réussir son pari. Pour cette deuxième offensive estivale, après…
aliix
Merci beaucoup pour ce site très intérressant, et surtout, merci pour les sources précises des images. (notemment aquarelles !)
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel