Aller au contenu principal
Nègres creusant un canal

Nègres creusant un canal

Plan de l'habitation Savane Jappé au quartier de Montsinery. Guyane.

Plan de l'habitation Savane Jappé au quartier de Montsinery. Guyane.

Carte de l'île de Cayenne et des rivières voisines par d'Anville.

Carte de l'île de Cayenne et des rivières voisines par d'Anville.

Lettre de Victor Hugues, commissaire du gouvernement en Guyane, au ministre de la Marine et des Colonies.

Lettre de Victor Hugues, commissaire du gouvernement en Guyane, au ministre de la Marine et des Colonies.

Nègres creusant un canal

Nègres creusant un canal

Auteur : ANONYME

Lieu de conservation : musée d’Aquitaine (Bordeaux)
site web

Date de création : Fin XVIIIe siècle - Début XIXe siècle

Date représentée :

H. : 33 cm

L. : 27,5 cm

Aquarelle

Domaine : Dessins

© Mairie Bordeaux - Photo JM Arnaud

http://www.bordeaux.fr

inv. 2003.4.306

« Noirs de pelle », esclaves en Guyane

Date de publication : Décembre 2006

Auteur : Françoise LEMAIRE

« Noirs de pelle », esclaves en Guyane

« Noirs de pelle », esclaves en Guyane

Les canaux, artères de communication en Guyane

En Guyane, le travail des esclaves est largement mobilisé pour la création d’unités de production agricole, les habitations, vastes espaces de plusieurs centaines d’hectares gagnés sur la forêt par le défrichage, ainsi que pour l’aménagement du territoire. A partir de Cayenne, seul port maritime ouvert sur les liaisons transatlantiques, le mouvement de colonisation s’étend le long des estuaires et dans des régions marécageuses, où le transport terrestre est peu praticable.

Des canaux complètent le réseau fluvial pour l’écoulement des productions. Esclaves du roi, propriété de l'administration et esclaves des habitations privées sont réquisitionnés pour le percement et l'entretien de ces voies d’eau. De plus à partir de 1776, les techniques de poldérisation inspirées de celles pratiquées dans la colonie voisine de Guyane hollandaise (Surinam) reçoivent l’impulsion du gouvernement, avec l’ordonnateur Pierre Victor Malouet et l’ingénieur hydraulique Samuel Guisan. L’aménagement des canaux, utiles au drainage et à la navigation, prend une nouvelle ampleur et permet de mettre en exploitation les terres basses du pays.

Les « Noirs de pelle »

En plein labeur, les esclaves sont ici vêtus d'un simple pagne. Les « noirs de pelle » spécifiquement utilisés pour les travaux les plus pénibles tel le terrassement, constituent la catégorie d’esclaves la plus défavorisée. Les membres noueux, le dos courbé et le regard douloureux traduisent la souffrance au quotidien de ces hommes, unique force de travail pour réaliser et entretenir des aménagements d'envergure que la nature remet sans cesse en cause. C’est dans la région de l’Approuague, où l’administration avait développé son plus ambitieux projet de poldérisation, qu’a lieu, en décembre 1790, une importante révolte armée d’une quarantaine d’esclaves.

Les esclaves sont bien moins nombreux en Guyane que dans les îles françaises des Antilles ou dans les colonies hollandaises et anglaises voisines. Leurs conditions de vie sur les habitations sont réglementées par la police des ateliers qui prescrit seulement aux maîtres de fournir une fois par an quelques pièces de tissus, ainsi qu'une chemise et une jupe pour les femmes, une chemise, une culotte longue et un chapeau pour les hommes. Les esclaves produisent eux-mêmes une part importante de leur nourriture en cultivant leurs abattis.

La maison du maître, maison créole traditionnelle en charpente avec debord de toiture et galerie en façade, conserve un caractère très rustique en Guyane. Dans les exploitations en terres basses, elle est localisée près du canal qui en facilite l’accès. La recherche d’une bonne ventilation, préoccupation majeure pour se protéger des insectes et limiter les effets d’un climat malsain, justifie souvent la construction d’un étage.

