Repars pour qu'il vienne à son tour
Je travaille en Allemagne et mes économies vont à ma famille en France
Repars pour qu'il vienne à son tour
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 60 cm
L. : 40 cm
Imprimeur : ORAFF (Office de Répartition de l'Affichage crée par les autorité Allemandes)
Domaine : Affiches
Domaine Public © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF30132-7
La « Relève », entre chantage et otages
Date de publication : Mars 2023
Auteur : Alexandre SUMPF
Le travail rend libre
Pendant l’été 1942, une série d’affiches s’adresse aux centaines de milliers de chômeurs que compte la France et son économie désarticulée par la défaite et vampirisée par l’occupant. Du travail, il y en a, en Allemagne. Là-bas, 1,5 million de pères et de frères de ceux restés ou revenus en France végètent dans les stalags (1), les camps en Allemagne. Le 22 juin 1942, Pierre Laval expose son plan négocié avec les Allemands : pour trois travailleurs envoyés Outre-Rhin, un prisonnier rentrera chez lui. Plus profondément, le travail constitue l’un des piliers de la Révolution nationale. Au début de la nouvelle devise officielle imposée par Pétain, le travail remplace la liberté. Discipline de soi et discipline collective seraient le moyen d’acquérir l’indépendance, celle de l’ouvrier industrieux travaillant à l’accroissement de la richesse nationale et à l’amélioration du niveau de vie de sa famille. Dans les Chantiers de la jeunesse créés le 30 juillet 1940, Vichy met les jeunes de 20 ans au travail ; le 1er mai 1941 devient officiellement fête du Travail. Avant la loi sur le Service du Travail obligatoire le 16 février 1943, la politique de « Relève » tente de mobiliser les Français au cœur de la collaboration économique.
Si tu veux la paix, participe à l’effort de guerre
Toi… repars pour qu’il vienne à son tour est une affiche de format vertical aux tonalités simples de gris-vert, d’orangé et de bleu, dans un style semi-réaliste typique de l’époque. Le cadre épais coloré en dégradé conduit le regard dans le sens de lecture traditionnel, vers un homme trentenaire en buste, vêtu d’une blouse de travail et d’une casquette d’ouvrier. Au centre, on lui adresse un discours à la seconde personne du singulier par le truchement d’une anaphore. Les mots « Toi… Toi… Toi… Repars » ressortent en majuscules et en rouge, personnalisant l’adresse vers une cible précise : celui qui a travaillé en Allemagne et n’y est pas encore retourné.
L’affiche Je travaille en Allemagne et mes économies vont à ma famille en France, élaborée à la même époque, tente une variation sur l’idée de la relève. Pour rendre l’exemple concret et convaincre de la réalité de l’opération, l’affichiste a fait le choix d’une photographie en noir et blanc occupant tout l’espace du papier. Elle est barrée d’un bandeau blanc en diagonale à 30°, petit emprunt discret aux techniques graphiques du constructivisme russe. Le slogan y est reporté en rouge vif, en écriture cursive, pour bien faire comprendre qu’il s’agit d’une phrase prononcée par l’ouvrier en situation. Ce dernier apparaît dans une composition équilibrée où il occupe la moitié gauche, laissant l’autre à la machine. Il est jeune mais pas trop, bien coiffé, ses vêtements sont propres ; son large front, son air concentré, sa main fine appuyée sur le métal soulignent son assurance. À droite, la machine rutile, le métal rassure, le mécanisme fonctionne parfaitement.
Le départ en déchantant
La métaphore est claire : la main d’œuvre est française, l’appareil industriel est allemand, la France produit des ouvriers, l’Allemagne des machines, les Français ont les compétences, l’Allemagne la puissance, la France est ruinée, l’Allemagne vit d’abondance. Ce discours dichotomique a le mérite de la simplicité et d’évacuer toute indication sur la nature du régime hitlérien ou la destination souvent militaire des produits usinés. La multiplicité des adresses indiquées au bas de l’affiche souligne l’ampleur des moyens consacrés au recrutement en zone occupée (ici, Paris et son agglomération). Tout est fait pour attirer les volontaires, alors que les premiers flux se sont taris dès 1941 (environ 100 000 personnes), que 1,5 million de prisonniers de guerre triment au profit du Troisième Reich, et que, révèle Toi… repars pour qu’il vienne à son tour, les désertions se multiplient chez les travailleurs. Si, en théorie, ils perçoivent un salaire équivalent à celui des ouvriers allemands de compétence équivalente, en réalité, ils touchent un peu moins et surtout travaillent plus, dans des conditions de vie dégradées, la faim et presque aucune formation requalifiante. La campagne de propagande échoue du fait des patrons allemands qui méprisent le travail des ouvriers étrangers, même d’Europe de l’ouest, et des récits faits par ceux qui sont tombés dans le piège, parfois poussés par la misère. Une fois le mirage économique dissipé, il ne reste que le chantage, puis la contrainte : le 16 février 1943, une loi instaure le Service du travail obligatoire pour les hommes nés entre 1920 et 1922.
Patrice Arnaud, Les STO. Histoire des Français requis par l’Allemagne, 1942-1945, Paris, CNRS Éditions, 2010.
Bernard Garnier, Jean Quellien (dir.), La main-d’œuvre française exploitée par le IIIe Reich, Actes du colloque de Caen, 13-15 déc. 2001, Caen, CRHQ, 2003.
Raphaël Spina, Histoire du STO, Paris, Perrin, 2017.
1 - Stalag : camp des prisonniers de guerre en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale
Alexandre SUMPF, « La « Relève », entre chantage et otages », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/releve-entre-chantage-otages
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
L’Europe nazie
À la fin de la campagne de l’été 1942, le Troisième Reich couvre une ample partie du territoire européen, de l’Atlantique au Caucase…
Hitler-Hindenburg, l’aigle à deux têtes
Le mois de mars 1933 est une étape majeure dans la prise du pouvoir par Adolf Hitler et son parti N.S.D.A.P (…
Enfants de la patrie
Lorsque les soldats de Hitler envahissent l’Union soviétique, le 22 juin 1941 (1), se font face deux empires…
Le plan d'un bateau négrier, symbole du mouvement abolitionniste
Vers 1770, apparaît en Angleterre et aux États-Unis l’abolitionnisme, mouvement d’une nouveauté radicale qui remet…
La conscription au XIXe siècle
Pendant la majeure partie du XIXe siècle, la conscription, ou obligation pour tous les garçons de servir sous les drapeaux, n’a jamais…
Un “ canard ” républicain (1833)
Adolphe Thiers, chargé des prisons en 1833, comme secrétaire d’état au Commerce et aux Travaux publics, décide de faire de la prison centrale du…
Vichy et les « héros de l’histoire de France » : Bournazel
Placée sous la responsabilité du Secrétariat général à l’Information…
Un regard sur les tranchées
La guerre européenne qui semblait à tous inévitable ne devait durer que quelques semaines, le temps de triompher une bonne…
La Flotte assassinée : Mers el-Kébir
Le 3 juillet 1940, sous l’objectif d’une caméra des actualités et d’un photographe anonyme, la flotte française…
Louis XV sur le champ de bataille de Fontenoy
Le Salon de 1840 intervient dans un moment de crise du régime. La défiance croissante vis-à-vis du roi Louis-Philippe…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel