Le Vol des Quinz'mill
Unité de front
Victimes de la même Ruhrie
Le Vol des Quinz'mill
Auteur : GRANDJOUAN Jules
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 67 cm
L. : 51 cm
Domaine : Affiches
© ADAGP © CC0 Collections La Contemporaine, Nanterre
AFF14950 (4)
Grandjouan, militant radical
Date de publication : Février 2011
Auteur : Alexandre SUMPF
Du militantisme radical au communisme
La IIIe République ancre les pratiques démocratiques en France mais est loin de satisfaire les plus radicaux qui appellent de leurs vœux une république sociale. Les affaires politico-financières qui émaillent la fin du XIXe siècle, comme le scandale de Panama en 1893, favorisent le rejet d’un système auquel tous les partis politiques apportent toutefois leur caution par la participation aux élections, à une époque qui voit l’affiche triompher en ville comme moyen de communication.
Farouche libertaire, le dessinateur Jules Grandjouan (1875-1968) met son talent au service du Comité révolutionnaire antiparlementaire à l’occasion des élections législatives de 1910. Le combat que mène ce comité, qui a édité La Guerre sociale de Gustave Hervé, socialiste révolutionnaire et antimilitariste, le porte aussi sur le front de l’unité syndicale et de la lutte de classes, dans une France qui a connu les grandes grèves de guerre (1917, 1918) et de 1919. L’obtention des huit heures journalières de travail confirme les syndicalistes de la nouvelle C.G.T.U. dans le choix d’un positionnement radical. Ils s’appuient sur la Section française de l’Internationale communiste née en décembre 1920, à laquelle Grandjouan adhère.
La moindre occasion est saisie pour défendre la cause du travailleur internationaliste contre le bourgeois impérialiste. Décidée par Poincaré pour obtenir en nature une partie des réparations exigées de l’Allemagne vaincue, l’occupation de la Ruhr par l’armée française, en janvier 1923, déclenche ainsi une violente campagne de la part des communistes.
Antiparlementaire, unitaire et internationaliste
La composition de l’affiche « Le vol des Quinz’mill’ » imite habilement les images d’époque vantant les attractions populaires et fait en particulier appel au goût récent du public pour les exploits aéronautiques. Au centre de l’image, un dirigeable doré nommé « Palais-Bourbeux », en référence au Palais-Bourbon où siègent les députés, symbolise l’Assemblée nationale. Le titre de l’affiche joue sur le double sens du mot « vol ». Dans la nacelle du dirigeable, les députés sortants s’accrochent à leur pactole : 41 francs par jour, presque 15 000 francs par an. Ils sont survolés, du point de vue du salaire, par le président de la République Armand Fallières, souriant et rubicond, et le président du Conseil Alexandre Millerand. Sur terre se presse la masse des prétendants à la prébende que constitue, selon Grandjouan, une place de député ; en frac noir, signe d’élégance mais aussi de richesse, ils tendent des bras fortement allongés, signe de leur cupidité.
« Unité de front », composée après la Première Guerre mondiale, fait la promotion de la nouvelle organisation syndicale issue de la scission de la C.G.T. Par la représentation de la Bastille, Grandjouan revendique l’identité révolutionnaire de la C.G.T.U. Le récit se développe en trois étapes disposées verticalement. Du haut de la « Bastille capitaliste », cigare vissé aux lèvres, des profiteurs narguent depuis le chemin de ronde des manifestants munis d’écriteaux indiquant partis et syndicats de gauche. Puis, à l’appel de la C.G.T.U., tous abandonnent leur identité particulière pour unir leurs efforts comme ils lient les hampes. Dans un dernier temps, ce faisceau se transforme en bélier qui enfonce la porte de la citadelle. L’effort collectif des personnages désormais unis dans l’action provoque la reddition capitaliste, exprimée par un drapeau blanc, qui contraste par sa modestie et son unicité avec les onze drapeaux – neuf rouges et deux noirs – de la première séquence.
L’affiche « Victimes de la même Ruhrie » a été éditée par la C.G.T.U. que soutient Grandjouan. La composition horizontale fait converger au centre de l’image le sommet d’un tas de charbon, richesse de la Ruhr, et la pointe du « V » que les puits de mine de cette région très industrialisée découpent dans le ciel. Au premier plan, trois personnages se dévisagent : à gauche, un mineur allemand forcé de travailler sous la menace d’une baïonnette brandie à bout de fusil par le soldat français debout au centre. À droite, le mineur français auquel s’adresse son camarade allemand ne se distingue de lui que par sa passivité. Le crayonnage plus appuyé pour le mineur allemand, plié par l’effort (il s’aide du genou), le rapproche du noir du charbon qu’il exploite et à travers lequel on l’exploite. Le soldat, reconnaissable à son inimitable casque, est au contraire figé en statue, ses équipements sont finement détaillés. Le mineur de droite se tient dans une étrange position d’attente ou de doute, sa silhouette apparaît comme découpée dans le décor.
Jeux de mots et jeux de miroirs
La constance de l’engagement de Grandjouan réside dans la croyance en la possibilité d’une révolution sociale qui mettrait à bas un régime dévoué aux intérêts de la bourgeoisie. S’il fait figurer Alexandre Millerand en robe d’avocat, c’est que ce dernier, après avoir participé en 1898 à un gouvernement « bourgeois », s’était compromis en plaidant la cause du liquidateur Duez dans l’affaire du « milliard des congrégations ».
À l’occasion des élections de 1910, Grandjouan appelle à ne pas voter, structure un Comité révolutionnaire antiparlementaire au sein duquel il occupe les plus hautes fonctions, dessine deux affiches (avec la mention « vu par le candidat ») et donne des conférences.
Dans ses affiches, il use volontiers du jeu de mots qui dénonce et fait mouche : l’ambivalence du mot « vol » permet de détourner une affiche aéronautique, le Palais-Bourbon devient un marécage fangeux, l’occupation de la Ruhr relève de la « rouerie ».
Cet art du trait se retrouve dans sa manière de dessiner, assez sèche, qui tient dans l’épaisseur du coup de crayon plus que dans le jeu des couleurs : les ouvriers au travail sont denses, les bourgeois sont sans consistance, tout en apparences, baudruches gonflées de profit, mais parasites esclaves de l’argent.
Ces compositions en miroir et ce jeu constant sur les représentations des deux principales « classes » signent la manière de Grandjouan. Le tout jeune parti communiste attire à lui nombre de militants anarchistes ou antimilitaristes, qui s’en détourneront toutefois assez vite.
Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrations, 1914-1929, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.
Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, tome II, « XXe siècle, à l’épreuve de l’histoire », Paris, La Découverte, 2004.
Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.
Alexandre SUMPF, « Grandjouan, militant radical », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/grandjouan-militant-radical
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