Aller au contenu principal
Le Bon Genre, no 29 : le lever des grisettes

Le Bon Genre, no 29 : le lever des grisettes

Au bal public

Au bal public

Le Bon Genre, no 29 : le lever des grisettes

Le Bon Genre, no 29 : le lever des grisettes

Date de création : 1827

H. : 23,6 cm

L. : 31,1 cm

reproduction d'une eau forte coloriée

Domaine : Estampes-Gravures

© RMN - Grand Palais / agence Bulloz

lien vers l'image

07-534473 / G.10768

La journée d’une grisette

Date de publication : Janvier 2016

Auteur : Catherine AUTHIER

Fugace comme un oiseau

Dans le contexte d’industrialisation et d’urbanisation massives qui se développent en France dès la première moitié du XIXe siècle, beaucoup de jeunes femmes ont commencé à travailler comme ouvrières dans des ateliers de couture, en tant que blanchisseuses, brodeuses, couseuses, tisseuses, repasseuses, gantières ou plumassières. Ces petits métiers leur rapportaient en moyenne un salaire mensuel de trente à soixante francs. (120-230 euros actuels). Ce travail du linge était bien souvent un emploi de saisonnier donc précaire, les femmes étant très souvent employées à la journée percevant un montant insuffisant pour assumer les besoins du ménage, le logement, la nourriture ou la charge d’une famille. Cet emploi dans l’industrie du chiffon était en plus extrêmement dur et répétitif, les ouvrières travaillant jusqu’à 14 ou 15 heures/jour, 6 jours sur 7. Après ces semaines épuisantes, seul le dimanche donnait un peu de répit à ces jeunes ouvrières qui aimaient beaucoup aller danser au bal. Le peintre Achille Devéria, un artiste illustrateur romantique qui excella dans la peinture des modes et des mœurs de son époque comme Constantin Guys, le

« peintre de la vie moderne" selon Baudelaire nous dévoilent à travers leurs œuvres leur intérêt pour les grisettes. Ils nous révèlent les différentes étapes de la vie des grisettes, ces figures singulières qui peuplent les beaux arts, la littérature mais aussi les chansons et les journaux du XIXe siècle.

Le charme des grisettes


Dans cette lithographie coloriée parue dans Observations sur les modes et les usages de Paris pour servir d’explication aux 115 caricatures publiées sous le titre du Bon Genre depuis le commencement du dix-neuvième siècle, édité par Pierre de La Mésangère, Devéria nous présente Le lever des Grisettes, datée de 1827.

On y découvre quatre jeunes femme, grisettes ou ouvrières du textile, en train de s’habiller, se coiffer avec une grâce et une gestuelle digne d’une ballerine. On retrouve sur cette planche le décor de l’intérieur d’une grisette, le vaste miroir, la psyché, mais aussi les accessoires et costumes typiques de ces jeunes femmes soignées et coquettes, rubans, châles, escarpins et bonnets. Le petit chat lové dans les bras de l’une d’entre elles peut être perçu comme une allusion sexuelle.

Dans son dessin à l’encre brune et noire, Constantin Guys brosse pour sa part d’un trait nerveux une grisette invitant à danser un homme dans un atmosphère de bal tourbillonnante éclairée par la faible lueur d’un réverbère. Elle est fine et élégante et paraît se présenter à l’homme qui lui fait face en relevant sa jupe, comme si elle lui offrait ses services. Dans le fond, une nuée de chapeaux hauts de forme noirs attend alors qu’une autre jeune femme élancée jaillit sur le côté comme une tâche de lumière sortie de la nuit sombre.

Sur le chemin des amours vénales


Si le terme de grisette s’épanouit au XIXe siècle, avec la volonté de déterminer des typologies et physiologies marquantes de la société à l’image de la Comédie Humaine de Balzac, cette figure apparaît en réalité dès le XVIIe siècle, notamment chez Jean de La Fontaine qui s’était déjà intéressé à la fraîcheur ingénue de ces jeunes filles de modeste condition. Un nom qui emprunte d’abord à la zoologie, la fauvette grisette étant un petit oiseau suggérant l’idée de mouvement et d’aventure, une fille légère, énergique et insaisissable. Plus tard, le terme de grisette s’inscrit dans le premier XIXe siècle industriel et désigne la couleur de tissu de la robe que portaient les ouvrières, une robe grise qui n’était pas salissante. Très vite, cependant, par association, le mot désigne, d’après la définition que l’on trouve dans tous les dictionnaires du XIXe siècle, une femme de petite vertu ou de mœurs légères, assimilée à une prostituée.

