Le comte Eudes défend Paris contre les Normands, 886
Le Débarquement des barbares
Pirates normands au IXe siècle
Le comte Eudes défend Paris contre les Normands, 886
Auteur : SCHNETZ Jean Victor
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1837
Date représentée : 886
H. : 465 cm
L. : 542 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / image RMN-GP
85-000941 / MV 2673
Les invasions barbares
Date de publication : Décembre 2019
Auteur : Alexandre SUMPF
Une menace venue du Nord
Phénomène majeur du IXe siècle de notre ère, les nouvelles invasions barbares ont immédiatement menacé le fragile équilibre établi par les premiers monarques carolingiens. L’irruption et l’installation au nord-ouest de Paris des Normands, guerriers d’origine danoise, ont contraint le royaume carolingien à la lutte, puis au compromis. C’est ce point de vue qu’adopte Jean Victor Schnetz dans le tableau qu’il réalise en 1837 pour la galerie des Batailles du château de Versailles. Dans ce joyau du musée de l’Histoire de France voulu par Louis-Philippe, les grandes batailles qui ont forgé la nation sont autant les conquêtes que de fameux épisodes de résistance.
L’intérêt pour ces barbares, ni celtes (Gaulois) ni francs, se développe dans la seconde partie du XIXe siècle, au point qu’un artiste anonyme s’empare du sujet avec l’un des symboles des Vikings : leurs drakkars, dont la tapisserie de Bayeux, redécouverte sous Napoléon, a fixé l’image dans les mentalités.
Les invasions normandes deviennent un thème comme un autre, bien que marginal, avec le développement des illustrations dans les manuels scolaires et les synthèses sur l’histoire nationale. En 1883, les gravures d’Alphonse de Neuville pour l’Histoire de France de Guizot reviennent sur le siège de Paris, mais en plaçant la focale sur les Normands, dotés de tous les attributs supposés. Cette mode finit par atteindre Évariste Vital Luminais, qui y consacre l’une de ses dernières œuvres. Après avoir suivi l’enseignement du peintre d’histoire Léon Cognet aux Beaux-Arts, ce peintre de genre a reçu beaucoup de commandes officielles et de distinctions lors des Salons. Il s’est spécialisé dans l’évocation du passé lointain, notamment les Gaulois et les Mérovingiens que l’on a commencé à redécouvrir, tout comme les « hommes du Nord ».
Irrésistibles conquérants ?
En 1837, la représentation des Normands n’est pas encore rigoureusement codifiée. Pour la galerie des Batailles, Schnetz place au centre de la composition le comte Eudes de Paris sur un cheval blanc, qui est l’attribut fréquent des héros célébrés à Versailles dans les années 1830. Tel saint Georges terrassant le dragon, il est en train de mettre hors d’état de nuire un adversaire à terre, qui brandit contre toute vérité historique une francisque. De manière générale, l’armement est peu détaillé, les costumes assez fantaisistes et, si une épaisse fumée noire plane au-dessus de la scène, la simple fronde tenue par le guerrier au premier plan ne met pas en évidence la menace que fait planer l’ennemi, qui demande juste à remonter le fleuve vers la riche Bourgogne. Aucun élément ne permet non plus au spectateur d’identifier Paris, alors que la Seine joue un rôle récurrent dans les images relatives à cet épisode. Sans les épaisses murailles et la tour du Grand Châtelet encore en construction, la bataille pourrait tout aussi bien opposer des soldats et de simples brigands.
