Révolte des esclaves à Saint-Domingue en août 1791
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1791
Date représentée : 23 août 1791
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN - Grand Palais / Agence Bulloz
03-013321 / M 100861, QB-1 (1791-08-23)-FOL
La Révolte des esclaves à Saint-Domingue, 1791
Date de publication : Octobre 2021
Auteur : Guillaume BOUREL
Une société esclavagiste ébranlée par la Révolution
L’île d’Hispaniola, découverte par Christophe Colomb en 1492, est scindée en deux par le traité de Ryswick de 1697 qui mettait fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1). Le tiers occidental, attribué à la France, devient Saint-Domingue, et la partie orientale reste espagnole.
C’est surtout au XVIIIe siècle que la culture de la canne à sucre et la traite négrière connaissent un essor spectaculaire. On passe ainsi, à Saint-Domingue, de 24 000 esclaves en 1713 à 500 000 en 1789.
Dès les années 1770, le marronnage est endémique : des bandes d’esclaves en fuite s’organisent en communautés libres dans la montagne et mènent des équipées parfois violentes contre les Blancs. Ce sont les premiers signes d’une résistance au système esclavagiste. En France, pour les abolitionnistes de la Société des amis des Noirs, le marronnage est la preuve de l’inéluctabilité d’une insurrection générale et de la nécessité d’abolir la traite et, progressivement, l’esclavage.
Si les premières révoltes éclatent à la Martinique en août 1789, celle de Saint-Domingue débute dans la nuit du 14 août, quand une jeune mulâtre, Cécile Fatiman (2), réunit au Bois-Caïman les chefs des révoltés. La révolte est une opération planifiée par des esclaves ou affranchis familiers des Blancs. Les idées venues de Paris circulent dans l’île, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été diffusée oralement parmi les esclaves. Or, à Paris, si l’Assemblée octroie le 13 mai 1791, la citoyenneté aux Noirs libres nés de parents libres, les débats sont virulents et les abolitionnistes minoritaires.
C’est dans ce contexte que la gravure, média populaire durant la Révolution, est réalisée. Elle appartient à une série de médaillons commentés retraçant les événements de Saint-Domingue. De nombreuses récits illustrés de type circulent à partir des années 1790 en France, mettant en scène le massacre des Blancs à des fins commerciales ou idéologiques.
Les révoltés de Saint-Domingue
La gravure décrit les premiers troubles importants : le 23 août 1791, les esclaves de trois plantations se coalisent, attaquent les colons de la paroisse de l’Acul et prennent le contrôle de la plaine du Nord et des montagnes (mornes), que l’on distingue au fond, débordant les forces du gouverneur Blanchelande (3). Ils brûlent les habitations des planteurs, signe que l’aspiration des esclaves révoltés est la fin du système de la plantation esclavagiste. Le traitement par l’auteur de l’image de la fumée qui s’en dégage confère une touche apocalyptique à la scène. Au premier plan, les esclaves, munis d’outils mais aussi de fusils pris aux colons, semblent s’acharner sur les Blancs à terre. Ces derniers, pris de panique, tentent de s’enfuir.
La légende [détails 2 et 4] qui accompagne la gravure établit un lien direct entre le décret du 13 mai et l’éclatement de l’insurrection. Ce sont les « concessions » faites par l’Assemblée qui sont rendues responsables de la révolte. La citoyenneté octroyée aux Noirs libres aurait ouvert une boîte de Pandore (4), dont ne pourrait sortir que la violence déchaînée des esclaves.
La contre-offensive des colons par l’image
Mais la gravure exagère les « horreurs » de Saint-Domingue. Des centaines de colons furent effectivement massacrés. Ce déchaînement de violence tient en partie au système esclavagiste, qui repose sur la violence infligée aux Noirs pour les forcer au travail et au prétexte qu’ils seraient moins sensibles à la douleur. Cette banalisation de l’extrême violence se retourne en 1791 contre les Blancs. Toutefois, sur le terrain, les chefs révoltés Jean-François Papillon († 1805) et Georges Biassou (1741-1801) modèrent leurs revendications et font même exécuter un de leurs seconds, Jeannot, coupable de cruauté envers des colons. Le motif iconographique du massacre des Blancs n’est pas nouveau, et la gravure, en amplifiant le caractère dramatique de la révolte de 1791, s’inscrit dans cette hantise du renversement de l’ordre blanc. Par ailleurs, en véhiculant l’image du Noir « sauvage », la gravure justifie en creux l’esclavage. Réalisée à Paris, elle vient appuyer, par une information dramatisée, la position des représentants des colons à l’Assemblée contre l’abolition de l’esclavage.
La révolte de 1791 à Saint-Domingue est un soulèvement de masse au nom de la liberté et l’expropriation des colons. Il faut attendre le 4 février 1794 pour que le contexte militaire amène la Convention à abolir l’esclavage, en partie par pragmatisme : l’occupation anglaise de la Martinique et le ralliement d’une partie des révoltés de Saint-Domingue aux Espagnols poussent à se rallier les Noirs des Antilles.
BENOT Yves, La Révolution française et la fin des colonies (1789-1794), Paris, La Découverte, coll. « Poche : sciences humaines et sociales » (no 164), 2004 (1re éd. 1988).
GÓMEZ Alejandro E., « Images de l’apocalypse des planteurs : contribution à l’étude de l’iconographie des “horreurs” de la révolution haïtienne (1784-1861) », L’Ordinaire des Amériques, 215, 2013, mis en ligne le 11 juillet 2014.
JOLLET Anne (dir.), Révoltes et révolutions en Europe, Russie comprise, et aux Amériques de 1773 à 1803 en dissertations corrigées, Paris, Ellipses, coll. « Les dossiers du Capes et de l’agrégation », 2005.
MICHEL Aurélia, Un monde en nègre et blanc : enquête historique sur l’ordre racial, Paris, Points, coll. « Essais » (no 881), 2020.
1. La guerre de la Ligue d’Augsbourg est provoquée par Louis XIV et sa volonté d’annexer des territoires étrangers. Elle oppose la France à une coalition de pays européens de 1688 à 1697. Le 20 septembre 1697, la paix est décidée entre les belligérants à Ryswick (près de La Haye, aux Pays-Bas). La France restitue une partie des territoires conquis, mais conserve une partie de l’Alsace et Strasbourg.
2. Héroïne de la révolte de Saint-Domingue, née d’une mère esclave et d’un père originaire de Corse.
3. Philibert François Rouxel de Blanchelande (1735-1793) fut gouverneur de Saint-Domingue de 1791 à 1792.
4. Dans la mythologie grecque, Pandore, première femme humaine, est envoyée sur terre par les dieux de l’Olympe avec une jarre qu’elle ne doit pas ouvrir. Mais, cédant à la curiosité, elle l’ouvre, libérant tous les malheurs des hommes sur terre. L’expression « ouvrir la boîte de Pandore » signifie déclencher une série d’événements désastreux.
Imagerie populaire : Née avec les techniques d’impression mécanique qui permettent la reproduction d’une même image à l’infini et sa diffusion à moindre coût et au plus grand nombre à des fins d’information, mais également de propagande. L’un des principaux centres de fabrication de ces gravures populaires est Épinal – on parle en ce cas d’images d’Épinal.
Guillaume BOUREL, « La Révolte des esclaves à Saint-Domingue, 1791 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/revolte-esclaves-saint-domingue-1791
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