Les grandes constructions de bois plus sommaires, à l'arrière-plan, abritent probablement les équipements industriels (sucrerie, moulins, entrepôts…). A droite, les plus petites correspondent aux cases d'esclaves. Les palissades délimitent généralement les parcs à bestiaux.
Les principales productions agricoles destinées à l'exportation consistent en coton, rocou, café, épices et cacao jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les hautes tiges vertes, près desquelles deux esclaves travaillent le sol, évoquent la canne à sucre dont le développement dans les terres basses assure une relative prospérité à la colonie à partir de la première moitié du du XIXe siècle.

Un arbre de grande taille, à l'ombre duquel se tient peut-être le commandeur chargé par le maître de surveiller l'ensemble des travaux, présente un tronc qui prend appui sur des racines en contrefort ; le sol guyanais, très mince, est vite épuisé par des cultures intensives. En revanche la région est riche en espèces de palmiers amazoniens qui fournissent une partie des ressources vivrières de l'habitation.

L'habitation Savane Jappé au quartier de Montsinery

Le plan figure l'organisation générale d'une exploitation agricole. La concession comporte des espaces non encore défrichés (grands bois debout) ou impraticables (savane noyée), des espaces mis en exploitation et plantés en roucou, plante tinctoriale destinée à l'exportation, et d'autres attribués aux esclaves pour y cultiver leurs vivres (abattis à manioc). Le degrad ou débarcadère relie l'habitation à la rivière conduisant à Cayenne. La demeure du maître voisine avec un élégant jardin, face aux "cases à nègres" alignées sous son regard. Un arbre "petit feuille" servant de borne est aussi figuré : de tous temps, les géants de la forêt guyanaise servent de point de repère.

L'espace colonisé au XVIIIe siècle

Dans un territoire limité entre les fleuves Mahury et Kourou apparaissent les différentes composantes de la société guyanaise du XVIIIe siècle : Cayenne, chef-lieu de la colonie et port où abordent les navires négriers constitue, avec le réseau dense des habitations, l'espace de vie des esclaves. Outre les types de cultures pratiquées, la carte mentionne aussi l'ouverture d'un canal de communication par aménagement d'une petite rivière ("crique"), entre les rivières de Montsinery et de Macouria.

Cet univers colonial voisine avec des villages amérindiens ("Carbet d'Indiens nouragues"), parfois identifiés par le nom d'un personnage célèbre ("carbet d'Apolimbo, fameux piaye") ou encore regroupés dans le cadre d'une mission jésuite (Mission du Père Lombard où sont rassemblés les Galibis, Arouas et autres Indiens). Aux marges enfin, sont signalés des "nègres marrons ou fugitifs" dans une zone qui n'est pas encore habitée.

L'aménagement des terres basses

L'idée de développer les terres basses sur le modèle du Surinam est formulée depuis le début du XVIIIe siècle mais se heurte au manque de moyens du gouvernement local comme des colons. La lettre de Victor Hugues traduit la difficulté de mobiliser les compétences utiles et la force de travail indispensable. Elle ne dit rien de la pénibilité de l'entreprise : 200 hommes ont ouvert, en 4 mois, dans une zone de marécage, une première section de canal longue de 3,5 kilomètres, large de 12 mètres et profonde de 2, ainsi qu'une seconde section longue de 2,7 kilomètres et large de 6 mètres.

Jusqu'en 1848, le travail physique des esclaves fut la seule énergie mobilisée pour l'accomplissement des travaux de colonisation et de développement économique. Le système des habitations a disparu après l'abolition. En revanche, les équipements de canaux, gagnés sur une nature hostile à force de bras, demeurent présents dans le paysage et sont encore visibles d'avion malgré l'invasion de la végétation.

Marie POLDERMAN, La Guyane française, 1676-1763. Mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissage, Matoury, Ibis Rouge Éditions, 2004.

Serge MAM LAM FOUCK, La Guyane française au temps de l’esclavage, de l’or et de la francisation (1802-1946), Petit-Bourg, Ibis Rouge Éditions, 1999.

