Aller au contenu principal
Misère

Misère

Marche des tisserands

Marche des tisserands

Misère

Misère

Date de création : 1893- 1897

Date représentée :

H. : 15,4 cm

L. : 15,3 cm

Planche 1 de la série Une révolte de tisserands

Lithographie au crayon et à la plume, grattoirs.

Domaine : Estampes-Gravures

© VG Bild-Kunst, Bonn 2008

Lien vers l'image

Kl 34 IIa Not

La Révolte des tisserands

Date de publication : Septembre 2008

Auteur : Silke SCHMICKL

Tensions sociales et création du SPD en Allemagne

L’Allemagne de la fin du XIXe siècle est marquée par un climat social et politique tendu. Otto von Bismarck, chancelier de Guillaume Ier puis de Guillaume II, a mené une politique libérale dirigée contre les mouvements socialistes. En 1878, après un attentat contre Guillaume Ier, il profite de la situation pour établir les Sozialistengesetzte (« lois socialistes », 1878-1890), synonymes d’une interdiction quasi totale de l’activité du parti en dehors du Reichstag. En 1890, année du départ de Bismarck, les sociaux-démocrates renforcent leur organisation avec la création du S.P.D. (« Sozialdemokratische Partei Deutschlands », Parti social-démocrate d’Allemagne en français) et fondent leur légitimité historique en s’intéressant à leurs origines qui remontent à la révolution de 1848. La révolte des tisserands mise en images par Käthe Kollwitz, artiste proche des socialistes et des pacifistes, est un exemple caractéristique de cet intérêt porté à l’histoire de la création du parti et aux soulèvements ouvriers. Les tisserands se révoltent à plusieurs reprises en Allemagne. Notamment en Silésie, région qui doit faire face à une paupérisation croissante accompagnée d’une baisse des salaires constante et dramatique. Une révolte s’annonce le 3 juin 1844 avec une manifestation exigeant la libération d’un détenu. Les rébellions, réprimées dans le sang par des forces militaires, conduisent à la famine d’une classe ouvrière déjà appauvrie. Cette révolte a suscité des débats et a contribué à la formation d’opinions et apparaît durablement être un exemple pour les hommes politiques, les intellectuels et les artistes.

La misère sociale en images

La Révolte des tisserands, série de trois lithographies et trois gravures réalisée par Käthe Kollwitz entre 1893 et 1898, illustre la misère des tisserands en Allemagne au milieu du XIXe siècle. Les six scènes choisies par l’artiste forment un cycle programmatique. Les deux premières planches, Not (« misère ») et Tod (« mort »), montrent les causes de la révolte et la paralysie des hommes sous la pression politique et économique. La troisième, Beratung (« consultation »), illustre la réaction des tisserands à cette situation : ils conspirent et préparent la lutte. Les planches quatre, Weberzug (« cortège des tisserands ») et cinq, Sturm (« attaque »), mettent en scène le soulèvement, et la dernière, Ende (« fin »), la mort des tisserands et l’effondrement de la révolte.
Not (« misère »), première lithographie de la série, montre une femme penchée sur le corps de son enfant, la tête entre ses mains. Dans un décor sombre qui occupe les trois quarts de l’image et qui évoque un appartement modeste, éclairé seulement par une petite fenêtre au fond, la mère semble absorbée par son chagrin. La blancheur du visage de l’enfant laisse supposer qu’il est gravement malade et déjà marqué par la mort. Seule partie claire de l’image, sa présence au premier plan lui donne une place centrale tout comme la composition pyramidale constituée par le couple enfant-mère.
Malgré cette proximité spatiale, il n’y a toutefois de contact physique ni entre la mère et l’enfant ni entre eux et les deux autres visages de marbre, qui se dégagent du noir dans la partie gauche. L’isolement et l’intériorité des personnages ne font que souligner l’ambiance triste et désespérée de cette scène de famille.
La quatrième planche, Weberzug (« cortège des tisserands »), gravure réalisée en 1897, illustre une manifestation des tisserands. Dans un paysage rural, des hommes munis de faux et de haches et une femme portant un enfant se dirigent vers une destination inconnue. Leurs poings serrés et leur pas décidé laissent supposer qu’ils vont mener une action politique ou en reviennent. Les hommes paraissent affaiblis, marqués par leur condition sociale, et leurs visages expriment la résignation et le désarroi. Comme dans Not, leurs relations semblent se réduire à la proximité physique, et l’isolement de chacun prime sur l’appartenance au groupe. Ici encore, le trait expressif de la gravure traduit la tension intérieure des personnages.

