« Suivez bien votre chef de file... »,
« Vois-tu mon ami, la République ne saurait nous convenir... »
Cancans opiniâtres. Pamphlet de Bérard.
Lettre d'un républicain sur la misère des ouvriers et les moyens de la faire cesser, ou la France républicaine
« Suivez bien votre chef de file... »,
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
H. : 24,2 cm
L. : 30,5 cm
caricature montrant un polytechnicien faisant faire l'exercice à Charles X et Louis-Philippe. Lithographie
Domaine : Estampes-Gravures
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
Caricatures et pamphlets politiques (1830-1835)
Date de publication : Novembre 2003
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
Caricatures et pamphlets politiques (1830-1835)
Caricatures et pamphlets politiques (1830-1835)
La " campagne de l’irrespect "
De 1830 à 1835, la monarchie de Juillet lutte pour son existence en tentant de maîtriser les mouvements de la rue et les contestations politiques radicales. Mais le régime est très vite en butte à l’hostilité de la presse, alors en plein développement et d’autant plus dangereuse. Les journaux profitent de la liberté nouvelle octroyée par la Charte de 1830 : « Le droit des Français de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois » est proclamé désormais sans restriction.
Dans l’opinion, l’avènement inopiné de Louis-Philippe au terme des journées de 1830 ne fait pas le consensus : les partisans d’une révolution politique et sociale républicaine ressentent une grande frustration devant la fin prématurée des Trois Glorieuses, et ceux de la légitimité monarchique récusent le fils du cousin régicide de Louis XVI qui a ramassé sa couronne sur le pavé ! Tous les journaux se jettent dans la « campagne de l’irrespect », et, avec eux, de nombreuses feuilles à parution irrégulière qui attaquent le roi et sa famille, par le texte et par l’image, avec une violence qu’on n’avait jamais connue. La caricature politique devient alors (avec la poire symbolique et le parapluie royal) une arme redoutable contre le pouvoir, à laquelle la lithographie permet désormais d’assurer une très large diffusion.
Pour mettre un terme à ce déchaînement, le pouvoir multiplie les procès contre les journaux et feuilles satiriques, mais les jurys d’assises, que la charte révisée a rendus compétents en matière de délits de presse, se montrent souvent indulgents. De plus, les condamnations ou poursuites attirent l’attention sur ces débordements, augmentant même les tirages !
A partir de 1834, les dispositions libérales de la loi sont restreintes sur deux points politiquement importants. Il y a retour en arrière, en avril, avec la loi sur le contrôle des associations (comme la Société des droits de l’homme) et les organes de presse qui en répandent les idées et les doctrines et, en septembre 1835, avec celle sur la presse. Ces deux lois fournissent un appareil répressif puissant qui va durablement empêcher les publications de journaux, de libelles ou d’estampes opposés au régime.
Caricatures politiques
Un jeune polytechnicien indique de son épée la direction à suivre aux deux rois en uniforme, marchant au pas : Louis-Philippe, ventripotent et coiffé d’un « bonnet de police », coiffure de la tenue militaire de repos qui lui donne l’air particulièrement niais, emboîte le pas à Charles X, sous l’injonction narquoise et autoritaire « Suivez bien votre chef de file… » vers la sortie peut-on supposer ! Le polytechnicien, héros des barricades, incarne le pouvoir de la rue qui a décidé la chute de Charles X et permis l’avènement de Louis-Philippe en 1830 ; l’estampe (exemplaire unique) suggère avec verve qu’il peut être mis fin rapidement au règne de ce nouveau roi, pantin aussi ridicule que le précédent.
Louis-Philippe de dos, attablé devant un dîner pantagruélique, assis sur un trône ridicule décoré de fleurs de lis – emblème qu’il avait abandonné à contre-cœur, en février 1831, pour la charte –, une malle remplie de sacs d’or à côté de lui, répond à un va-nu-pieds, maigre et en haillons, probablement un républicain qui s’enquiert des libertés acquises en 1830. Les formules prêtées au roi, « La monarchie est beaucoup plus dans nos mœurs » et « Rapporte-t-en à ceux qui sont plus à même que toi d’en juger », ironisent sur son égoïsme insatiable et sur toute illusion d’égalité.
Ces deux caricatures sont ouvertement signées par Charles Année (1812-1842), jeune peintre qui se sent alors protégé par la loi mais se consacrera uniquement à une production de scènes de genre et de gravures religieuses après 1834. Il fait l’objet d’un mandat d’amener, le 11 avril 1834, comme chef de section de la Société des droits de l’homme mais disparaît avant d’être arrêté. (La perquisition effectuée par la police à son domicile n’ayant révélé aucun document compromettant, la procédure aboutit à un non-lieu.)
La satire politique explose aussi sous forme de pamphlets, chansons et placards, saisis en grand nombre à partir de 1834, qui n’ont pas peu contribué à dresser l’opinion populaire contre le régime.
Cancans opiniâtres
Plus de soixante-dix Cancans du pamphlétaire légitimiste Bérard poursuivent Louis-Philippe de leurs critiques acérées et connaissent un énorme succès entre 1831 et 1834, adoptant des épithètes toujours changeantes pour éviter la censure : Cancans accusateurs, Cancans incorrigibles, Cancans furibonds, Cancans correctionnels, Cancans indignés… Tous s’acharnent avec un esprit mordant sur Louis-Philippe et dénoncent les médiocrités de l’époque.
Lettre d’un républicain
Des placards anonymes, comme celui-ci, signé « R. » et agrémenté d’une vignette d’inspiration républicaine, exposent les causes structurelles des injustices et malheurs de l’époque et les fondements du régime républicain. Après plus de quarante ans de bouleversements politiques, il n’est pas aisé d’assumer l’étiquette de « révolutionnaire » !
Quelques années de liberté d’expression
Le personnage de roi-citoyen qu’affecte Louis-Philippe, qui feint la bonhomie, se déplace à pied dans Paris, serre les mains et mène une vie sans cérémonial, ne convainc ni les républicains ni les légitimistes. Au contraire, c’est directement à sa personne que s’en prend la presse satirique, le présentant sans cesse comme avare, déloyal, lâche et méprisable. Chaque libelle, chaque lithographie, dénonce avec cynisme ses mesquineries, son égoïsme profiteur, son indifférence à la souffrance du peuple, sa suffisance de prince. Jour après jour, semaine après semaine, il est accusé de crime, conspué et souvent calomnié. Cette incessante campagne de dénigrement qui, pour la première fois dans l’histoire, se produit au grand jour ternit durablement l’image du roi.
Les critiques sont souvent outrancières, mais caricatures et pamphlets confrontent sans cesse les réalités du régime à ses propres principes. Ce rappel permanent incite à une prise de conscience politique dont les répercussions apparaissent fécondes pour l’éveil de la démocratie. La révolution de 1830 a créé à la fois un régime et les conditions de critique de ce régime.
Les années qui vont de juillet 1830 à avril 1834 ou septembre 1835 ont été des années de liberté d’expression. En exaltant l’ouvrier et l’étudiant combattants et vainqueurs, elles ont remis à l’honneur 1789 et les exemples d’émancipation. Cet essor de la liberté lancé par les journées de Juillet, malgré la censure qui leur succède, explique en partie la révolution de 1848. Porté par la vague de 1830, le roi des Français sera emporté par la vague plus forte de 1848.
Maurice AGULHON, « 1830 dans l’histoire du XIXe siècle français », in Romantisme, n° 28-29, p.15-27.
Guy ANTONETTI, Louis-Philippe, Paris, Fayard, 1994 Louis-Philippe, l’homme et le roi, 1773-1850, Paris, Archives nationales, 1974.
Luce-Marie ALBIGÈS, « Caricatures et pamphlets politiques (1830-1835) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/caricatures-pamphlets-politiques-1830-1835
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