Guide des sources de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, direction des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.

Françoise LEMAIRE, « « Noirs de pelle », esclaves en Guyane », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/noirs-pelle-esclaves-guyane

Anonyme (non vérifié)

Bonjour,
Vous avez tout à fait raison.
Veuillez excuser le retard dans la modification.

Bien cordialement
Anne-Lise

mer 19/10/2011 - 16:03 Permalien
Anonyme (non vérifié)

L'article "NOIR DE PELLE" écrit par Françoise Lemaire propose un récit vraiment intéressant et idéal pour la culture personnelle.

Il est composé de 6 articles, qui se complètent parfaitement.

L'auteure à su recrée la parfaite harmonie entre la peinture, et l'article écrit.

La partie "animation" est vraiment très complémentaire, et permet de faire un rapprochement idéal avec le tableau de François Biard.

Merci pour cet article instructif et vraiment top

A BIENTOT
MES SALUTATIONS
CORDIALEMENT

mar 18/03/2014 - 09:47 Permalien

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XX<sup>e</sup> siècle

Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle

Le discours muséographique colonial

Avec l’exploration et la colonisation des pays non occidentaux se développent les expositions d’objets…

La France coloniale et les zoos humains

La France coloniale et les zoos humains

L’attrait pour les zoos humains

En 1906, la France possède le deuxième empire colonial au monde après le Royaume-Uni. Ces conquêtes ont permis de…

La Guadeloupe, une image au service de la colonisation

La Guadeloupe, une image au service de la colonisation

La colonisation de la Guadeloupe

L'histoire de la colonisation de la Guadeloupe par les européens débute avec le second voyage de Christophe…

L’expédition de Madagascar, 1895

L’expédition de Madagascar, 1895

Une conquête sous la pression du lobby réunionnais

L’intérêt français pour Madagascar se précise depuis les années 1860. L’enjeu est d’abord…

Le cachet de la Societé des Amis des Noirs

Le cachet de la Societé des Amis des Noirs

Le mouvement abolitionniste

Le système esclavagiste pratiqué dans les colonies des Antilles et en Amérique est au XVIIIe siècle une…

Le cachet de la Societé des Amis des Noirs
Le cachet de la Societé des Amis des Noirs
Le cachet de la Societé des Amis des Noirs
Le cachet de la Societé des Amis des Noirs
Pigments de Léon Gontran Damas

Pigments de Léon Gontran Damas

L’école coloniale française promeut une petite partie de la jeunesse colonisée afin de l’assimiler et d’en faire la future élite destinée à…

Pigments de Léon Gontran Damas
Pigments de Léon Gontran Damas
L'Exposition coloniale et son musée

L'Exposition coloniale et son musée

L’exposition coloniale et son musée

L’exposition coloniale de 1931 se situe à la fois dans la lignée des expositions universelles de la seconde…

L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
L'Exposition coloniale et son musée
Le palais de la Porte-Dorée, témoignage de l’histoire coloniale

Le palais de la Porte-Dorée, témoignage de l’histoire coloniale

Un palais permanent hérité de l’Exposition coloniale de 1931

Le palais de la Porte Dorée représente de seul vestige monumental de l’Exposition…

Ali Ben Ahmed, calife de Constantine, lors de la conquête française de l'Algérie

Ali Ben Ahmed, calife de Constantine, lors de la conquête française de l'Algérie

Les yeux tournés vers l’Orient.

Depuis 1830, le pays s’est lancé dans la conquête de l’Algérie. Inaugurée par Charles X, poursuivie par Louis-…

Les pavillons éphémères de l'Exposition coloniale

Les pavillons éphémères de l'Exposition coloniale

Une visite à l’Exposition coloniale de 1931

Les divers documents réunis permettent de découvrir trois pavillons d’aspect monumental élevés à l’…

Les pavillons éphémères de l'Exposition coloniale
Les pavillons éphémères de l'Exposition coloniale
Les pavillons éphémères de l'Exposition coloniale