L'Influence de la lune sur la tête des femmes
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1652
Titre original : L'Influance de la lune sur la teste de femmes.
Domaine : Estampes-Gravures
Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica
RESERVE QB-201 (40)-FOL
La Lune et les femmes
Date de publication : mai 2019
Auteur : Brigitte SERRE-BOURET
L’estampe au XVIIe siècle
A la date de ce document (1652), la France est premier producteur de papier en Europe et Paris et est un des centres les plus importants de la production d’estampes. Elles sont un des supports les plus utilisés pour servir de modèles aux artistes, aux artisans, pour diffuser les idées religieuses, politiques, scientifiques ou pamphlétaires. Leur faible coût et le grand nombre d’ateliers typographiques (plus de 70 dans le Paris de l’époque), autorise une large diffusion et suscite notamment bien des vocations de collectionneurs. Dans la capitale, les gens de l’estampe ont pignon sur rue dans le quartier Saint-Jacques et dans les environs du Louvre, ce qui est le cas de l’imprimeur de ce document situé rue Saint-Germain l’Auxerrois.
Cette estampe a appartenu au collectionneur Michel Hennin (1841-1863) qui a légué à la bibliothèque nationale de France sa collection de 14 807 estampes historiques dont certaines se distinguent par de très nombreuses pièces étrangères souvent satiriques et peu flatteuses pour notre amour propre national (selon un commentaire de l’époque). Ces estampes historiques, toutes datées du milieu du XVIIe siècle, composent majoritairement l’album ponctué de temps en temps d’estampes de genre différent recensées comme des « facéties ». Ce sont des formes de caricatures accompagnées de commentaires en vers ou en prose. Elles se moquent des rapports qu’ont les femmes avec les hommes, telle celle qui nous concerne ici, L’influance de la lune sur la teste des femmes.
« L’influance de la lune sur la teste des femmes (sic) »
Cette estampe anonyme, sans grande finesse d’exécution représente une scène de rue à la pleine lune. L’absence de perspective du bâtiment, les costumes des personnages, la mise en scène de ces derniers, évoquent davantage le déroulement d’une scène de théâtre. Seul le commentaire autorise la provenance française du document bien qu’il existe une autre estampe anglaise similaire où décors et costumes diffèrent.A la faveur de la pleine lune, cinq femmes se réjouissent et font une sorte de danse. Elles portent au-dessus de leur tête un croissant de lune muni d’un œil relié à l’astre lunaire. Ce dernier les observe bien qu’il lui manque un quart du visage. A l’arrière dans la pénombre, quatre hommes semblent chercher le morceau de lune manquant, l’un d’entre eux pointe sa canne en direction des femmes tandis que les deux autres à l’aide de lanternes cherchent au sol.Le texte en vers et ancien français :
« Din bon jour de bon cœur ma comère MarguiteBonne vie et bon an nicotte au gros couquiauAaga veffi agnes et janne mine friteHe bee et barbe itou avec son gros muriauVramique iavons tretoutes la lune sur la testeBuvons et rigollons puisqu’il est notre festeHaye Valentin, dict barbe, que faict don la notre hommeIl cherche de la lune, un morciau qui est chuCar s’il la peut trouver, il aura bonne sommeMais il ne voit pas clair, il a un peu trop buLucas en et aussi, et sont tous deux si bestesQu’on ne leur peut montrer qu’ils sont dessus nos teste »
Le fait d’avoir un quartier de lune sur ou dans la tête n’a rien d’enviable, quoiqu’il en soit, les femmes s’en moquent bien. Elles profitent au contraire de ce prétexte pour boire et rire sous le regard des hommes qui peut-être désireraient en faire autant. Comme cela nous est indiqué dans le texte, le morceau de lune manquant, une fois retrouvé, pourrait rapporter "bonne somme". Mais il y a peu de probabilités que cela se réalise, les femmes jugent que les hommes sont ou trop bêtes ou trop saouls pour pouvoir le faire.
La lune et la femme
Au milieu du XVIIe siècle il était courant d’utiliser l’expression "avoir un quartier de lune dans la tête", pour qualifier une personne bizarre ou folle. Notre document est là pour nous le rappeler, la lune est néfaste aux femmes et le quartier manquant serait tombé sur leurs têtes achevant de les dérégler.
Cette scène amusante et critique puise ses origines dans les lointaines relations que l’homme a instauré avec la lune. Il ne fallut guère de temps à l’homme de la Préhistoire pour établir les similitudes de la durée d’un cycle lunaire avec le cycle menstruel de la femme, ce qui acheva de « féminiser » la lune et la conforter dans ses fonctions de fertilité et fécondation. Les époques grecques virent naitre des études médicales établissant des liens entre la nature humide de la lune et la sphère obstétricale féminine. On disait pour certaines maladies féminines que la femme était frappée par une maladie de la lune ou par la maladie d’Artémis, déesse de la lune. Les astrologues médicaux de la Renaissance voyaient les femmes comme des personnes réglées par la lune ce qui les empêchait de se comporter de manière prévisible, notamment lors de leurs menstrues. Nous touchons là les limites du raisonnable en matière d’observation médicale et de méfiance envers le sexe "dit faible". Tout autant que le glissement vers des idées reçues attribuant à la femme des attitudes caractéristiques en lien avec sa nature lunaire et dont l’inconstance, la versatilité, les sautes d’humeur, les réactions déraisonnables sont les formes les plus courantes.
Les croyances populaires attribuant à l’astre lunaire des forces obscures et maléfiques sur lesquelles sorcières et magiciennes fondent leurs rituels nocturnes, la ronde de ces femmes ne risquerait-elle pas de se transformer en sabbat ?
Le XVIIe siècle tend à libérer la femme. Rejetant les rôles domestiques dans lesquels elles sont contenues, les femmes s'intéressent de plus en plus aux sciences, aux inventions, aux découvertes, ce que Molière dénoncera dans la seconde moitié du siècle avec ses Femmes Savantes. Il faut se méfier d’une femme instruite. Aux yeux de leurs contemporains, elles sont nombreuses à posséder un quartier de lune dans la tête pour s’attaquer à des sujets masculins dont elles ne savent rien ! Il semble cependant que les « Dianes » modernes de cette estampe assument les quolibets d’usage et s’en servent de prétexte pour s’affranchir de toute les mauvaises réputations.
Catalogue exposition « Lune » Grand Palais 1er avril – 27 juillet 2019
Brigitte SERRE-BOURET, « La Lune et les femmes », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/lune-femmes
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