Le tableau anonyme aujourd’hui conservé au château-musée de Nemours ne cherche pas non plus l’exactitude historique, mais témoigne d’une caractérisation plus nette du profil viking. À l’exception d’un personnage étrangement brun et bronzé à l’extrême droite, peut-être une figure d’esclave, tous les hommes visibles portent cheveux et barbe blonds. Ils sont pâles, vêtus simplement, juste armés de casques, mais sont surtout identifiés par leurs navires à faible tirant d’eau, les drakkars. Les Normands les tirent sur terre, conformément au souvenir laissé dans les sources, dans une posture qui rappelle plus le halage le long des canaux qu’une armée en campagne. Les hautes falaises de craie blanche qui barrent l’horizon situent cette scène de débarquement en Normandie. Le peintre plaide à la fois la puissance du nombre, symbolisée par la multitude de mâts et de voiles qui couvrent totalement la surface de la mer, et une certaine vulnérabilité. Alors qu’aucune opposition armée n’est venue contrecarrer leur arrivée, les envahisseurs déplorent plusieurs décès dus aux éléments. C’est donc une prise de pied incertaine que dépeint l’artiste.
Luminais resserre la focale sur trois personnages vus de dos, en train de rejoindre un navire qui mouille à proximité de la côte. Il s’agit d’une scène de rapt, qui symbolise toute la politique de rapine qui a tant marqué les contemporains à l’époque, tout en jouant avec le célèbre thème iconographique de l’enlèvement d’Europe. Le ciel et la mer, dont les couleurs évoquent le paysage de la Manche, semblent attester la pratique d’une peinture d’après nature et servent de cadre à deux hommes habillés et à une femme dévêtue. Casques, bouclier et hache identifient les deux premiers comme des combattants, et la proue de leur embarcation, archétype de la représentation des drakkars, les identifie comme vikings. La blondeur et la nudité de la jeune femme qui se débat en vain contrastent avec les cheveux roux et le costume militaire des deux pirates : c’est une pure victime civile d’un enlèvement arbitraire.
Construire la nation contre le barbare
Le tableau anonyme reprend la légende noire originelle inventée par les moines du Nord de la France, qui ont dépeint les Vikings comme des pirates violents n’épargnant pas les civils pacifiques et les lieux de culte, vivant de rapines sur le dos des populations mais ne s’installant pas. Ce retour aux sources est à contre-courant de l’évolution du siècle, qui a vu progressivement l’idéalisation de ce peuple de marins par opposition aux invasions barbares germaniques.
Le choix de Luminais va aussi à l’encontre de la mythification par ses contemporains normands d’un lien de filiation avec les Vikings, ou alors il l’expose avec crudité comme le résultat d’une série de viols.
Dans les trois représentations qui scandent le siècle, la figure du Viking profite de l’essor d’une peinture qui prend volontiers pour sujet le passé national et interroge l’origine des peuples non chrétiens qui ont, d’une certaine manière, fait la France. Aux côtés des Gaulois et des Francs, les Vikings figurent dans une histoire faite de combats contre les invasions extérieures, qui sont autant d’occasions de civiliser les barbares (en les convertissant), mais surtout de créer une identité nationale, de renforcer sa cohésion et d’approfondir le sentiment d’adhésion. Ce que dessine en creux le Viking, quel que soit le régime politique, c’est un pays dont la richesse (naturelle, humaine, commerciale) attise la convoitise, une nation forte d’une culture militaire qui sert de socle à un État solide, un peuple qui entend se développer en paix mais sait, si nécessaire, faire la guerre.
BOYER Régis, Le mythe viking dans les lettres françaises, Paris, Éditions du Porte-Glaive, coll. « Les mythes littéraires » (no 1), 1986.
OLSSON Caroline, « Le mythe du Viking entre réalité et fantasme », dans BURLE-ERRECADE Élodie, NAUDET Valérie (dir.), Fantasmagorie du Moyen Âge : entre médiéval et moyenâgeux, actes de colloque (Aix-en-Provence, 2007), Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Sénéfiance » (no 56), 2010, p. 191-199.
RIDEL Élisabeth (dir.), Les Vikings dans l’Empire franc : impact, héritage, imaginaire, cat. exp. (Valenciennes, 2014), Bayeux, OREP Éditions, coll. « Héritages vikings » (no 4), 2014.
Alexandre SUMPF, « Les invasions barbares », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/invasions-barbares
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