La Révolte des tisserands – un cycle d’art engagé

En cette fin de XIXe siècle encore marquée par les conflits sociaux de l’époque Bismarck, le sujet de la révolte des tisserands devient un symbole de la lutte contre l’oppression ouvrière par les forces libérales. Gerhard Hauptmann en fait le thème de sa pièce Die Weber, créée à la Freie Berliner Volksbühne le 23 février 1893. Käthe Kollwitz, qui a assisté à la première, s’en inspire pour la série d’images qu’elle commence la même année. « L’effet était bouleversant […] cette représentation a été un événement clef dans mon travail », dit-elle dans son autobiographie Rückblick auf frühere Zeit (1941). Ce cycle annonce déjà les grands thèmes de l’artiste : la révolte et la révolution, le monde des ouvriers et leur condition sociale, le rapport entre la mère et l’enfant, la mort. Elle y affirme aussi le style graphique expressionniste et le goût pour les séries qui caractériseront ensuite toute son œuvre. En dépit de l’accalmie des luttes sociales à la fin des années 1890, le sujet traité par Käthe Kollwitz demeure subversif et gênant : lorsqu’elle présente La Révolte des tisserands à Berlin lors de la Grosse Berliner Kunstausstellung de 1898 et qu’Adolph von Menzel, avec le soutien de Max Liebermann, désigne Käthe Kollwitz pour une médaille d’or, l’empereur Guillaume II la lui refuse. Si la violence des lois socialistes n’était plus d’actualité, les revendications sociales et la défense des milieux ouvriers étaient loin d’avoir abouti et se poursuivirent pour culminer avec le spartakisme dans l’entre-deux-guerres.

Käthe Kollwitz, Catalogue de l’exposition , Frankfurter Kunstverein Frankfurt, Württembergischer Kunstverein Stuttgart, Neue Gesellschaft für Bildende Kunst Berlin, 1973.

Sigrid ACHENBACH, Käthe Kollwitz: (1867-1945); Zeichnungen und seltene Graphik im Berliner Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin, Berlin, 1995.

Jutta BOHNKE-KOLLWITZ (Verlag), Käthe Kollwitz. Die Tagebücher : 1908 – 1943, Siedler, Berlin, 1989.

Alexandra von dem KNESEBECK, Käthe Kollwitz. Werkverzeichnis der Graphik, 2 tomes, Kornfeld, Berne, 2002.

Otto NAGEL (éd.), Käthe Kollwitz, Die Handzeichnungen, Stuttgart, Kohlhammer, 1980.

Hermann POLLIG, Käthe Kollwitz: Grafiken, Zeichnungen, Plastik, Stuttgart, I.F.A., 1985. 

Silke SCHMICKL, « La Révolte des tisserands », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/revolte-tisserands

Le cycle Une Révolte des tisserands, 1893-1897 sur le site du Käthe Kollwitz museum.

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Les Quatre nations vaincues

Les Quatre nations vaincues

La place des Victoires a une genèse singulière puisqu’elle est voulue par François, vicomte d’Aubusson, duc de la Feuillade (1625-1691), afin de…

Les Quatre nations vaincues
Les Quatre nations vaincues
Les Quatre nations vaincues
L'exposition d'art dégénéré en 1937

L'exposition d'art dégénéré en 1937

La condamnation de l’art moderne par les nazis

Pris lors de l’exposition Entartete Kunst organisée en 1937 à Munich par les nazis, ce cliché du…

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin

Berlin aux mains des Soviétiques

L’avance des Soviétiques s’est accélérée dès le début de 1945, grâce au déclenchement d’une offensive massive…

Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
Soldats soviétiques après la bataille de Berlin
Hygiénisme et urbanisme : le nouveau centre de Villeurbanne

Hygiénisme et urbanisme : le nouveau centre de Villeurbanne

Au cours du XIXe siècle, les conditions de vie misérables réservées aux ouvriers dans les viilles et les préoccupations des hygiénistes…

La signature du traité de Versailles

La signature du traité de Versailles

Faire la paix en 1919, une gageure

La conférence de la paix s’ouvre à Versailles le 18 janvier 1919. Deux mois après l’armistice, la question…

La guerre juste

La guerre juste

Le choc des cultures

Dans une nation moins déchristianisée que la France, où la foi ne constitue pas le principe de ralliement d’un parti (comme…

La guerre juste
La guerre juste
La guerre juste
Un titre de baron sous l'Empire

Un titre de baron sous l'Empire

La récompense d’un « brave »

Napoléon devenu empereur réintroduit progressivement les titres et les codifie par deux statuts du 1er

Un titre de baron sous l'Empire
Un titre de baron sous l'Empire
Un titre de baron sous l'Empire
Un titre de baron sous l'Empire
Le Faux Hitler

Le Faux Hitler

La chute du IIIe Reich en images

La progression des forces Alliées contre les nazis a donné lieu à la production et à la diffusion de…

Naissance d'une star

Naissance d'une star

Désir et déchéance

En 1929, le producteur allemand Erich Pommer, de la UFA, demande à Josef von Sternberg, cinéaste d’origine autrichienne, de…

Le Génie wagnérien

Le Génie wagnérien

Wagner : une aura existant contre le temps et les frontières

De toute évidence, Richard Wagner n’apprécie guère la peinture « qui le laisse…

Le Génie wagnérien
Le Génie wagnérien
Le Génie wagnérien
Le Génie wagnérien