Les bals où les grisettes avaient coutume d’évoluer étaient en effet de vrais lieux de rencontre, avec une ambiance de flirt, une occasion formidable de se faire remarquer, toutes catégories sociales confondues. « Véritables champs de manœuvre » pour les femmes galantes, notamment pour celles qui maîtrisaient l’art de séduire avec leurs corps, ces lieux de détente pouvaient constituer un tremplin dans leur carrière. Une grisette pouvait toujours espérer y rencontrer des hommes du monde, riches ou titrés qui aimaient sortir de leur milieu pour se divertir et s’encanailler. Dans un contexte urbain, et notamment à Paris, la capitale, alors en pleine expansion, la prostitution prend un essor fulgurant. La grisette correspond alors au nouveau genre de fille entretenue à cette époque, reflet des nouvelles habitudes de consommation dont fait partie l’amour vénal, un processus qui se développera tout au long du XIXe s. En tant que nouveau type féminin, libre, élégante et mutine, la grisette a fortement participé à forger le mythe de la parisienne, une figure pionnière et moderne qui contribua à définir la parisienne d’aujourd’hui.

AUTHIER Catherine, Femmes d’exception, femmes d’influence : une histoire des courtisanes au XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2015.

PREISS Nathalie, SCAMARONI Claire, Elle coud, elle court, la grisette !, cat. exp. (Paris, 2011-2012), Paris, Paris Musées, 2011.

ROUNDING Virginia, Les grandes horizontales : vies et légendes de quatre courtisanes du XIXe siècle, Monaco/Paris, Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », 2005.

Catherine AUTHIER, « La journée d’une grisette », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/journee-grisette

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La Zone et la police à Paris en 1905

La Zone et la police à Paris en 1905

La zone des « fortifs » à Paris en 1905

La période couvrant la fin du XIXe siècle et le début du XXe (jusqu’en 1914),…

Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Cora Pearl, célèbre courtisane du Second Empire

Les portraits-charges de Gill

Sous le Second Empire, la presse illustrée connaît un essor considérable, notamment les journaux satiriques où…

"L’Origine du monde" : un nu manifeste

"L’Origine du monde" : un nu manifeste

Un nu confidentiel

L’origine de L’Origine du monde de Gustave Courbet a longtemps contribué à en faire, sinon un chef-d’œuvre inconnu, du moins un…

La conduite des filles de joie à la Salpêtrière : le passage près de la porte Saint-Bernard

La conduite des filles de joie à la Salpêtrière : le passage près de la porte Saint-Bernard

Le peintre des scènes populaires

Grâce à la signature présente en bas à gauche, ce tableau est attribué à « Stephanus Jeaurat Pinxit ».

Né…

Lorettes

Lorettes

Dans les villes qui se développent de manière spectaculaire sous les assauts de la révolution industrielle, la prostitution prend un essor sans…

La traite des planches ou La prostitution au spectacle

La traite des planches ou La prostitution au spectacle

La traite des planches ou la prostitution au spectacle.

Le dessin de Degas comme la photographie de la vedette Polaire attestent l’engouement…

La traite des planches ou La prostitution au spectacle
La traite des planches ou La prostitution au spectacle
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque

La République s’amuse

Après le régime si décrié du Second Empire (« la fête impériale »), la IIIe République a commencé par un retour…

Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Femmes et frissons de plaisir à la Belle Époque
Le scandale de la réalité

Le scandale de la réalité

En 1863, Victorine Meurent, modèle préféré de Manet dans les années 1860, pose pour ce nu jugé à l’époque comme le plus scandaleux des nus…

Le thème de l’entremetteuse

Le thème de l’entremetteuse

L’influence de la Rome baroque

Pietro Paolini est un peintre italien baroque du XVIIe siècle. Né à Lucques en Toscane, en 1603, il a…

La courtisane, un monstre ?

La courtisane, un monstre ?

Un regard trouble entre misogynie et fascination

Le recours à l’allégorie pour dénoncer la prostitution est très fréquent au XIXe siècle…