Votez contre le Cartel
Il avait échappé aux balles allemandes...les balles du Cartel ne l'ont pas raté !
Votez contre le Cartel
Auteur : BAILLE Hervé
Lieu de conservation : La Contemporaine (BDIC, Nanterre)
site web
H. : 77 cm
L. : 58 cm
Titre complet : Les socialistes aux leviers de commande et c'est la chute du franc. Voterz contre le Cartel.
Domaine : Affiches
© ADAGP, Domaine Public © CC0 Collections La contemporaine, Nanterre
AFF22278
La permanence de l'imagerie de la Grande Guerre dans les affiches politiques
Date de publication : Août 2006
Auteur : Alexandre SUMPF
La IIIe République, fondée en 1870, est sortie victorieuse de la Grande Guerre. Ce combat de quatre années continue pourtant de marquer les Français tout au long des années 1920 et 1930. Pas une campagne politique qui ne le mentionne, pas un parti qui ne s’en approprie la victoire pendant l’entre-deux-guerres. Le conflit mondial a eu un coût humain, social et économique d’une telle ampleur qu’il reste une référence omniprésente. C’est dans ce contexte que droite et gauche s’affrontent politiquement de manière de plus en plus virulente pendant toutes les années 1930. Les deux blocs s’opposent notamment avant les législatives de 1932, perdues par la droite de Tardieu, puis entre la démission forcée du radical Daladier (février 1934) et la victoire du Front populaire aux élections de 1936. Les années 1930 sont le lieu d’une campagne permanente où manifestations de rue, campagnes de presse et affiches politiques jouent un rôle crucial.
Dans la première affiche, le dessinateur Hervé Baille (1896-1974) met en images la descente en flèche d’un avion en flammes. Au centre de la composition, le slogan « Votez contre le Cartel », qui rappelle l’enjeu électoral, se détache nettement sur le fond de fumée dégagée par l’appareil en perdition. Ce dernier, réduit à une silhouette symbolique, représente doublement la France avec son empennage tricolore et la pièce de 1 franc qui remplace l’habituelle cocarde aux couleurs nationales. L’emploi de la symbolique de l’aviation, soulignée dans le commentaire par les termes « aux leviers de commande », atteste la pertinence des images liées aux combats de la Grande Guerre. L’affiche exploite également la représentation, traditionnelle pour la droite, d’une France à feu et à sang quand la gauche « révolutionnaire » conteste l’ordre établi.
La seconde affiche joue encore plus fortement de l’imagerie, doloriste cette fois, de la Première Guerre mondiale. Au premier plan, un homme ensanglanté gît à terre ; son costume souligne sa respectabilité, ses médailles son courage et sa qualité d’ancien combattant. Le rouge du sang et celui du ruban, indissociablement liés, ressortent nettement sur le fond gris et noir. L’arrière-plan brumeux laisse deviner la place de la Concorde : l’action se situe le 6 février 1934. Au second plan, un trio de personnages dessinés en noir offre clairement l’image du deuil : deux innocents orphelins entourent la veuve, nouvelle Mater dolorosa. L’ensemble, où la veuve au visage marqué par la douleur surplombe le soldat tombé au champ d’honneur, rappelle immédiatement les sculptures qui ornent certains monuments aux morts de la Grande Guerre.
L’obsédante présence de 14-18 et de ses références durant cet entre-deux-guerres a pour effet de saturer l’imaginaire politique et de brider les facteurs de renouvellement. L’affiche où apparaît l’avion joue sur la polysémie du vocabulaire politique de l’époque, qui emprunte volontiers ses métaphores au champ lexical de la guerre. Ici, Hervé Baille représente la « bataille du franc » qui est au cœur de la politique étrangère de la France et des débats entre droite et gauche. On remarque ainsi que la pièce de 1 franc figure sur l’aile droite de l’avion en flammes – signe que la gauche aurait ruiné tous les efforts de la droite (Bloc national, gouvernement Poincaré). Le Cartel des gauches (1924-1926) a effectivement échoué dans sa lutte pour le redressement des finances de l’État et dans sa renégociation des réparations vis-à-vis de l’Allemagne. Édouard Herriot n’est pas parvenu à associer le remboursement des crédits contractés pendant la guerre auprès des États-Unis au paiement de la sanction financière imposée à l’Allemagne vaincue. Les bons de la Défense nationale perdent de leur valeur, le franc chute. Or la puissance internationale, traditionnellement, est liée dans les esprits à une monnaie forte : la France dévisse car elle est mal dirigée, seule la droite a la main assez ferme pour mener le pays. En dépit de cette argumentation, en 1932, les Français, plus préoccupés par la crise économique et sociale, votent massivement pour une « Union des gauches » élargie par rapport au Cartel de 1924.
La seconde affiche s’attache elle aussi à un épisode très précis de l’histoire française, dans le domaine proprement politique. Le 6 février 1934, les troupes dépassées par les événements tirent bien à balles réelles lors des multiples manifestations organisées dans la capitale par des organisations très diverses : Croix-de-Feu du colonel La Roque et autres ligues d’extrême droite place de la Concorde, Association républicaine des anciens combattants (proche des communistes) sur les Champs-Élysées. Bilan : quinze morts et des centaines de blessés. L’homme représenté ici le crâne fracassé est la victime d’une violence d’autant plus inacceptable qu’il était manifestement désarmé. Au vu de ses médailles, il s’agit d’un héros de la guerre de 14-18. En affirmant qu’il a pu échapper aux « balles allemandes », mais pas à celles du Cartel, le texte de l’affiche place ce dernier dans le camp des ennemis de la nation. Les émeutes antiparlementaires précipitent cette fois-ci le retour de la droite au pouvoir. Cette affiche en forme de rappel, qui dresse un parallèle entre Grande Guerre et guerre civile, inscrit la violence de la scène politique française des années 1930 au cœur de l’image.
Maurice AGULHON, La République, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1990.
Dominique BORNE et Henri DUBIEF, La Crise des années 1930 (1929-1938), Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1989.
Jean-François SIRINELLI (dir.), Les Droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992.
Michel WINOCK, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.
Michel WINOCK, "Le 6 février 1934" in La Fièvre hexagonale, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1987.
Alexandre SUMPF, « La permanence de l'imagerie de la Grande Guerre dans les affiches politiques », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/permanence-imagerie-grande-guerre-affiches-politiques
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